Fondation Jean Piaget

Logique concrète


Originalité des recherches sur la logique concrète

Depuis Aristote, il est de tradition en science de la logique de considérer comme objet premier de cette discipline les propositions et leur statut de vérité. Par exemple, de ce que les propositions "les hommes sont mortels" et "Socrate est un homme" sont supposées vraies, la logique nous enseigne que la conclusion que l’on en tire selon laquelle "Socrate est mortel" est une proposition valide.

Le sens commun le dit bien d’ailleurs lorsqu’il affirme que telle personne qui aligne impeccablement ses arguments est dotée de sens logique. Mais là ne réside pas la seule façon d’aborder la "logique de la pensée".

Antériorité de l’action sur la proposition

En prenant pour objet d’étude psychogénétique, non pas d’abord une logique des propositions fort abstraite (puisque l’objet "proposition" ne s’impose que progressivement la conscience) et telle qu’elle se manifeste avec vigueur dans les joutes verbales de l’adolescence, mais une logique qu’il qualifie alors de concrète, dans la mesure où elle a pour objet les matériaux concrets du monde, réunis en classes logiques ou reliés par des relations variées, Piaget adopte une position qui respecte la genèse des compétences et des savoirs logiques.

Il apparaît même que la logique concrète, c’est-à-dire les opérations par lesquelles la pensée classe ou met en relation, selon des lois particulières, les objets ou les phénomènes appréhendés par l’expérience ainsi que les notions et les affirmations qui l’accompagnent, est, dans cette optique, précédée par une logique de l’action liée aux schèmes sensori-moteurs et à leur coordination.

En ce qui concerne cette logique concrète et sa genèse chez l’enfant, on notera qu’il s’agit, pour Piaget, d’une logique opératoire (et d’abord préopératoire), dans laquelle les actions logiques de l’enfant, effectives ou mentales, ne sont jamais perdues de vue. Ces actions se partagent en deux familles: agir sur des classes logiques et agir sur des relations logiques.

Tout schème est en un sens constitutif d’une classe logique par l’assimilation qui est faite des objets extérieurs reconnus comme "aliments" du schème. Le bébé qui assimile un certain nombre d’objets au schème de la succion réunit virtuellement ces objets dans la classe des objets à sucer.

Seulement pour qu’une telle classe existe réellement et fasse sens en tant que telle pour l’enfant, c’est-à-dire pour que celui-ci ait à l’esprit "les objets à sucer" et non pas un objet, puis un autre, etc., au fur et à mesure qu’il procède à leur assimilation, un certain nombre de conditions sont nécessaires.

L’un des résultats principaux des études psychogénétiques sera de montrer que ces conditions se réduisent à la construction des opérations portant sur les classes en tant que telles: l’addition et la soustraction des classes (par exemple l’addition logique de classes de fleurs), leur multiplication logique, etc., toutes opérations dont les logiciens du début du siècle, héritiers de la logique de Leibniz, avaient formulé la théorie.

Ce qui est tout à fait capital dans la lumière jetée par Piaget sur la pensée logique concrète, c’est ce rapport constitutif qui existe entre les opérations sur les classes et la notion complète de classe logique. Et il en va de même pour la notion de relation logique, qui ne prend son sens complet que grâce à l’achèvement de la construction des opérations portant sur les relations.

La logique concrète et les propositions logiques

Une précision doit encore être apportée sur les rapports de la logique concrète, élaborée entre six et dix ans environ, et la logique des propositions, construite au début de l’adolescence.

Le fait que la logique concrète ne soit pas une logique des propositions ne signifie pas que l’enfant ne recourt pas à des propositions. L’enfant de huit ans qui affirme au psychologue qui l’interroge que "tel objet est plus grand que tel autre" recourt bien à une proposition pour communiquer sa pensée. Mais il n’opère pas sur des propositions. Il peut certes les relier de manière intuitive. Mais alors cette activité relève de la logique des propositions dont elle fournit les premiers stades.

Les problèmes posés aux enfants

Pour étudier le développement de la logique concrète, Piaget et ses collaborateurs ont présenté aux enfants différents ensembles d’objets (des formes géométriques, des dessins représentant des animaux ou des fleurs, des bâtons de longueurs variées, etc.) et leur ont demandé de les classer, ou bien de les ranger par ordre de grandeur, etc. (JP59).

Les réponses des enfants ont permis aux psychologues de découvrir les stades franchis par les sujets pour maîtriser des opérations telles que l’inclusion des classes ou encore la sériation de baguettes de différentes longueurs, et ce sont ces stades que nous exposons sommairement dans les sections suivantes.

Avant d’exposer ces stades, il convient de souligner le fait que les problèmes de mises en relation logique auxquels les enfants sont soumis portent pour l’essentiel sur les relations asymétriques telles que celle de longueur (un bâton plus long qu’un autre, etc.*). Comme Piaget l’a constaté dans ses travaux de logistique opératoire, les opérations portant sur les relations symétriques reviennent en effet à considérer des classes d’objets.

Il faut également observer que la logique des relations déborde largement le terrain des recherches sur le développement des structures logiques élémentaires (JP59), puisque de fait les opérations qui lui sont relatives ne cessent d’intervenir dans la totalité des autres champs de la pensée. Ainsi des problèmes portant sur la transitivité de la relation de poids pourront-ils par exemple être abordés dans le contexte des études sur le développement des quantités physiques.

Contrairement donc à l’examen de la logique des classes, celui de la logique des relations a des implications sur la totalité des autres chapitres de la psychologie génétique. C’est là un constat qui rejoint celui que les mathématiciens et les logiciens de la fin du dix-neuvième siècle faisait à propos de cette logique longtemps ignorée par les savants et les philosophes du passé.

[*] Nous plaçons provisoirement sur cette page, à des fins de test de construction du site, les stades de résolution de l'épreuve de les trois stades de la sériation des baguettes...

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[…] c’est donc une question dépourvue de sens de se demander si la logique ou les mathématiques sont en leur essence individuelles ou sociales: le sujet épistémique qui les construit est à la fois un individu, mais décentré par rapport à son moi particulier, et le secteur du groupe social décentré par rapport aux idoles contraignantes de la tribu, parce que ces deux sortes de décentrations manifestent l’une et l’autre les mêmes interactions intellectuelles ou coordinations générales de l’action qui constituent la connaissance.