Fondation Jean Piaget

L’enfant et les règles du jeu de billes

La pratique du jeu - Quatre stades
La conscience des règles - Trois stades


Comment les enfants de différents âges se comportent-ils lorsqu’ils s’impliquent dans l’activité sociale du jeu de billes et comment conçoivent-ils les règles (quelles sont leurs origines? Sont-elles modifiables? Peut-on les transgresser? etc.)?

La première question porte sur la pratique du jeu de billes, la seconde sur la conscience des règles qui l’accompagne.

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La pratique du jeu - Quatre stades

Sur le plan de la pratique, Piaget distingue quatre stades, dont seuls les trois derniers font intervenir une pratique sociale du jeu.

1. Le premier stade est celui de l’enfant de trois ans environ auquel on donne une dizaine de billes. Assez vite on peut constater l’apparition chez lui de comportements ritualisés et d’usages symboliques des billes qui confirment les résultats des enquêtes sur la genèse du jeu symbolique.

Mais Piaget ne croit pas que l’origine des règles sociales se confonde avec ces rituels. Certes le comportement individuel de la ritualisation constitue l’une des bases du comportement socialement réglé, et les deux s’accompagnent d’une "conscience de la régularité". Mais il intervient dans la seconde conduite un élément de soumission, d’obéissance ou d’obligation qui ne peut provenir que des interactions entre individus.

Ce n’est donc qu’avec les stades ultérieurs que commence véritablement le jeu social.

2. Le deuxième stade est celui de l’égocentrisme, terme un peu trompeur pour désigner une forme de comportement qui consiste soit en une assimilation déformante des pratiques du jeu aux intérêts personnels de l’enfant, soit en l’imitation trop servile de comportements d’autrui alors mal compris.

Tous les parents peuvent reconnaître chez leurs enfants de trois à cinq ans et plus cette absence d’équilibre qui les empêchent de se livrer à de véritables jeux sociaux (à partir d’un certain âge bien sûr, l’autorité parentale ou celle du grand frère ou de la grande soeur peuvent être telle que le jeune enfant s’y soumet; mais c’est là toujours une conduite du deuxième stade).

3. A partir du troisième stade (six ou sept ans environ), les enfants qui s’adonnent à un jeu social tel que celui du jeu de billes y entrent enfin à titre de partenaires.

Ces enfants cherchent bien sûr à gagner, mais un équilibre tend à s’établir entre les partenaires, qui s’efforcent d’unifier les règles de jeu, chacun contrôlant au moins dans les grandes lignes sa bonne marche, ainsi que le respect des règles. Ce sont les débuts de la coopération interindividuelle.

Là encore, les parents attentifs aux conduites de leurs enfants n’auront aucune peine à retrouver les traits décrits par Piaget (mais bien sûr, les enfants qui ont atteint ce stade peuvent tout à fait adopter des comportements différents: la coopération est dès lors possible, mais non pas nécessaire!).

4. Enfin le quatrième stade, qui apparaît vers onze ou douze ans, est celui de la "codification des règles". C’est là la marque d’une pensée devenue formelle. Ce n’est plus au coup par coup que les partenaires unifient d’une façon qui reste alors grossière, les règles du jeu; de grandes discussions s’établissent entre eux pour aboutir à des décisions formelles qui tendent à la complétude et à la cohérence la plus grande. Là encore, il est inutile dentrer dans le détail, dans la mesure où nous tous, adultes, conservons le souvenir de ces discussions dans lesquelles nous nous efforçions d’aboutir à un véritable code de conduites.

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La conscience des règles - Trois stades

1. Lorsque l’on considère non plus la pratique du jeu de billes et la conscience des règles qui l’accompagne, mais la conscience des règles qui se manifeste après coup, lors d’une discussion avec l’adulte, on découvre trois stades qui correspondent, avec un décalage temporel toutefois, aux trois premiers stades de la pratique des règles.

Seuls les deuxième et troisième stades mettent en jeu une véritable conscience des règles. Quant au décalage, c’est celui, observé sur tous les plans de la vie psychologique, entre l’action et la représentation.

2. Quand on interroge les enfants du début du deuxième stade, c’est-à-dire vers quatre ou cinq ans environ, sur l’origine des règles du jeu, ils se contentent de dire que c’est leur grand frère, ou leur père, etc. qui ont inventé les règles, et ils affirment aussi sans aucun problème que ces règles sont immuables (cela alors même qu’ils ne se soucient pas de les respecter dans leur pratique du jeu).

Cette façon de considérer comme éternelles les règles anciennement créées se retrouve jusque chez les enfants de sept à huit ans qui, par ailleurs, parviennent à jouer ensemble, à se mettre d’accord pour que le jeu se déroule selon des règles qui s’imposent à tous et qui sont suffisamment partagées pour que leur activité commune se déroule sans gros couacs.

Cette discordance entre une certaine mobilité des règles qu’on peut observer dans la pratique, et leur caractère intangible lorsqu’on interroge l’enfant au sujet de la possibilité de les changer, est un indice de l’existence d’une conscience qui les sacralise trop, qui reste encore trop soumise à une autorité extérieure, en l’occurrence l’autorité de la tradition (les règles anciennement créées sont dotées d’un pouvoir quelque peu sacré).

3. Par la suite, lors du troisième stade, c’est-à-dire à partir de neuf ou dix ans environ, les enfants deviennent sensibles à l’historicité des règles. Les règles actuelles ne sont plus le résultat d’un acte de création ancien et unique, mais le résultat d’une histoire au cours de laquelle elles ont pu être modifiées. L’enfant du troisième stade affirme d’ailleurs que les règles actuelles du jeu auquel il se livre peuvent toujours faire l’objet de modifications. De nouvelles peuvent être ajoutées, d’autres supprimées, etc.

Dans le cas d’une activité libre telle que celle du jeu, dans lequel le facteur social, le "poids de la société sur l’individu", se limite au groupe de partenaires dans lequel l’enfant s’insère, celui-ci parvient tout naturellement à se libérer du caractère absolu et sacré qu’il a longtemps porté aux règles du jeu.

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[…] une opération est essentiellement une action réversible, puisqu’à une opération donnée (comme +A ou +1) on peut toujours faire correspondre son inverse (–A ou –1): c’est cette réversibilité qui fait comprendre à l’enfant la conservation d’une quantité ou d’un ensemble en cas de modification de leur disposition spatiale, puisque, quand cette modification est conçue comme réversible, cela signifie qu’elle laisse invariante la quantité en question.

J. Piaget, Problèmes de psychologie génétique, 1964, (1ère publication en russe, en 1956), in Six études de psychologie, p. 149