Fondation Jean Piaget

Développement de l’épistémologie génétique


Au début des années trente, Piaget est pour l’essentiel occupé, d’une part par ses recherches de psychologie génétique, et d’autre part par la préparation de ses cours d’histoire et de philosophie des sciences. Il est très probable que l’auteur devait faire référence à ses travaux dans ses cours, la psychologie génétique venant ainsi nourrir la réflexion épistémologique. Mais en ce qui concerne les publications, c’est le mouvement inverse qui se manifeste d’abord.

Les deux livres de 1936 et 1937 sur la naissance de l’intelligence et sur la construction du réel chez le bébé montrent comment, pendant cette période, l’épistémologie guide les interrogations et les interprétations du psychologue. De plus, entre 1935 et 1940, ce sont les ouvrages sur la genèse des notions numériques, géométriques ou spatiales qui sont en gestation. La publication, en 1941, des ouvrages sur le développement des quantités physiques et sur la genèse du nombre chez l’enfant, puis, dans la décennie qui suit, sur les notions spatiales et physiques, confirment alors cette démarche, très féconde, qui consiste à encadrer systématiquement l’étude sur le développement cognitif par un ensemble de questions, d’instruments d’investigation et de notions emprunté à l’épistémologie génétique.

Bien que restant en arrière-plan par rapport à la psychologie, l’épistémologie génétique se manifeste dans les introductions ou dans les conclusions des livres des années trente et quarante, ou même encore, mais de manière discrète, dans les parties les plus théoriques des analyses consacrées aux réponses ou aux conduites des enfants.

Le tournant de 1950

Le tournant se produit en 1949-1950, lorsque Piaget, sûr de lui devant la masse de résultats convergents recueillis en psychologie génétique et en histoire des sciences, se décide à éditer et publier ce qui est très probablement pour une bonne part le texte de ses cours d’histoire et de philosophie des sciences. C’est en 1950 que paraissent en effet les trois volumes d’introduction à l’épistémologie génétique, tout à fait impressionnants par leur ampleur, leur richesse et leur profonde unité (JP50).

Le monumental ouvrage d’introduction à l’épistémologie génétique est, si l’on veut, l’équivalent du système de philosophie positive de Spencer, qui, dans les années dix, avait pu servir de modèle à Piaget, à deux différences près, fondamentales. La première est que, contrairement au philosophe anglais, par ses recherches d’histoire des sciences, mais aussi de biologie, de psychologie et de logique, Piaget a produit un exceptionnel effort d’assimilation des sciences traitées dans cet ouvrage. Il a d’ailleurs pris la précaution de se faire aider par ses anciens camarades d’études, mathématiciens ou physiciens, en ce qui concerne les sciences qu’il n’a pas pratiquées.

De plus, contrairement à Spencer qui, en biologie et surtout en psychologie, emprunte une démarche qui n’a rien de scientifique, Piaget a effectivement recueilli auprès des enfants nombre de données susceptibles d’apporter de précieuses informations pour la résolution de problèmes épistémologiques. Bref, que ce soit en amont (la genèse des notions chez l’enfant) ou en aval (la science), il a pris la précaution d’étudier sérieusement, par des procédés reconnus, les faits dont il discute et sur lesquels il s’appuie pour apporter des réponses à ces problèmes.

La deuxième différence est tout aussi importante. Que Piaget donne le nom d’"introduction" à cet ouvrage n’est pas arbitraire. Il sait bien toute la difficulté de produire une véritable connaissance scientifique. Pour cela il faut qu’une condition soit remplie: l’intersubjectivité. Certes, par le nombre de travaux qu’il a réalisés, l’auteur est confiant quant à la valeur des thèses qu’il propose. Il reste cependant non seulement à convaincre intellectuellement d’autres savants et philosophes, mais à les faire participer à des enquêtes d’épistémologie génétique pour que les résultats ne soient plus produits par un auteur isolé, mais par des groupes de chercheurs. De là naît le centre international d’épistémologie génétique.

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La pensée biologique est aussi réaliste que la pensée mathématique est idéaliste. La déduction ne joue, en effet, qu’un rôle minimum dans la construction des connaissances biologiques, et cela dans la mesure où la réalité vivante est liée à une histoire. L’observation et l’expérimentation constituent ainsi les sources essentielles du savoir biologique et il ne vient à l’esprit d’aucun biologiste de considérer l’objet de ses recherches comme le produit de ses propres opérations mentales (sauf en ce qui concerne les coupures en partie conventionnelles de la classification).