Fondation Jean Piaget

Formation en histoire naturelle et en biologie

L’apprentissage avec Paul Godet

En 1907, Piaget a onze ans. Cet enfant, qui entre au seuil de l’adolescence, se passionne, comme beaucoup d’autres de son âge, pour une activité, observer les êtres vivants, dont il ne sait pas encore qu’elle le conduira à créer une discipline, l’épistémologie génétique, qui est en un sens la continuation sur un nouveau plan des modestes mais très précis travaux qu’il commence à réaliser en histoire naturelle.

Le parcours intellectuel de cet enfant appelé à devenir l’un des plus grands savants de ce siècle est dès le début exemplaire, et l’on aimerait que les sciences pédagogiques s’inspirent de cette leçon apportée par les premiers pas de Piaget dans une vie qui sera consacrée à la science. Bien sûr celui-ci était un gosse intelligent, qui n’avait aucun problème scolaire. Mais comme il le reconnaît lui-même, les adultes qui l’entouraient, son père, son "tuteur" en science, le vieux Paul Godet, puis, plus tard, la direction du gymnase de Neuchâtel, ont permis à cette intelligence de tracer son chemin à son propre rythme, guidée par ses seules passions, avec simplement ça et là de fructueux conseils susceptibles de l’aider à s’orienter dans la lente assimilation de l’histoire naturelle, puis de la biologie et de la philosophie...

Le parcours de Piaget, qui s’esquisse ici et qui ensuite traversera les trois quarts de ce siècle peut aussi tre vu comme un éloge de la lenteur, de la patience et de la ténacité!

La première publication

En juillet 1907, l’enfant envoie au Rameau de Sapin, une revue neuchâteloise destinée à développer l’intérêt des jeunes gens pour l’étude de la nature, quelques lignes qui décrivent un moineau albinos vu par lui près de l’hôpital de Neuchâtel (doc. 8). C’est là la toute première publication d’une oeuvre qui en contiendra des centaines!

Le texte sur le moineau albinos sera suivi par d’autres, dans lesquels il ne sera plus question d’oiseaux, mais de mollusques. Que serait-il advenu si au lieu de se passionner pour ces derniers, son intérêt s’était arrêté aux oiseaux? Impossible de le savoir. Mais ce qui est sûr, c’est qu’en 1907 il fouille les revues d’histoire naturelle (il cite un numéro de 1868 du Rameau de Sapin) et apprend ce faisant tout l’intérêt qu’il y a à décrire avec quelque précision les êtres vivants. Ce qui est aussi certain, c’est que la "pulsion" de l’écriture est déjà présente, puisque, avant même d’envoyer son premier "article" au Rameau de Sapin, l’enfant a rédigé un premier "livre" intitulé "Nos oiseaux", que son père jugea, avec très probablement une bienveillante ironie, n’être qu’une "compilation" (JP76a, p. 2).

La protection de Paul Godet

Mais 1907, qui est décidément une année charnière, voit également un autre événement d’importance, qui, plus encore que le premier, va jouer un rôle déterminant pour la suite. Il reçoit en octobre l’autorisation de Paul Godet, le directeur du musée d’histoire naturelle de Neuchâtel de venir consulter régulièrement ses collections. Une fois par semaine ou presque Piaget se rendra dès lors au musée, aidera son directeur, qui l’a pris sous sa protection, à ranger des coquilles de mollusques, et recevra en retour des spécimens pour enrichir sa collection personnelle, ainsi que de précieux conseils pour le travail à accomplir.

Auprès de Godet, c’est toute l’histoire naturelle que l’enfant découvre, le plaisir de classer les formes biologiques, d’apprendre à connaître leur lien de parenté, d’enrichir le nombre de variétés connues, etc. On imagine sans peine que lorsque le temps le permet, ce travail au musée se double de longues marches dans la nature pour y découvrir ces coquilles de mollusques qu’il a charge d’étiqueter et de cataloguer. Pris par cette tâche, l’enfant ignore encore les délicates questions que peut poser l’étude des mollusques. La biologie est encore absente de son horizon intellectuel.

Premier écrit sur un mollusque

C’est en avril 1909 qu’est publié, toujours dans Le Rameau de Sapin, le premier article "scientifique" du jeune Piaget (doc. 9). Celui-ci n’a que douze ans et demi environ, mais ce n’est manifestement plus un enfant qui écrit; la qualité de rédaction est déjà celle d’un chercheur, certes débutant. En plus du fait que l’on découvre dans ces quelques lignes des précisions taxonomiques que l’on serait bien en peine de trouver chez des adolescents de cet âge (l’apprentissage auprès de Godet porte ses fruits), on y découvre surtout un style d’écriture («quel ne fut pas mon étonnement...» etc.), une sûreté dans le jugement et dans l’attitude intellectuelle («Il est probable que...») qui laissent déjà deviner le futur savant. Ce premier article est suivi en 1910 d’un second, portant lui aussi sur les mollusques, et qui confirme le sérieux du travail accompli par l’adolescent en malacologie.

La reconnaissance scientifique

Lorsque Godet meurt, en 1911, Piaget a passé près de quatre années auprès de lui. Sa connaissance de la malacologie s’est considérablement enrichie, au point que, lors de la disparition de son "tuteur", il aurait pu tre son successeur tout désigné, s’il n’avait pas eu moins de quinze ans! C’est si vrai que le nouveau directeur, Otto Fuhrman, professeur de zoologie, comptera à son tour sur le jeune collaborateur du musée pour continuer auprès de lui le travail sur la faune conchyliologique commencé sous la direction de Godet.

En 1911, le savoir et la maîtrise acquis sont suffisamment grands, pour que l’adolescent puisse envisager de publier des articles scientifiques complets dans des ouvrages reconnus de science naturelle. La majorité des savants avec lesquels il échange un volumineux courrier ignore son âge. Dans son autobiographie, Piaget raconte ce qui s’est passé lorsque certains d’entre eux l’ont découvert. La plupart ont continué à le considérer comme leur pair. D’autres au contraire se vexeront et refuseront ce qu’ils acceptaient jusqu’alors...

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Il peut en effet exister un certain nombre de « sagesses » différentes et cependant toutes valables, tandis que, pour le savoir, il ne saurait subsister sur chaque point qu’une seule connaissance « vraie », si approximative soit-elle et relative à un niveau donné de son élaboration.