Fondation Jean Piaget

Intelligence sensori-motrice


L’intelligence sensori-motrice est cette forme de comportement adaptatif qui permet non seulement à l’homme, mais aussi à des animaux tels que les primates (chimpanzés, etc.) de résoudre de manière efficace et créative des problèmes d’adaptation à leur environnement.

La logique que manifestent les coordinations d’actions qui lui sont propres, ainsi que les catégories épistémiques indissociablement attachées à ces actions (l’espace, le temps, l’objet, la causalité, etc.), constituent le fondement psychologique à partir duquel pourront être édifiées l’intelligence représentative et la raison humaine.

Deux exemples illustrent la forme particulière d’adaptation des organismes à leur milieu, caractéristique de l’intelligence sensori-motrice.
    – Le premier exemple est suggéré par la conduite de Lucienne Piaget, alors âgée de une année et quatre mois, cherchant à ouvrir une boîte d’allumettes. Elle y parvient non pas en agissant de manière désordonnée sur l’objet, mais en assimilant la situation présente au schème d’ouvrir et de fermer la bouche (obs. 180[NI], JP36, p. 293).

    – Le second exemple est suggéré par les observations de Köhler sur le comportement de chimpanzés confrontés à des problèmes tels que celui d’atteindre des fruits suspendus hors de leur portée au plafond d’un local dans lequel ils se trouvent. Des animaux qui n’ont pas acquis les processus liés à l’intelligence sensori-motrice ne sauront pas atteindre l’objectif, sinon par hasard, à la suite de tâtonnements non dirigés. Comme Lucienne cherchant à ouvrir sa boîte d’allumettes, le chimpanzé manifeste au contraire une conduite étonnante. Après quelques essais, il arrête de se déplacer, regarde autour de lui, donne à l’observateur le sentiment qu’il réfléchit, et tout d’un coup va chercher ce qui devient alors un moyen, un instrument lui permettant d’atteindre son but (Köhler, "L’intelligence des singes supérieurs". Chap. 2. Paris: F. Alcan, 1927).
Ce sont de tels comportements que les études sur la naissance de l’intelligence réalisées par Piaget ont contribué à rendre un peu moins mystérieux, en les insérant dans une genèse des comportements.

Les nombreuses observations réalisées par Piaget sur les conduites sensori-motrices de ses trois enfants, Jacqueline, Lucienne et Laurent, ont permis:
    – de mettre en évidence la spécificité des comportements intelligents par rapport à des comportements de résolution de problème ou des comportements adaptatifs plus primitifs,

    – de montrer comment les comportements plus évolués dérivent des comportements moins évolués par le jeu d’un certain nombre de processus tels que l’assimilation et l’accommodation, ou encore la différenciation, l’intégration et la coordination de schèmes, dont Piaget esquissera ultérieurement la théorie dans un ouvrage sur l’équilibration des structures cognitives (JP75).
La construction de l’intelligence sensori-motrice, une triple co-évolution

Conduits avec, à l’esprit, des interrogations épistémologiques sur les catégories générales (l’objet, le temps, l’espace, etc.) grâce auxquelles le bébé donne sens à ce qu’il fait et ce qu’il perçoit et au moyen desquelles il organise le monde qui l’entoure, les travaux sur la naissance de l’intelligence ont mis en évidence le lien étroit de l’évolution de la capacité toujours plus puissante de résolution de problème avec l’évolution de ces catégories. Ils ont aussi permis à leur auteur de montrer la dialectique subtile qui existe entre, d’un côté, la construction de cette intelligence et de ces catégories, et de l’autre, la construction de la fonction sémiotique.

L’évolution des comportements adaptatifs, de ces catégories et de la fonction sémiotique passe par un certain nombre de stades ou étapes, dont chacun se caractérise par une nouvelle compétence construite à partir des acquis du stade précédent (la première étape n’est que relativement initiale puisqu’elle est elle-même le résultat d’une construction réalisée sur le terrain de la phylogenèse de l’espèce humaine).

Cette triple co-évolution des comportements adaptatifs, des catégories et de la fonction sémiotique, est décrite dans trois ouvrages parmi les plus importants de toute l’oeuvre psychogénétique de Piaget (JP36, JP37, JP45), dans lesquels l’auteur manifeste une capacité d’analyse et de synthèse peu commune!

Si la première étape de construction de l’intelligence sensori-motrice commence avec des comportements héréditaires élémentaires, très vite le bébé va révéler une prodigieuse capacité de construire de nouveaux comportements, de les maîtriser et de les modifier de façon de plus en plus intentionnelle ().

C’est dès les mois qui suivent sa naissance que l’enfant commence ainsi à devenir maître de son activité, certes à une niveau bien plus rudimentaire que cela ne sera le cas dans les années qui suivront.

Et c’est vers une année et demie que la construction de l’intelligence sensori-motrice s’achèvera, relativement à la compétence structurale du moins, grâce à l’apport alors fourni par la pleine apparition d’une fonction sémiotique qui entraînera alors l’enfant vers le nouveau monde de la représentation.

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[…] les opérations spatiales telles que les réunions et partitions, les placements et déplacements, les mesures, etc., […] engendrent l’espace "intuitif" (au sens des mathématiciens), de la même manière que les opérations de classement engendrent les classifications logiques et que l’opération + 1 engendre la suite des nombres entiers.<