Fondation Jean Piaget

Langage et opérations


Après la publication de la "La formation du symbole", Piaget n’entreprendra plus aucune recherche sur le langage. Invité d’ailleurs par l’association de psychologie scientifique de langue française à donner une contribution lors du congrès de 1962 consacré à la psycholinguistique, il affirmera dès le début de son exposé qu’il ne traitera pas du «langage lui-même», sauf pour signaler que le langage à lui seul ne peut expliquer l’origine des opérations intellectuelles, même si «les principales structures opératoires» se reflètent «dans le langage courant sous une forme soit syntactique, soit inhérente aux significations (sémantiques)» (JP63_1, p. 52).

L’essentiel de cet exposé reviendra ainsi à prendre appui sur des recherches de quelques-uns de ses collaborateurs, dont Morf et Inhelder, pour montrer que les opérations n’ont pas leur source dans le langage, mais dans l’action et les schèmes préopératoires.

Les résultats des études comparatives sur le développement opératoire des enfants profondément sourds et des enfants aveugles de naissance le conforteront dans sa thèse que si le langage joue un rôle important dans le développement de la pensée opératoire, il ne constitue cependant pas la source de cette dernière.

Enfin, Piaget ne pourra qu’accueillir avec la plus grande satisfaction les travaux et la thèse de Sinclair, dans la mesure où cette proche collaboratrice montrera la pertinence de l’hypothèse qu’il avançait dans le congrès de 1962. Loin que les formes du langage soient la source des opérations logico-mathématiques, ce sont au contraire celles-ci qui sont les conditions d’apparition de certaines des compétences langagières qui apparaissent à partir de sept ans.

La thèse d’Hermine Sinclair

Plus généralement, Sinclair montrera le parallélisme qui existe entre le développement de l’intelligence opératoire et le développement de certaines formes langagières.

Un exemple frappant de ce parallélisme est l’emploi spontané des expressions "plus grand", "plus petit", "plus gros", "plus mince", etc. Les travaux de Sinclair montrent que cet emploi n’apparaît qu’aux environs de 7 ans, c’est-à-dire à l’âge où sont maîtrisées les opérations de sériation.

Pour quelle raison cette utilisation est-elle si tardive, sinon précisément parce qu’il faut que l’enfant comprenne les relations en jeu pour faire usage de cet outil de représentation présent dans le langage.

Reste il est vrai que si l’expérimentateur fait apprendre à l’enfant cet usage, il peut en découler chez un enfant sur dix une accélération des notions de conservation (par exemple celle de la longueur, l’apprentissage portant alors sur les termes exprimant les relations de longueur), et une accélération dans des cas plus nombreux de la sériation opératoire (sérier des bâtons par ordre de grandeur).

Mais comme il n’est pas possible d’exercer l’usage des termes de relation sans faire effectuer du même coup à l’enfant des mises en relation, il est plus que probable que le passage un peu accéléré à l’acquisition de la sériation opératoire est la conséquence de ce que Inhelder, Sinclair et Bovet appellent un "exercice opératoire" dans leur important ouvrage sur "Apprentissage et structure de la connaissance" ().

En définitive, toutes ces recherches confortent la thèse selon laquelle: «[...] une transmission verbale adéquate d’information relatives à des structures opératoires n’est assimilée qu’aux niveaux où ces structures sont élaborées sur le terrain des actions elles-mêmes ou des opérations en tant qu’actions intériorisées et si le langage favorise cette intériorisation, il ne crée ni ne transmet toutes faites ces structures par voie exclusivement linguistique» (JP63_1, p. 58).

Ce qui ne signifie pas, encore une fois, que la pratique du langage ne puisse intervenir sur le développement cognitif, comme le montre l’exemple précédent d’apprentissage opératoire.

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[…] la psychologie ne consiste pas à traduire le fonctionnement nerveux en termes de conscience ou de conduite, mais à analyser l’histoire de ces conduites, c’est-à-dire la manière dont une perception, par exemple, dépend des précédentes et conditionne les suivantes.