Fondation Jean Piaget

Stade 4: L’espace et la pensée formelle

La coordination de deux système de références
Le continu
Les proportions spatiales et le groupe INRC


La coordination de deux système de références

C’est dans les situations qui exigent la coordination de deux systèmes de référence ou de deux groupements d’opérations que les compétences formelles propres au quatrième stade se manifestent le plus clairement.

Un exemple de coordination de deux systèmes de référence est fourni par le problème de dessiner le tracé d’un point quelconque d’une roue qui se déplace sur une table.
    Les deux systmes dont il s’agit de coordonner les déplacements sont dans ce cas, d’une part, le mouvement de rotation du point autour du centre de la roue, et d’autre part, le mouvement de la roue sur la table.

    Ce double mouvement génère des cycloïdes (fig. 23), c’est-à-dire des sortes de demi-cercles étirés, de plus en plus plats au fur et à mesure que le point considéré est proche du centre de la roue, le point d’arrivée de chaque demi-cercle étiré étant le point de départ du suivant.
Les enfants du troisième stade, qui ne peuvent pas coordonner en un seul tout le mouvement de rotation de la roue et son mouvement de déplacement sur la table, dessinent des formes qui, soit indiquent de manière juxtaposée l’existence des deux mouvements (par exemple une suite de cercles reliés par des segments de droite: fig. 24), soit ne font que se rapprocher du dessin correct (des sortes de guirlandes, résultats d’une intuition restant alors imagée et non pas opératoire).

Par contre les enfants du quatrième stade n’ont, semble-t-il, aucune peine à déduire la forme générale correcte qui résulte des deux mouvements simultanés (fig. 23).

Le font-ils tous de façon instantanée, comme ces sujets dont Piaget et Inhelder nous rapportent les réponses? Ou bien cette coordination des systèmes se fait-elle plus laborieusement, à la façon des adultes, dont on peut parier que peu ont une vision instantanée de la solution? Peu importe ici. Le point essentiel est que cette solution ne peut en effet être atteinte que par la compréhension de la fusion des deux systèmes en un seul, compréhension rendue possible par la coordination des opérations et des notions en jeu.

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Le continu

Le continu et la pensée formelle

L’accès à la pensée formelle se caractérise de la façon la plus générale par la capacité que manifestent les sujets de se libérer du support imagé fourni par la réalité concrète. Un exemple de cette libération du support perceptif est précisément fourni par la notion opératoire du continu.

Jusqu’au troisième stade, le seul continu que pouvait se représenter l’enfant était celui fourni par la perception: la continuité des objets perçus. Les opérations concrètes de partition agissant sur ce continu parviennent certes à découper en morceaux de plus en plus petits ces objets, ainsi que les longueurs ou les surfaces. Mais, pour le sujet de ce stade, il n’est pas possible d’aller au delà des plus petites formes perceptibles, et celles-ci doivent conserver une forme permettant de reconstituer la totalité de départ. Conformément au caractère toujours concret de sa pensée, l’enfant ne peut faire l’hypothèse de points infiniment petits échappant à toute intuition imagée.

Ce n’est que lorsque le sujet insérera ses opérations concrètes dans un réseau d’opérations formelles agissant sur les premières qu’il pourra se représenter conceptuellement une réalité inimaginable, résultat d’une opération de partition qui peut toujours être poursuivie au delà des limites de l’intuition. Aussi loin que l’on sectionnera une ligne, les éléments résultant de la section contiendront un nombre infini de points.

Le continu intuitif imagé de la période des opérations concrètes se transforme pour donner naissance au continu opératoire; l’intuition imagée du continu devient cette intuition opératoire sur laquelle l’enfant pourra baser son apprentissage des mathématiques supérieures.

Le continu et la notion abstraite de volume

Cette capacité de concevoir des entités géométriques qui échappent à l’intuition imagée, et en particulier de concevoir le continu mathématique, a une conséquence essentielle pour la construction de la géométrie euclidienne.

C’est en effet la notion opératoire de continu qui conduit le sujet à la notion complète d’espace tridimensionnel, en lui permettant de concevoir une ligne comme composée de points mathématiques, une surface comme composée de lignes, et un volume comme composé de surfaces.

Lorsqu’on demande à un sujet du troisième stade si le volume d’un objet tridimensionnel (une tour par exemple) se conserve ou change en quantité lorsque l’on modifie la forme de cet objet, la multiplication qualitative des dimensions en jeu permet à l’enfant d’affirmer la conservation du volume intérieur. Mais ce même enfant croit alors que la place occupée par le volume transformé n’est pas égale la place occupée avant sa transformation. L’intuition qu’il se fait donc d’un objet tridimensionnel est le résultat de sa croyance, correcte si l’on en reste au niveau des partitions finies, en ce que le volume total est composé de la somme de volumes plus petits.

Pour mesurer la place occupée par une tour, place dont il ne peut avoir une intuition imagée directe (contrairement à l’emplacement occupé par une surface), il entoure la tour au moyen des plots unitaires qui lui ont servi d’éléments de construction, puis calcule le nombre de ces plots en croyant ainsi calculer le volume de la place occupée (un problème analogue se pose sur le terrain des surfaces lorsque l’on demande à un enfant du même stade si le périmètre d’un rectangle est ou non conservé lorsque l’on allonge le rectangle sans modifier sa surface).

Lorsqu’au quatrième stade le sujet parvient au contraire à concevoir correctement le rapport qu’il y a entre la largeur, la profondeur et la hauteur d’un volume, il n’identifie plus la place occupée à l’enveloppe fournie par les surfaces visibles du volume et parvient à reconstruire et calculer la partie invisible du volume en prenant appui sur son intuition du continu.

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Les proportions spatiales et le groupe INRC

Un dernier aspect de la construction de l’espace nécessite des opérations qui relèvent de la pensée formelle. Il s’agit de toutes les situations dans lesquelles entre en jeu la notion de proportionnalité.
    Un exemple en est fourni par la projection des ombres. Etant donné une source lumineuse (une lampe), on demande au sujet de placer deux cercles de grandeur différente de telle manière que leurs ombres se recouvrent. On retrouve ici le problème d’un double référentiel: le premier fourni par l’éloignement par rapport à la source, le second par la grandeur du cercle. L’ombre fournie est le résultat de ces deux systèmes.
Ce problème et les solutions auxquelles il conduit ne sont pas décrits dans les ouvrages sur l’espace, mais dans l’ouvrage exposant les études sur la logique formelle de l’adolescent (JP55).

Ceci permet de souligner le fait que la construction des géométries, qui se poursuit au delà du niveau de la pensée concrète, résulte de facteurs non seulement proprement géométriques (l’élaboration de la notion de continu opératoire), mais également logiques!

Ce que montrent en effet les solutions des sujets du quatrième stade, par opposition à ceux du troisième, est que les problèmes qui nécessitent pour leur résolution la coordination de deux systèmes de référence reposent sur un ensemble d’opérations qui transcendent les frontières entre le logique et l’arithmétique finie d’un côté (le domaine du discret), et l’infralogique de l’autre (le domaine du continu), et qui opèrent sur des opérations: le groupe INRC.

C’est la présence de ce groupe qui permet aux adolescents de découvrir ou de déduire que les rapports de distance entre chacun des cercles et la source lumineuse doivent être égaux aux rapports de grandeur de ces cercles si l’on veut que les ombres se recouvrent. Ce qui, en d’autres termes, signifie que l’opération d’éloignement d’un cercle par rapport à la source lumineuse peut être annulée par l’opération corrélative d’agrandissement du cercle.

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[…] nous observons un parallélisme frappant entre le comportement de l’enfant sur le plan physique et son comportement sur le plan social : dans les deux cas, la diminution de l’égocentrisme s’explique, non pas par l’addition de connaissances ou de sentiments nouveaux, mais par une transformation de point de vue telle que le sujet, sans abandonner son point de vue initial, le situe simplement parmi l’ensemble des autres possibles.

J. Piaget, Le Langage et la pensée chez l’enfant, 1923, 3e éd. 1948, p. 74