Fondation Jean Piaget

Régulations et structures perceptives

Importance des régulations perceptives
Les régulations perceptives
Les équilibres perceptifs


Importance des régulations perceptives

Parmi les notions dont l’importance est considérable dans l’explication que Piaget donne de la vie psychologique toute entière, il y a au tout premier plan, en plus de celles de schème, et de groupement, celle de régulation , qui relie étroitement l’oeuvre de Piaget à celle de son maître Janet, mais aussi à l’une des disciplines, la cybernétique, qui a profondément marqué l’évolution des sciences au vingtième siècle. Comme les groupements, les régulations ont d’abord été mises en évidence dans les recherches sur la pensée opératoire.

Le plus grand bénéfice des nombreuses études que Piaget a consacrées à la perception aura peut-être été de révéler également la présence de régulations au sein même des phénomènes perceptifs.

Cette découverte lui a permis en effet d’établir une connexion très forte entre ces deux termes de la vie intellectuelle que les anciens philosophes avaient souvent opposés: la perception et l’intelligence logique. Elle lui a permis d’apporter ainsi, sans réductionnisme en quelque sens que ce soit, une conception d’autant plus unitaire de la réalité psychologique que des mécanismes semblables de régulation et de groupement se retrouvent, selon lui, sur le terrain de l’affectivité et de la volonté.

Les régulations, comme les groupements, ont pour ainsi dire deux faces, l’une fonctionnelle, l’autre structurale. Sur le plan fonctionnel, les régulations sont des mécanismes proprement cybernétiques. Leur fonction est de tendre à annuler des effets "dommageables" pour le système auquel elles sont liées. Dans le cas de la perception, ces effets sont précisément la surestimation liée à chaque centration perceptive.

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Les régulations perceptives

L’analyse des raisons pour lesquelles les effets de centration (les illusions perceptives) tendent à croître ou à décroître au cours du développement montre que ce qui est intervenu ce sont des anticipations correctrices par lesquelles le sujet plus âgé cherche activement à annuler les erreurs qu’entraînent les effets de champ ().

Piaget et Lambercier sont parvenus à montrer comment cet effet agit dans le cas de la perception de la grandeur de deux cercles égaux venant se substituer à deux cercles inégaux perçus, eux trois fois de suite (illusion d’Usnadze, fig. 52). L’adulte, plus que l’enfant, tend à surestimer le cercle égal venant se substituer au plus petit des deux cercles initiaux. Mais si l’on répète dix fois de suite l’expérience, l’illusion disparaît plus vite chez l’adulte que chez l’enfant.

Selon Piaget:
    «[...] le sujet anticipe la continuation des mêmes figures et c’est dans la mesure où il s’attend à un tel retour qu’il subit un effet de contraste» qui engendre la surestimation initiale. Mais ensuite, l’anticipation produit un effet de «freinage», et «il suffit d’admettre que cette activité [d’anticipation] est moindre chez l’enfant [...] pour trouver la raison de l’erreur enfantine plus faible, mais plus durable» (JP50_4, p. 30).
L’anticipation à laquelle procède l’adulte agit sur la perception en décentrant le regard du mouvement qu’il est spontanément porté à effectuer en raison des propriétés de champ. Ces décentrations ne sont alors rien d’autre pour Piaget que des "régulations" qui entraînent des «déplacements d’équilibre» (JP42_5, p. 12).

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Les équilibres perceptifs

L’école de la "Gestaltpsychologie" avait elle aussi fait un large usage de la notion d’équilibre et même de déplacement d’équilibre. Mais ce que ces créateurs avaient alors en vue était tout simplement identifié à des processus d’équilibration supposés se produire dans le cerveau selon des lois similaires aux lois de champ en physique.

Pour Piaget au contraire, si un certain équilibre est atteint, c’est grâce à des activités de décentration et grâce aux transports perceptifs compensant les effets des rencontres et de couplages se produisant en chaque centration. Ces activités ne sont pas identifiables avec celles que l’étude du développement cognitif met de son côté en évidence. Mais elles leur sont en partie similaires.

La dernière grande question traitée par Piaget consiste alors à examiner quelles sont les propriétés des équilibres atteints sur le plan de la perception par opposition à ceux atteints sur le terrain de l’intelligence.

Selon Piaget, ces équilibres n’atteignent pas la stabilité des équilibres finaux de la pensée logico-mathématiques (d’abord sur le plan de la pensée concrète, puis sur celui de la pensée formelle). La raison en est simplement que les mécanismes de décentration et de compensation qui se produisent sur le plan de la perception ne peuvent jamais se clore sur eux-mêmes; ils sont toujours entraînés par le flux incessant du contenu du champ perceptif. La réalité extérieure est irréversible, faite d’un mélange incessant de phénomènes. Il n’est ainsi pas possible à la perception d’atteindre la stabilité des structures de la pensée.

Le grand avantage, sur ce plan, de la pensée comme de l’action sensori-motrice, est que le sujet est maître de son action comme de sa pensée, du moins à un certain niveau de développement de son intelligence sensori-motrice, puis représentative.

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C’est une chose remarquable […] que de constater vers 11-12 ans […] la capacité du préadolescent de trouver pour la première fois, et sans enseignement scolaire sur ce point […] des méthodes systématiques pour grouper les objets selon toutes les combinaisons n à n (jusqu’à n=3, 4 ou 5). […] Or, les opérations propositionnelles qui se constituent au même niveau, reposent précisément sur une combinatoire : il est donc difficile d’admettre que ce soit par hasard que se constitue au même âge et dans tous les domaines la capacité de combiner des objets ou des propositions, alors qu’au niveau des opérations concrètes il n’existait que des systèmes d’emboîtements simples.

J. Piaget, Problèmes de psychologie génétique, 1964, (1ère publication en russe, en 1956), in Six études de psychologie, p. 143-144