Fondation Jean Piaget

Sagesse et illusion de la philosophie


Dans "Sagesse et illusion de la philosophie" (JP65b), Piaget expose différentes raisons qui l’ont conduit à rompre les liens qui, vers 1930 et sous l’influence de l’oeuvre de Brunschvicg, attachaient encore l’épistémologie génétique à la philosophie. Elles se résument essentiellement à deux.

La première relève de l’expérience personnelle. Piaget a très tôt pris conscience, notamment à travers les rapports qu’il avait avec les membres de la Société romande de philosophie, que le choix d’une philosophie dépend étroitement de facteurs psychologiques et sociaux tels que l’engagement d’une personne au sein d’un groupe social.

Il s’est ainsi rapidement aperçu, et ce fut une réelle déception pour lui, que sur le plan philosophique plus qu’ailleurs le processus de décentration et de coordination des points de vue est beaucoup plus difficile à atteindre que sur le plan scientifique (). Quelles que soient les divergences qui peuvent intervenir au sein de la science, la pratique montre au contraire à Piaget que, sur ce terrain, la poursuite d’un accord des esprits est possible. C’est ce que lui apprendra notamment les nombreuses collaborations qu’il a eues au Centre international d’épistémologie génétique avec des chercheurs de tous horizons et de toutes tendances. Ce qui conduit à la deuxième raison, la plus importante, celle de la méthode.

Le problème de la méthode

Selon Piaget, le problème de la philosophie est qu’elle ne dispose d’aucune méthode propre de vérification ou de contrôle susceptible d’entraîner l’accord intellectuel concernant les réponses aux questions fondamentales qu’elle traite. Contrairement aux sciences, et contrairement spécialement à la psychologie ou à la sociologie, rien ne vient limiter le subjectivisme des argumentations et du choix des thèses.

Ce qui distingue foncièrement la philosophie et la science est cette absence de tout contrôle susceptible de donner une vection aux thèses philosophiques, une marche vers l’objectivité au sens kantien du terme. Certes Brunschvicg a pu constater un progrès de la conscience dans la société occidentale, telle qu’elle se manifeste dans les travaux de ses philosophes et de ses savants. Mais ce progrès est pour une bonne part la conséquence de celui des sciences.

Devant ce double constat, d’une part d’une philosophie qui ne parvient pas d’elle-même à l’accord des esprits (du moins en ce qui concerne la nature de la réalité) et de l’absence d’une méthode de vérification externe susceptible d’apporter un minimum d’objectivité au jugement philosophique, il ne reste qu’une issue: reconnaître que la seule valeur de ce dernier n’est pas cognitive, mais pratique ou religieuse, ce qui ne diminue en rien son importance.

La philosophie comme sagesse

Lactivité philosophique a pour but une coordination des valeurs, entre elles et avec les connaissances scientifiques, susceptible de donner un sens à la vie et de guider en raison les engagements d’une personne. Lui demander plus, c’est se fourvoyer. Face à ce double constat, et face au but expressément affirmé de faire de l’épistémologie une science, ce qui se peut grâce au recours à des méthodes assurant une certaine objectivité du jugement, il ne reste plus à Piaget qu’à trancher le dernier fil qui, en 1930, reliait encore la théorie de la connaissance à la philosophie.

Reste pourtant un problème, celui du rôle qu’il reconnaît à l’analyse réflexive ou à la réflexion philosophique au sein de l’épistémologie. Mais ce qui est vrai de celle-ci est vrai de toute science, et surtout, la reconnaissance de ce rôle n’implique aucunement la survie séparée d’une philosophie qui viendrait de l’extérieur des sciences éclairer leur progrès ou dénoncer leur drive. Il faudra toujours de solides penseurs pour que les sciences progressent. Mais ces penseurs, à l’égal d’Aristote, Descartes, Leibniz, etc., ne peuvent être que des savants qui connaissent la science qui fait l’objet de leur réflexion.

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L’hérédité de l’intelligence comporte […] à la fois beaucoup plus et beaucoup moins que celle de l’instinct : beaucoup plus parce que c’est la transmission d’un fonctionnement susceptible de conduire très loin et d’apprendre à peu près indéfiniment (jusqu’à présent) ; mais beaucoup moins parce que ce n’est donc la transmission d’aucune structure particulière.