Fondation Jean Piaget

Objet permanent


Employé dans le contexte des études sur la "construction de l’objet" (JP37), le terme "objet" doit être entendu dans le sens foncièrement épistémologique que lui a donné Kant (c’est-à-dire conçu en tant que terme d’un acte de connaissance).

Il s’agit de ce qui apparaît au sujet comme quelque chose de relativement indépendant par rapport à ses actions, ou plus précisément de la permanence que conçoit le sujet à propos d’une réalité présente ou absente, et de la capacité qu’il a de représenter l’objet absent.

Les études sur la construction du réel chez l’enfant (lors des deux premières années de la vie) montrent que l’enfant n’acquiert cette notion que progressivement (), et en relation étroite avec l’acquisition des concepts de temps, d’espace et de causalité liées à l’intelligence sensori-motrice, ainsi qu’avec celle de la fonction sémiotique.

Ces études montrent plus précisément que ce n’est qu’au sixième stade de développement de l’intelligence sensori-motrice que le bébé conçoit l’objet comme existant dans un univers spatio-temporel doté de propriétés objectives stables, liées à des groupements d’actions et de déplacements obéissant à des lois de structure qui annoncent sur le plan de l’action (et des notions qui y sont liées) les futurs groupements de la pensée opératoire.
    «Durant les premiers mois, l’objet n’existe [...] pas en dehors de l’action et l’action seule lui confère ses qualités constantes. A l’autre extrême [vers une année et demie...] l’objet est conçu comme une substance permanente, indépendante de l’activité du moi, et que l’action retrouve à condition de se soumettre à certaines lois extérieures à elle. Bien plus, le sujet n’occupe plus le centre du monde [...] il se situe lui-même à titre d’objet parmi les autres objets et devient partie intégrante de l’univers qu’il a construit» (JP37, p. 86).
C’est alors, et alors seulement, que l’on peut pleinement parler d’objet permanent à propos de la notion d’objet que construit progressivement l’enfant.

Les conditions épistémologiques de l’acquisition de la notion d’objet

Le travail de Piaget sur la construction de l’objet permanent prolonge très directement les anciens travaux de Kant:
    La notion d’objet au sens de réalité extérieure et permanente ne se conçoit pas sans repérage dans le temps et dans l’espace, sans la notion apriori de l’unité (il y a là un objet conçu comme un, en dépit et au delà des modifications de son apparence), et sans la capacité d’un schème d’unir l’entendement (la notion) et la perception. Seule est laissée dans l’ombre l’unité synthétique du sujet qui, selon Kant, rend possible la saisie du divers dans l’entendement, c’est-à-dire l’assimilation de multiples apparences à la notion d’un objet.
Pour penser l’objet comme continuant d’exister dans un lieu précis de l’espace et comme pouvant continuer d’exister dans le temps, alors même que l’enfant ne possède plus d’indices directs attestant son existence ni de perceptions directes de ses déplacements, il faut non seulement que l’univers auquel cet objet est rattaché soit considéré comme stable, c’est-à-dire conçu comme obéissant à des lois; il faut aussi que cet objet soit représenté par un signifiant n’ayant plus de rapport de causalité ou d’appartenance avec lui (ce signifiant peut être pourtant le schème d’assimilation de l’objet lui-même, et plus précisément la dimension d’accommodation du schème à l’objet considéré, qui fournit l’image en négatif de celui-ci).

En définitive, lorsque comme adultes, et en particulier comme adultes psychologues, nous parlons des objets présents dans le champ de perception d’un bébé, nous devons être attentifs à ne pas projeter dans l’esprit de l’enfant notre propre notion, du moins si nous voulons respecter et comprendre, autant que faire se peut, la vision que (selon le constructivisme) l’enfant peut avoir de sa réalité.

Au sens strict du terme, ce qui apparaît à l’enfant dans les semaines et les mois qui suivent sa naissance ne sont pas des objets au sens où nous, adultes, le concevons et le percevons, ce ne sont, pour reprendre les termes de Piaget, que des "tableaux sensoriels".

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[…] l’histoire nous enseigne que les mots « toujours » ou « jamais » sont à exclure du vocabulaire de l’épistémologie génétique.