Fondation Jean Piaget

Le temps sensori-moteur


Le problème de l’acquisition de la notion de temps

Les travaux et les thèses de Piaget sur les débuts de la construction du temps chez l’enfant peuvent difficilement se comprendre si l’on omet de considérer les auteurs qui ont nourri son approche de la notion de temps:
    Bergson, dont il retient l’idée de la durée des activités psychologiques,

    Kant, dont il adapte la conception du temps comme cadre organisateur apriori permettant d’y ordonner phénomènes extérieurs et souvenirs, et de juger la durée des événements,

    Brunschvicg, auteur qui a certainement le plus influencé le travail sur les débuts de la construction du champ temporel chez l’enfant, et dont il retient plus particulièrement l’idée selon laquelle le temps, tissu de relations liant les phénomènes, est le résultat d’une construction essentiellement intellectuelle (et donc psychologique).
A ces noms il faut ajouter celui de Janet, auteur dont Piaget mentionne plusieurs fois la thèse assimilant les sentiments temporels (attente, ennui, etc.) à des conduites de régulation de l’action, telles que commencer ou terminer une action, ou encore ralentir, prolonger, ou accélérer le déroulement d’une action en vue d’en permettre la réussite.

Ces réglages actifs de l’action offrent en effet une bonne opportunité de prise de conscience de la temporalité de l’action modulée (par exemple de sa durée).

Mais quand bien même les régulations de l’action comportent une dimension temporelle (durée de la suspension d’une action, etc.), il n’est pas possible d’identifier celle-ci au temps objectif, seul véritable objet de l’enquête piagétienne.

Montrer comment la conscience du début ou de la fin d’une action peut apparaître chez l’enfant n’est pas encore montrer comment cet enfant acquiert la notion de temps objectif. En dépit de leur caractère éclairant, les fines analyses psychologiques de Janet ne suffisent donc pas à résoudre le problème posé par Piaget, et préalablement traité par Kant et Brunschvicg.

Remarque à propos de l’étude du temps sensori-moteur

La construction du temps sensori-moteur est étudiée dans l’ouvrage sur "La construction du réel chez l’enfant" (JP37). Le quatrième chapitre, qui lui est consacré, est bref et la description des conduites et des notions qui leur sont attachées est souvent sommaire.

En dépit du caractère quelque peu lacunaire des analyses et des descriptions livrées dans ce chapitre, Piaget a ici ouvert une voie dont l’exploration mériterait d’être poursuivie, pour comprendre de manière encore plus fine et précise par quels processus et cheminements le bébé crée une conscience élémentaire du temps qui lui permet, d’abord, de saisir la succession de ses actions et de ses perceptions, puis celle des événements, et qui lui permet également d’estimer leur durée (par exemple dans les contextes de régulation de l’action décrits par Janet).

Une telle exploration pourrait aussi montrer comment la création de cette première conscience du temps peut former la base de la construction ultérieure de la pensée du temps, dont l’un des points d’arrivée possibles sera alors la capacité de l’adulte, non seulement de placer les événements dans le temps le plus éloigné comme le plus proche, ou de mesurer leur durée objective, mais aussi, chez le philosophe ou le psychologue, de reconnaître le caractère temporel, voire la nécessaire durée, des activités psychologiques les plus primitives.

En bref, si, comme le suggèrent les analyses un peu sibyllines de l’ouvrage sur la construction du réel, le temps lié à cette construction est constitutif d’un "champ temporel objectif", assimilable à une première "forme apriori de la sensibilité" (au sens kantien) encore non séparée des contenus qu’elle informe et réunit, alors il vaudrait la peine d’examiner dans quelle mesure, et comment, le processus d’abstraction réfléchissante intervient dans la construction du temps homogène, ou si l’on veut de la "ligne du temps" telle que la pense l’adulte des sociétés modernes.

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La pensée biologique est aussi réaliste que la pensée mathématique est idéaliste. La déduction ne joue, en effet, qu’un rôle minimum dans la construction des connaissances biologiques, et cela dans la mesure où la réalité vivante est liée à une histoire. L’observation et l’expérimentation constituent ainsi les sources essentielles du savoir biologique et il ne vient à l’esprit d’aucun biologiste de considérer l’objet de ses recherches comme le produit de ses propres opérations mentales (sauf en ce qui concerne les coupures en partie conventionnelles de la classification).