Fondation Jean Piaget

La notion de hasard: Introduction

Généralités
Brève introduction aux expériences


Généralités

Position du problème

Les recherches sur la genèse de la notion du hasard chez l’enfant et l’adolescent sont à placer dans le même contexte que celles sur la logique formelle, toutes étant réalisées à la fin des années quarante et au début des années cinquante.

Comment les pensées concrète puis formelle font-elles face à une dimension de la réalité omniprésente et qui n’a apparemment rien de rationnel ni de prévisible?

Chez les adultes de nos sociétés modernes, on sait combien le hasard continue à favoriser des comportements peu rationnels, qui visent à en nier l’existence, comme le recours aux horoscopes, aux prédictions douteuses, etc. Le hasard semble vraiment être le domaine face auquel l’intelligence et la raison sont impuissantes. Et pourtant, au cours des quelques deux mille cinq cents ans qui se sont écoulés depuis la naissance de la science occidentale, celle-ci s’est accoutumée à vivre avec ce qui, au départ, pour les philosophes de la raison et les mathématiciens grecs, semblait relever de l’irrationnel.

Qu’en est-il alors de la pensée de l’enfant? Est-elle démunie de tout moyen de faire rationnellement face à ce domaine? Ou bien l’enfant et l’adolescent parviennent-ils, comme le savant, à construire une notion du hasard qui parvienne, non pas à nier, mais à soumettre l’aléatoire aux formes logico-mathématiques de la pensée rationnelle?

L’origine de la recherche sur le hasard

Piaget et Inhelder en sont venus tout naturellement à s’interroger sur la genèse de la notion de hasard:
    – d’une part parce que c’est là un thème que Piaget avait pu rencontrer lors de ses années de formation en psychologie, en particulier grâce à Lévy-Bruhl, qui considérait les réactions face au contingent comme l’une des indications du niveau de développement de la pensée,

    – d’autre part et surtout parce que les études sur les conduites expérimentales de l’enfant et l’adolescent ne pouvaient manquer d’évoquer la question de la maîtrise des probabilités et des méthodes inductives, dont on sait qu’elles sont des composantes importantes des sciences expérimentales.
Bien que peu nombreuses, les recherches que Piaget et Inhelder ont alors entreprises sur cette genèse sont parmi les plus élégantes et les plus ordonnées qui soient.

La sobriété et l’élégance dans l’exposé des résultats suggèrent que, loin de faire naître un désordre non compréhensible dans l’esprit des sujets, le contingent est un domaine que la pensée logico-mathématique parvient à organiser et à maîtriser de manière parfaite, du moins pour les phénomènes qui relèvent de la physique.

Le livre qui est issu de ces recherches, "La genèse de l’idée de hasard chez l’enfant" (JP51) constitue d’ailleurs, avec les deux volumes consacrés à la pensée géométrique (JP48a, JP48b), celui qui manifeste le mieux l’esprit systématique de Piaget.

Soulignons enfin l’importance du contexte épistémologique pour l’étude du développement de la notion de hasard chez l’enfant. Les situations-problèmes élaborées pour cette étude, ainsi que l’analyse des réponses des enfants et des adolescents sont très directement liées aux connaissances acquises par Piaget sur la notion de hasard telle qu’elle a été définie au sein de la science moderne.

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Brève introduction aux expériences

Les travaux sur le hasard ont porté tour à tour sur les phénomènes de mélange et de distribution statistique, sur les réactions des enfants face à des trucages statistiques, puis sur la compréhension des probabilités et sur leur quantification, enfin sur les opérations logico-mathématiques qui permettent la maîtrise de l’aléatoire.

Les situations auxquelles ont été confrontés enfants et adolescents par rapport à ces différents aspects du hasard sont, entre autres, les suivantes.

Pour le problème du mélange, des billes de deux couleurs sont placées de façon séparée sur l’un des quatre côtés intérieurs d’une boîte (fig. 39). Puis celle-ci est inclinée un certain nombre de fois, de telle sorte que, à la fin, les billes qui étaient séparées se retrouvent mélangées, sur le même côté intérieur de la boîte. A chaque double inclinaison les sujets doivent prévoir comment les billes viendront se placer sur ce côté.

Pour la distribution statistique, des billes sont lancées dans une boîte verticale dans le fond de laquelle il y a des cases occupant la largeur de la boîte (fig. 40). L’enfant doit prévoir comment elles se répartiront dans ces cases.

Pour le trucage statistique, l’une des situations consiste à substituer, sans que les sujets le voient, des jetons comportant des croix sur leurs deux côtés, à des jetons comportant une croix d’un côté, un rond de l’autre (fig. 41). Le problème est alors de savoir comment l’enfant va interpréter le fait que les jetons lancés sur la table montreront tous une croix.

En ce qui concerne le problème de la compréhension et de la quantification des probabilités, la situation la plus simple consiste à faire prédire au sujet la couleur du prochain jeton, ou les couleurs de deux jetons, que l’on va extraire d’un sac, les jetons retirés n’étant pas remis dans le sac, mais laissés sur la table (le sujet a en outre toujours sous les yeux une collection complète de jetons identique à celle qui se trouvait initialement dans le sac). (fig. 42)

Les réponses des enfants les plus âgés aux problèmes de quantification reposant manifestement sur l’intervention d’opérations combinatoires, Piaget et Inhelder présentent enfin, dans les derniers chapitres de l’ouvrage, les solutions des enfants à des problèmes tels que celui de composer l’ensemble des couples possibles de jetons de couleur différente (le nombre de couleurs variant en fonction de l’âge des enfants ou des solutions qu’ils proposent). (fig. 43)

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[…] La fécondité du raisonnement mathématique dépasse sans commune mesure celle du raisonnement logique pour cette raison bien simple qu’au lieu d’emboîter sans plus la partie dans le tout ou de ne relier les parties entre elles que par complémentarité ou intersection (celle-ci étant à nouveau une inclusion), le raisonnement mathématique construit un ensemble toujours plus riche de relations entre les parties, considérées en elles-mêmes et sans passer par l’intermédiaire du tout.