Fondation Jean Piaget

Stade 2: Préopérations topologiques, projectives et euclidiennes

Généralités
Les préopérations topologiques
Espaces projectifs et métriques préopératoires


Généralités

Le second stade du développement de la représentation et de sa mesure spatiale se caractérise d’abord, de façon la plus générale, par l’apparition des premières notions d’espace projectif et d’espace euclidien, ce qui signifie la première prise en considération de rapports spatiaux relevant de l’interfigural.

L’analyse des conduites et des réponses des enfants aux multiples problèmes dans lesquels sont impliquées des propriétés projectives ou métriques montre que l’apparition de ces notions, ainsi que la capacité de concevoir les rapports spatiaux reliant différentes figures ou différents objets, dépendent de la capacité de coordonner, grâce à des préopérations variées (rotation, translation, section, etc.), les déplacements, les formes ou les orientations de ces objets.

Ces coordinations préopératoires de déplacements, de "trans-formations" et d’orientations (ou directions) se traduisent par l’apparition de la notion ou de l’intuition apriori d’un contenant spatial unique et indifférencié dans lequel le sujet imagine et croit pouvoir constater les placements et les déplacements des objets, lui-même compris, mais qui reste alors pourtant centrée sur sa propre position dans l’espace.

C’est seulement au troisième stade, lorsque l’enfant saura soumettre déplacements et orientations à des opérations composées en groupements et groupes homogènes, qu’il atteindra la forme apriori "achevée" de la sensibilité et de la représentation spatiales qui sous-tend le rapport de l’être humain aux propriétés et aux formes spatiales des objets, représentées autant que perçues.

Notons enfin que l’apparition des préopérations spatiales n’est pas seulement propre aux représentations projectives et euclidiennes de lespace. Ce sont les rapports topologiques entre partie d’objets ou de scènes qui peuvent dès lors aussi être reliées par des préopérations variées (mises en ordre partielles des rapports de voisinage, etc.).

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Les préopérations topologiques

Le progrès que manifeste l’enfant de ce stade dans la considération des rapports topologiques est évident lorsque l’on considère les solutions qu’il donne au problème de fabriquer un collier dont l’ordre des perles doit être à ses yeux semblable à l’ordre des perles d’un modèle placé devant lui (fig. 15):
    Il parvient à fabriquer un tel collier. Par contre il ne peut pas construire un collier dont l’ordre des perles serait inverse de celui du modèle, ce qui montre l’absence des opérations topologiques qui, lors du prochain stade, lui permettront une telle fabrication.
L’examen, chez l’enfant, de la notion de continu, caractéristique également fondamentale du topologique, confirme cette absence des opérations topologiques, en l’occurrence l’absence des opérations de partition et de recomposition d’une totalité telle qu’un segment de droite ou une surface.
    Si l’on demande à un enfant de cinq ans environ de couper ces totalités en deux, puis de les couper une nouvelle fois, et ainsi de suite (fig. 11), il arrive un moment où il affirme que l’on est parvenu ainsi à un tout petit segment ou à une toute petite surface qui reste visible, mais que l’on ne peut plus sectionner.

    En sens inverse, cet enfant n’a pas la possibilité de comprendre un segment de droite comme résultant de la composition d’une infinité de points.

    Si d’ailleurs, au cours de la décomposition, un sujet peut finir par admettre que, visiblement, les petits bouts de segments ou de surface deviennent des points (du point de vue perceptif), il en conclut alors qu’il n’est plus possible de reconstituer la ligne ou la surface initiale (des points visibles qui se touchent ne constituent en effet pas un segment de droite pour la perception sur laquelle le sujet base ses jugements).


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Espaces projectifs et métriques préopératoires

Que l’enfant de ce stade ne soit plus seulement guidé dans sa représentation de l’espace par des notions exclusivement topologiques, une preuve en est fournie par la réaction qu’il manifeste vers cinq ans environ au problème de reconnaître avec ses mains un objet caché.

Il ne se contente plus de palper de manière très grossière l’objet mis entre ses mains, mais il suit de manière précise le contour de l’objet senti et parvient ainsi à désigner l’objet extérieur qui lui est identique, ou bien un objet qui s’en rapproche en raison de caractéristiques qui échappent au topologique élémentaire (la présence de pointes, de courbures de formes variées, de droites, etc.).

De même cet enfant commence-t-il à être sensible au caractère projectif ou euclidien des objets qu’il dessine: il cherche ainsi à représenter le fait que l’objet est vu de face, ou de côté, etc., et il commence aussi à tenir compte des rapports de grandeur.

Si, par exemple, on demande au sujet de représenter la forme que prend un cercle lorsqu’on l’incline, il s’efforce de tenir compte des effets de l’inclinaison et dessine, par exemple, un cercle plus petit; ou bien encore il souhaite, mais ne sait pas, représenter deux rails parallèles qui s’éloignent de lui.

Mais toutes les réponses données aux problèmes de reconnaissance de formes ou de dessins restent approximatives, ce qui montre l’absence des opérations projectives et métriques.

Espace préeuclidien et coordonnées spatiales locales

Cette sensibilité qu’il manifeste aux propriétés projectives se manifeste aussi face au problème de poser des "poteaux électriques" en ligne droite, entre deux poteaux fixés par le psychologue.

Si ces derniers sont tous deux mis à une égale distance d’un même bord de la table, le sujet n’a plus aucune peine à résoudre le problème. Si, au contraire, ils sont chacun proche d’un bord différent, on voit alors l’enfant s’efforcer de placer ses poteaux sur une ligne droite, mais sans y parvenir. Sans savoir-faire opératoire (c’est-à-dire sans regroupements adéquats des différentes préopérations), il ne peut en effet que s’appuyer sur l’aide visuelle fournie par le bord près duquel se trouve chacun des poteaux d’arrivée et de départ (fig. 21).

On sait que pour maîtriser les déplacements d’un objet dans l’espace, il faut pouvoir les référer à un système fixe de coordonnées. On sait aussi que notre intuition euclidienne de l’espace est fortement structurée par le système naturel acquis sur le plan de l’action et composé des trois dimensions: haut-bas, derrière-devant et gauche-droite.

Comment l’enfant acquiert-il sur le plan de la représentation le système de coordonnées qui lui permettra de placer avec précision les objets dans l’espace, ou de mesurer leurs dimensions spatiales, ou les distances qui les séparent?

L’une des expériences utilisées pour étudier la construction d’un tel système est celle de l’horizontalité de l’eau. On demande au sujet de représenter ce que devient la surface de l’eau se trouvant dans un bocal rectangulaire (ainsi que la direction du mât d’un bateau flottant sur cette eau) lorsqu’on incline ce bocal (fig. 22).

Tant que l’enfant n’a pas construit la notion d’un espace unique, et la notion d’un système de référence attaché à cet espace (ce qui exige des regroupements adéquats de préopérations), il n’a pas le moyen de représenter correctement la direction de la surface de l’eau ni celle du mât.

Si, au premier stade, et conformément au primat du topologique, il se contentait de gribouiller l’eau à l’intérieur du bocal sans se préoccuper de la surface, au second stade, il utilise le seul référentiel dont il dispose alors, celui fourni par l’espace visible du bocal. Après inclinaison de celui-ci, il continue à représenter la surface de l’eau en fonction des bords du bocal, d’abord parallèlement à son fond, puis parallèlement au bord qui va du fond vers le goulot, et enfin en diagonale, mais sans que cette diagonale soit horizontale par rapport à notre espace euclidien (fig. 22) (horizontalité de l’eau 1)().

A considérer le nombre de fois où les enfants jouent avec des bocaux remplis d’eau et sont donc confrontés à l’horizontalité empirique constante de l’eau, on reste stupéfait de la nature des représentations qu’ils se font à ce stade, qui dure jusqu’à plus de sept ans. Voilà qui suffirait amplement à démontrer le caractère erroné des théories empiristes de l’apprentissage!

Les problèmes de conservation et de mesure spatiales

Les réponses préopératoires (au sens constructif de ce terme) des enfants aux problèmes de conservation montrent de plus que, comme les sujets du premier stade, ils continuent à croire que le déplacement des objets modifie leur longueur, leur surface ou leur volume.

Cependant ils ont maintenant la capacité de relier partiellement les données de l’expérience, et plus précisément les actions et préopérations de déplacement et leur résultats.

Cette capacité nouvelle, résultat d’un début d’abstraction réfléchissante par rapport aux actions effectives et à leur représentation imagée, les entraîne ainsi à corriger les conséquences de leurs jugements successifs, ce qui parfois débouche sur l’affirmation d’un jugement de conservation encore hésitant.

La mesure

Lorsqu’on demande à l’enfant de ce stade de construire une tour de même grandeur qu’une autre (fig. 20), il ne fait plus confiance à la seule estimation perceptive et cherche les moyens de s’assurer de l’égalité des deux tours. Mais il ne sait pas encore partager un tout en parties égales et n’a pas l’idée d’une partie unitaire dont le déplacement permettrait de garantir cette égalité.

Il procède alors de façon toute approximative, par exemple en mesurant la hauteur de la tour d’arrivée avec sa main (en écartant les doigts), puis en transportant sa main sur la tour qu’il est en train de construire.

Cette conduite ne signifie toutefois pas que les notions de distance et de longueur métriques soient acquises. Non seulement l’enfat continue de croire que l’égalité de longueur de deux bâtons peut être rompue lorsque le premier est, par exemple, déplacé à droite du second, mais il estime également que, si la distance entre deux objets ne varie pas forcément lorsqu’on place un obstacle entre eux, elle peut néanmoins le faire si l’on place un des deux objets plus haut que l’autre (la distance du plus haut au plus bas ne serait pas égale, selon eux, à la distance inverse).

On voit à travers ces quelques indications comment la mesure opératoire de l’espace est dépendante de la construction de la notion d’invariance spatiale. C’est ce genre de constatation qui donne sens aux conseils pédagogiques de Piaget lorsque celui-ci affirme la nécessité de tenir soigneusement compte de l’élaboration des notions qualitatives de l’espace dans l’enseignement de la géométrie.

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[…] il est impossible, à aucun niveau, de séparer l’objet du sujet. Seuls existent les rapports entre eux deux, mais ces rapports peuvent être plus ou moins centrés ou décentrés et c’est en cette inversion de sens que consiste le passage de la subjectivité à l’objectivité.