Fondation Jean Piaget

Origine et statut de la logique


Les conclusions épistémologiques générales tirées des recherches sur la genèse de la pensée logique de l’enfant et de l’adolescent, ainsi que de l’histoire de la logique, sont doubles. Les premières concernent l’origine épistémologique de la connaissance logique. Les secondes, le statut de la logique (de quoi la logique est-elle la connaissance ou la science et quelle est sa place dans le système des sciences?).

Origine épistémologique de la logique

L’origine de la science logique se trouve dans les opérations logiques du sujet, elles-mêmes construites par abstraction réfléchissante à partir de la logique inscrite dans les coordinations d’action. Cette thèse ne nie pas l’importance du langage et des relations intersubjectives dans la construction de la logique.

Certes, en son point de départ psychologique, la logique inscrite dans les coordinations d’actions est une réalité psychobiologique. Toutefois, très vite, le sujet dont il est question n’est plus l’individu isolé, mais l’individu en tant qu’il coordonne ses actions et ses opérations avec celles d’autrui et en tant que, par le biais du langage, il coordonne ses affirmations logiques avec les affirmations des personnes avec lesquelles il interagit, directement ou par l’intermédiaire de l’écrit.

Les coordinations d’actions et d’opérations dont Piaget soutient qu’elles sont l’origine de la logique scientifique sont donc aussi bien intraindividuelles qu’interindividuelles. Ce sont elles qui aboutissent à une organisation du monde qui se reflète dans le langage.

Lorsqu’ensuite les individus argumentent entre eux, opposent leurs thèses, cherchent à se convaincre, ils explorent tous ensemble, au moyen des opérations de la pensée formelle, tout ou partie des possibilités logiques offertes par les thèses en présence. Des théories s’échafaudent, dans lesquelles les thèses sont déductivement attachées les unes aux autres par des opérateurs logiques (et, ou, implique, etc.) et selon des règles qui reflètent les combinaisons opératoires d’opérations logiques.

Le caractère opératoire de la logique

En construisant sa logique formelle, en décrivant les règles que doit suivre l’enchaînement des énoncés pour aboutir à des propositions logiquement vraies, Aristote n’a fait que prendre acte d’une partie de ce pouvoir qu’ont les individus d’organiser logiquement le monde, de représenter cette organisation dans le langage et d’enchaîner les énoncés du langage d’une façon qui reflète les articulations logiques de cette organisation.

Ultérieurement, des logiciens tels que Leibniz, puis Boole et d’autres logiciens algébristes du dix-neuvième siècle, sauront mettre en lumière, derrière la surface du langage, le caractère opératoire de la logique naturelle et ils s’efforceront d’édifier une science logique qui reflète au moins en partie les opérations de cette logique. C’est ce mouvement que Piaget s’efforcera de prolonger dans l’activité de modélisation logique des logiques de l’enfant et de l’adolescent, et dont il cherchera à convaincre les logiciens qu’il est bien l’essence de la science logique.

Continuité entre logique naturelle et logique scientifique

La continuité qui existe entre la logique scientifique et la logique naturelle ne tient pas seulement au fait que le point d’arrivée d’un stade est le point de départ d’une nouvelle logique. Elle se manifeste aussi sur le plan des mécanismes de construction.

L’axiomatisation, par laquelle le logicien construit une nouvelle réalité logique plus formelle à partir d’un système préalable de connaissances relativement plus intuitives, est considérée par Piaget comme un prolongement du processus d’abstraction réfléchissante observé à chaque étape de la genèse de la pensée de l’enfant.

Certes l’axiomatisation ne se réduit pas à l’abstraction réfléchissante. Elle comporte des exigences techniques et formelles absentes des mécanismes producteurs des structures opératoires de la logique naturelle. Mais Piaget y retrouve les deux traits centraux de l’abstraction réfléchissante: La reprise sur un nouveau plan du déjà construit, ainsi que la construction de nouveaux instruments opératoires.

Le statut de la logique

La description que donne Piaget de l’origine de la logique scientifique et de la façon dont celle-ci s’inscrirait en prolongement de la logique naturelle (de la logique opératoire de l’adolescent) pourra étonner quiconque a lu quelques ouvrages de logique symbolique.

Piaget n’ignore certainement pas qu’il fausse un peu la perspective de la logique contemporaine par la description générale qu’il donne de ce qu’est pour lui la science logique. Non pas que cette description lui soit antinomique. Simplement elle essaie d’imposer l’idée d’une science qui ne s’arrêterait pas à celle offerte par la logique des logiciens modernes, dont l’erreur, selon Piaget, est de rechercher dans le langage l’origine de cette discipline.

En cherchant à convaincre les logiciens modernes que leur objet d’étude se trouve moins dans la forme des propositions que dans les opérations propositionnelles, et plus généralement dans les opérations de tout système de pensée logique, Piaget ne cherche nullement à nier les exigences du formalisme. Lui-même devait être le premier désolé de ne pas avoir pu pousser sa modélisation logique des logiques opératoires de l’enfant et de l’adolescent jusqu’au point où elle atteigne le niveau d’exigence des logiciens de ce siècle.

Ce qui est en jeu dans l’épistémologie de la logique que Piaget offre au terme de ses analyses psychogénétiques et de ses esquisses de modélisation logique n’est rien d’autre que le statut même de la logique, dont il estime qu’il a plus à faire avec les opérations et les structures opératoires de la pensée naturelle, puis de la pensée spécialisée du logicien ou du mathématicien, qu’avec les énoncés tout faits de la science.

Si l’on devait résumer de façon un peu caricaturale les réflexions de Piaget sur la logique de ce siècle, peut-être pourrait-on dire qu’elles se réduisent au souhait de trouver sur le terrain de la logique ce qu’il a pu constater sur celui de l’histoire de la mathématique: l’abandon relatif du nombre et de la figure spatiale comme objets privilégiés de la mathématique, au profit des opérations, puis des structures.

Place de la logique dans le système des sciences

Quelle est dès lors la place de la logique dans le système des sciences? En un sens, pour Piaget, la science logique est un prolongement de la psychologie. En effet, comme celle-ci, elle a pour objet les systèmes d’opérations logiques de la pensée naturelle. Pourtant elle se distingue de la psychologie en ne s’efforçant pas à respecter les faits psychologiques, mais en s’appuyant sur eux pour construire des systèmes axiomatiques qui obéissent aux règles fixées par les logiciens concernant leur validité.

On notera pour conclure que cette caractérisation de la logique du logicien s’applique à celle de ce logicien en herbe qu’est l’enfant lui-même lorsqu’il prend connaissance de ses propres activitiés logiques et lorsqu’il construit de nouvelles compétences et normes logiques à partir de celles qu’il possède.

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[…] contrairement aux faits de comportement, les faits de conscience ne relèvent pas de la plupart des catégories habituelles applicables à la réalité physique : substance, espace, mouvement, force, etc., et d’une manière générale causalité.