Fondation Jean Piaget

L'explication sociologique

Genèse et structure
Action et conscience


Genèse et structure

Explications synchronique et diachronique

Comme l’ensemble des phénomènes biologiques, les totalités sociologiques peuvent être considérées de deux points de vue: synchronique (qui est aussi le point de vue de la structure) et diachronique (le point de vue de la genèse). Le premier n’a de sens que par rapport à des sociétés parvenues à un certain état d’équilibre. Le second s’intéresse à l’histoire d’une organisation sociale.

L’un des problèmes principaux de la sociologie réside alors dans le poids qu’il convient de donner aux facteurs synchroniques et diachroniques dans l’explication des faits sociologiques. La solution diffère selon que ce qui est considéré relève du domaine des règles, des valeurs ou bien des significations.

Dans le domaine des règles ou des normes, la situation peut être proche de ce que le psychologue constate sur le plan de l’intelligence ou de la connaissance. Les règles ont en effet pour fonction d’assurer l’équilibre durable des échanges entre partenaires sociaux. Cette finalité explique la possibilité d’une certaine vection dans l’établissement d’un système équilibré de règles. Lorsqu’une telle vection se produit, les règles assurant l’équilibre final apparaissent comme le prolongement des règles insuffisamment équilibrées des étapes conduisant à un équilibre stable. En ce cas il y a donc «convergence entre les facteurs diachroniques et synchroniques» (JP65a, p. 45).

Par contre, les valeurs ou les signes n’ont pas pour finalité d’assurer l’équilibre des échanges. En ces deux cas, il sera donc exceptionnel de constater une telle homogénéité entre le diachronique et le synchronique. Ce n’est que lorsque les valeurs seront elles-mêmes soumises à des normes qu’il sera possible d’expliquer l’actualité d’une de ces valeurs par son histoire. Dans le cas le plus général, cette valeur s’expliquera de façon plus ou moins exclusive par la seule considération de son rôle au sein du système social dans lequel elle agit.

Les signes enfin occupent une situation intermédiaire entre l’instabilité des valeurs usuelles et la permanence vers laquelle tendent les normes.

Constructivisme et sociologie

Hormis certains domaines particuliers de l’histoire des sociétés, comme par exemple le domaine des sciences rationnelles dans lequel on constate une certaine vection historique, il est assez rare de trouver en sociologie des articulations entre genèse et structure telles qu’on les constate en psychologie. C’est dire que, sauf exception, l’explication constructiviste, qui traverse toute la psychologie génétique, ne s’applique pas aux faits sociogénétiques.
    On tient là vraisemblablement une des raisons qui font que Piaget n’a pas investi le domaine de la sociologie comme il a investi celui de la psychologie, et que, lorsqu’il l’a étudié la réalité sociale, il s’est exclusivement intéressé à des domaines dans lesquels l’équilibre atteint par un système puisse être conçu comme le résultat d’une marche vers l’équilibre.
Il est un autre point sur lequel la comparaison entre les explications psychologiques et sociologiques est éclairante. Il concerne le type de structure que l’on constate dans chacun de ces domaines: les rythmes, les régulations et les groupements.
    Que les rythmes traversent le fonctionnement des sociétés autant que celui des individus est bien connu. Il suffit de penser au rythme des événements sociaux liés aux grandes étapes de la vie d’un individu, ou encore le rythme des travaux dépendant du cycle des saisons. De même les régulations interviennent de façon massive sur le plan sociologique, notamment en économie.

    Pour ce qui est des groupements, contrairement à ce qui se passe sur le plan psychologique, leur présence est beaucoup plus discrète en sociologie et n’intervient que sur le terrain des règles et des valeurs normatives.
Sauf sur ce dernier terrain des règes et des valeurs normatives, on ne trouve pas en sociologie cette vection constatée sur le plan du développement cognitif dans lequel on voit des phénomènes essentiellement rythmiques céder d’importance face aux régulations puis aux groupements.

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Action et conscience

Si les explications sociologiques sont le plus souvent différentes des explications psychologiques, il est un point pourtant où elles peuvent se rejoindre: l’articulation de la dimension causale des actions et de la dimension implicatrice des faits de conscience liés à ces actions.

Mais l’articulation de ces deux dimensions se complique dans le domaine social, en ce que leur rapport peut se situer au niveau du tout social, ou des individus qui le composent ou encore des interactions sociales. Les rapports de l’action et de la conscience au sein de l’explication sociologique se répartissent alors en trois tendances selon le poids qui est attribué à l’un ou à l’autre de ces trois niveaux.

La première tendance est illustrée par Durkheim, qui centre presque exclusivement le point de vue de la totalité. Le tout social est pour lui une force, mais aussi un système d’implications. Il explique la différenciation sociale par une cause démographique, en minimisant d’ailleurs les facteurs économiques. Mais il accorde aussi un grand rôle à la conscience collective et au sentiment du sacré dans la genèse des faits sociaux.

La tendance privilégiant le facteur individuel est illustrée par Pareto. Celui-ci n’ignore pas le rôle des interactions, mais situe en amont de celles-ci des forces composées de tendances, d’intérêts ou de "résidus" innés ("instinctifs") qui s’équilibreraient lors de ces interactions. Ces forces se manifestent dans la conscience des individus «sous la forme de sentiments et mêmes d’idées [...], c’est-à-dire d’implications de tout genre» (JP65a, p. 47). Les normes, la logique, etc., ne seraient de ce point de vue que la représentation idéologique de ces constantes individuelles innées.

Enfin la troisième orientation est celle de Marx, qui adopte comme point de départ celui de linteraction et de la conduite, et qui conçoit que les rapports entre causalité et implication peuvent changer au cours de l’histoire, la conscience jouant un rôle explicatif de plus en plus grand.

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[…] les axiomes d’Euclide expriment des vérités logiques ou métriques acquises au niveau seulement des opérations concrètes et sans signification générale dans les domaines antérieurs, tandis que l’axiomatique véritable des modernes atteint les racines psychologiques de l’espace, en particulier sur le terrain topologique.