Fondation Jean Piaget

Stade 1: "Numérosité spatiale"

Absence de toute notion de conservation
Absence de rapport entre les notions d’ordinal et de cardinal
Recherches sur les opérations numériques


Absence de toute notion de conservation

Lorsque l’on demande à un enfant du premier stade de placer autant d’oeufs que de coquetiers, la réponse typique que l’on peut observer est la suivante:
    Le sujet va placer devant ceux-ci une rangée d’oeufs de même longueur que celle des coquetiers, mais contenant beaucoup plus d’oeufs (fig. 6).
Mais si on lui demande ensuite de mettre les oeufs posés sur la table dans les coquetiers, il est probable qu’il affirmera que, en effet, il n’y a pas la même chose d’oeufs que de coquetiers, puisqu’il reste des oeufs sur la table.

En écartant ces derniers, le psychologue et l’enfant pourront pourtant facilement se mettre d’accord sur le fait, logique pour l’un, empirique pour l’autre, qu’il y a maintenant la même chose d’oeufs que de coquetiers, le psychologue, parce qu’il est supposé avoir acquis la notion opératoire de nombre, et l’enfant, parce qu’il voit bien qu’il y a un oeuf pour chaque coquetier et vice et versa.

Le nombre que connaît l’enfant de ce stade est une "numérosité perçue", très peu différenciée de l’espace et proche de celle que peut déjà reconnaître l’animal.

Mais, dernière étape de cette expérience mille fois répétée, il suffira au psychologue de prendre les oeufs et de les placer en tas sur la table pour que l’enfant affirme aussitôt qu’il y a maintenant plus de coquetiers, parce que la ligne qu’ils forment est longue; puis il suffira d’écarter les oeufs de telle façon qu’ils forment à leur tour une ligne plus longue que celle des coquetiers pour que, automatiquement, il y ait aux yeux de l’enfant plus d’oeufs que de coquetiers.

Signification de cette expérience

Les réponses classiquement obtenue chez l’enfant de ce stade ne signifie pas que celui-ci n’a aucune idée du nombre. Elles révèlent simplement que la notion empirique du nombre, basée sur les expériences pratiques, perceptives et discursives du sujet avec les objets et les personnes de son environnement, n’a pas les caractéristiques du nombre mathématique, notamment les propriétés d’indépendance par rapport à l’espace occupé, et de conservation (le nombre d’une collection reste invariant à moins que l’on ajoute ou que l’on enlève des éléments à cette collection).

Ce caractère empirique des nombre acquis par l’enfant entre deux et six ans est confirmé par un certain nombre d’expériences sur l’apprentissage des structures opératoires qui ont été réalisées au centre international d’épistémologie génétique dans les années cinquante, notamment par Wohlwill (EEG9).

Peut-on acquérir par apprentissage la notion de nombre?

Les expériences d’apprentissage réalisées avec des animaux, par exemple avec des pigeons, montrent que l’on peut sans doute apprendre à un jeune enfant à reconnaître une collection de, disons, cinq objets, cela quel que soit leur placement dans l’espace perçu, en lui permettant ce faisant d’attribuer une certaine indépendance au "nombre" par rapport à l’espace occupé par la collection.

Mais cela ne signifie pas pour autant que l’enfant aurait acquis la conservation du nombre. Sa notion du nombre resterait certainement de nature empirique et perceptive, du moins si l’on en croit l’expérience de Wohlwill :
    L’enfant de quatre à cinq ans, qui apprend à faire correspondre correctement des cartes comportant deux, trois ou quatre points à des cartes sur lesquelles le même nombre de points sont présents, mais localisés différemment, n’en continue en effet pas moins à échouer au problème des oeufs et des coquetiers.
Ce que peut faire pourtant un apprentissage plus subtil que ceux qui ont occupé les psychologues expérimentalistes pendant des décennies, c’est accélérer un peu le passage au second stade chez l’enfant du premier stade (ou le passage au troisième stade chez l’enfant du deuxième stade).

Cet apprentissage dit "opératoire" revient non pas à procéder à de simples lectures de l’expérience ou à l’utilisation de la "carotte ou du bâton", comme dans les apprentissages classiques, mais à faire exercer à l’enfant les activités qui, au cours du stade ultérieur, lui permettront de résoudre des problèmes numériques de façon plus conforme à ce qu’implique l’acquisition du nombre opératoire (c’est-à-dire de ce nombre que tout adulte emploie chaque jour, mais sans plus se soucier de sa signification mathématique, contrairement à l’enfant qu’il était lorsqu’il procédait à sa construction).

Haut de page

Absence de rapport entre les notions d’ordinal et de cardinal

Pour étudier les rapports du nombre cardinal et du nombre ordinal chez l’enfant, le psychologue utilise, entre autres, l’expérience suivante.

Après avoir demandé aux sujets de sérier des bâtons par ordre de grandeur croissante pour faire un escalier, ou après avoir aidé les plus jeunes à le faire (comme le montrent les études sur la logique concrète, l’enfant de ce stade ne sait en effet pas spontanément sérier des baguettes ou commet des erreurs), le psychologue leur demande combien d’escaliers a franchi une poupée arrivée à tel ou tel bâton (fig. 7).

On ne sera pas surpris qu’à ce niveau l’enfant réponde à ce genre de question sans chercher à connaître le rang de la marche atteinte par la poupée. Lorsqu’il donne une réponse, celle-ci est basée sur une estimation arbitraire ou empirique qui montre l’absence d’une compréhension, même rudimentaire, d’un rapport entre les nombres cardinaux et ordinaux.

Bien sûr, comme pour la conservation, il sera toujours possible de réaliser des apprentissages permettant aux jeunes enfants de fournir les réponses attendues à des situations dans lesquelles quelques éléments sont ajoutés à d’autres éléments, ou dans lesquelles il s’agit de donner le chiffre correspondant au nombre d’escaliers franchis par une poupée se trouvant sur telle ou telle marche.

Mais il est peu de psychologues ou de pédagogues qui affirmeraient aujourd’hui que de tels apprentissages conduiraient aux sortes de notions et d’opérations qui résultent de la construction spontanée ou autonome du nombre et des opérations arithmétiques chez l’enfant (spontanéité qui ne signifie pas que les échanges avec l’adulte ou avec les enfants plus âgés ne puissent aider l’enfant à réaliser cette construction du nombre).

Haut de page

Recherches sur les opérations numériques

En plus des expériences portant sur la notion de conservation numérique ou celles portant sur les rapports entre les nombres ordinaux et cardinaux, un autre type d’expérience concerne explicitement la compréhension des opérations numériques (l’addition et la multiplication, ainsi que leur inverse).

L’addition numérique

Pour l’addition, on présente par exemple à l’enfant deux collections de 4 et 4 graines de haricots supposées représenter le goûter du matin et celui de l’après-midi que lui donne chaque jour sa maman. Mais certains jours, l’enfant ne mange pas les 4 haricots le matin; il en mange par exemple 1 et garde les autres pour l’après-midi. L’enfant comprend-il que (4+4) = (1+7), ou (2+6), etc.?

Les réponses du premier stade sont conformes à ce qui est observé dans le cas de l’expérience de conservation: l’enfant donne des réponses basées sur la longueur des collections. Il affirme ainsi généralement qu’il y en a plus le jour où il en mange (1+7), parce 7 haricots forment un gros paquet.

La multiplication numérique

Quant à la multiplication numérique, qui consiste en la composition de plusieurs correspondances terme à terme, elle est étudiée au moyen de situations telles que la suivante:
    On demande à l’enfant de mettre sur la table la même chose de marguerites qu’il y a de vases à fleurs (dix), puis la même chose de tulipes qu’il y a de vases; puis on lui demande combien il y aura de fleurs par vase, si on met le même nombre de fleurs par vase et si l’on prend toutes les fleurs qu’il y a sur la table (c’est-à-dire vingt fleurs); (fig. 8)

    Ou bien on lui demande combien il faudrait en tout de pots (et non plus de vases) de fleurs si, prenant toutes les fleurs que l’enfant a mis en correspondance, on voulait mettre une fleurs par pot (fig. 8).
L’enfant de ce stade ne peut pas anticiper combien il y aura en tout de fleurs par vases, ni combien il faudra prendre de pots. Un comportement type consistera par exemple à aligner dix pots à côté des vases, puis constatant que cela ne suffit pas, il en ajoutera de nouveaux (un nombre arbitraire), mais sans aucun essai de composer les relations en jeu.

Haut de page







[…] le but de l’enseignement des mathématiques reste toujours d’atteindre la rigueur logique ainsi que la compréhension d’un formalisme suffisant, mais seule la psychologie est en état de fournir aux pédagogues les données sur la manière dont cette rigueur et ce formalisme seront obtenus le plus sûrement.