Fondation Jean Piaget

Perception et intelligence


Les expériences sur les illusions perceptives secondaire comme sur les estimations perceptives de grandeur montrent à l’évidence qu’il existe un lien entre la perception et l’intelligence. Bien sûr, Piaget n’est pas le premier à affirmer l’existence de ce lien.

L’un des plus grands savants du dix-neuvième siècle, le physicien, géomètre et physiologiste Helmholtz avait déjà, avec d’autres, fait l’hypothèse de l’existence d’inférences perceptives inconscientes structurant le champ de la perception.

Les Gestaltistes avaient eux aussi affirmé l’existence d’un tel rapport, mais de sens contraire à celui postulé par Helmholtz: chez eux, ce ne sont pas les notions logiques qui expliquent la perception, mais au contraire les lois de "bonnes formes" du champ perceptif qui expliquent l’intelligence (ainsi les singes de Köhler trouveraient la solution des problèmes d’intelligence que celui-ci leur pose en réorganisant le contenu de leur champ perceptif).

Originalité de Piaget

Cependant ce qui fait la force et l’originalité de Piaget, c’est d’abord qu’il ne réduit aucun des deux termes à l’autre (il admet tout à fait l’existence de mécanismes perceptifs, comme, naturellement, celle de mécanismes intellectuels); mais c’est aussi ensuite le fait qu’il décrit des mécanismes de façon suffisamment détaillée pour qu’ils puissent se voir confirmés ou infirmés par des expériences de neurophysiologie.

En décrivant ces mécanismes (rencontres, couplages et transferts perceptifs), il se donne du même coup le moyen d’expliquer par quel biais l’intelligence peut agir sur les contenus perceptifs, et non pas seulement sur l’interprétation que le sujet leur attribue par le biais de leur assimilation à des schèmes sensori-moteurs ("objet à sucer", par exemple), prélogiques ou logiques ("ceci est une chaise", etc.).

D’autre part, les études sur les mécanismes perceptifs n’annulent en rien mais complètent au contraire les relations entre la perception et l’intelligence, dont Piaget avait déjà constaté l’existence dans ses recherches sur le développement cognitif.

Apport de la perception, apport de l’intelligence

Lorsqu’un enfant de cinq ans est interrogé sur la conservation ou la non conservation d’un liquide après que l’on ait renversé celui-ci dans un verre de forme plus étroite et plus haute, il répondra presque à coup sûr qu’il y a plus dans le nouveau verre «parce que le niveau de l’eau est plus haut». En ce cas, c’est la perception qui l’informe du résultat et le conduit à l’erreur.

Mais il faut bien voir que, dans beaucoup de situations, l’intelligence trouve une alliée précieuse dans la perception. Celle-ci lui apporte en particulier la connaissance des états. C’est seulement lorsqu’il s’agit de réaliser des comparaisons que les insuffisances de la perception apparaissent.

Bien sûr, les estimations perceptives, qui sont des comparaisons réalisées par "transport oculaire" d’un élément (par exemple une barre d’une certaine longueur) sur un autre élément, suffisent souvent à résoudre les problèmes de choix (de deux barres de chocolat de grandeur différente, l’enfant n’aura aucune peine à trouver celle qui contient le plus à manger!). Elles permettent souvent de trouver l’issue à un problème (pour atteindre les bananes placées très haut, il vaut mieux utiliser un grand bâton qu’un petit).

Mais il y a une foule de circonstances où l’intelligence pratique, aidée de la perception, ne suffit pas.

Ce sont ces circonstances qui – aux côtés des stimulations sociales mais aussi et surtout des facteurs proprement internes au fonctionnement intellectuel (besoin de cohérence, équilibration cognitive, etc.) – vont inciter l’intelligence à se distancer de l’usage brut de la perception, et à construire des opérations dont les propriétés "compositionnelles" échappent à celles qui, pourtant, les préfigurent, tant sur le plan de l’intelligence pratique que sur celui de la perception.

Ce sont ces propriétés, notamment celle de réversibilité mise en évidence dans des articles des années quarante et cinquante, qui font la synthèse entre les découvertes faites sur le plan de l’intelligence opératoire et celles faites dans le domaine des mécanismes perceptifs (JP42_5,JP50_4, etc.).

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[…] les notions mathématiques commencent par être indifférenciées des notions physiques […]. Il en résulte que les notions mathématiques procèdent d’une abstraction à partir de l’action, abstraction due à une prise de conscience progressive des coordinations comme telles et que provoque la différenciation croissante entre elles et les actions physiques particulières qu’elles coordonnent. Réciproquement, nous voyons […] cette même différenciation aboutir à dissocier graduellement les notions physiques de vitesse et de temps des coordinations spatiales qui les dominent d’abord avec excès et de façon déformante, puis les coordonnent simplement dans la suite.