Fondation Jean Piaget

Stade 1: Le primat du figuratif

Des réalités logiques encore liées aux actions
Les collections figurales
Couples ou trios ordonnés d’objets


Des réalités logiques encore liées aux actions

L’enfant saura penser au moyen de classes et de relations logiques lorsqu’il aura acquis les opérations logiques relatives à ces classes et ces relations, soit vers sept ou huit ans environ. Mais bien avant cet âge l’enfant regroupe en collections ou met en ordre les objets de son environnement.

Par exemple, l’enfant de deux ans qui voit devant lui des objets parmi lesquels se trouvent des fleurs et des animaux sait très bien distinguer l’ensemble formé par les fleurs de celui formé par les animaux. De même l’enfant d’une année et demi sait-il construire des tours au moyen de plots de différentes grandeurs.

Les "protoclasses" et les "protorelations"

On voit donc que, tant en ce qui concerne les classes d’objets que les relations entre objets, les schèmes de perception et les schèmes d’action suffisent à établir ce que l’on peut appeler des protoclasses et des protorelations logiques.

Le développement de la fonction sémiotique, et notamment l’utilisation des premiers signifiants verbaux qui apparaissent au cours de la seconde année, permet d’ailleurs à l’enfant de commencer à nommer les objets appartenant à ces protoclasses.

Par exemple il pourra appeler "minet" les objets ressemblant à un chat et il pourra désigner du doigt, dans un livre d’images, ces objets qu’il reconnaît comme des "minets" (JP45).

Seulement on voit que, lors de ce premier stade, la construction de ces protoclasses et de ces protorelations est entièrement le fait des schèmes d’action ou de perception, et qu’il n’y a aucune tentative chez lui d’agir logiquement sur elles. Il suffira qu’un objet ait un rapport de familiarité perceptive, et non pas logique, avec les objets désignés de ce nom pour qu’il soit considéré comme un "minet". La "classe" des minets n’a ainsi absolument rien de stable.

De même, dans la construction de sa tour, l’enfant n’éprouvera aucune gêne à placer un plot plus grand sur un plus petit si cela n’empêche pas la tour d’être construite.

Les collections et les mises en ordre des objets se font et se défont en fonction des seuls critères subjectifs fournis par l’action ou la perception. Elles ne sont que le reflet des regroupements protologiques d’objets induits par les schèmes d’action et de perception, regroupements dans lesquels les critères logiques ne se distinguent pas ou à peine des critères spatiaux ou figuraux.

Les rassemblements d’objets ainsi induits ne sont pas des classes ou des relations objectives en ce sens qu’elles ne prennent pas (et ne peuvent pas prendre) en considération les emboîtements ou les relations asymétriques qui constituent les classes ou les séries d’objets les unes par rapport aux autres.

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Les collections figurales

En ce qui concerne les classes, la pensée logique concrète qui se manifeste dès que l’enfant a acquis la capacité de représentation n’est d’abord, entre une année et demie et quatre ans environ, que le reflet des regroupements logiques d’objets induits par les schèmes d’action et de perception. Ces regroupements sont toujours fonction des buts de l’action ou des changements d’intérêt de l’enfant par rapport au monde qui l’environne.

Cette incapacité d’adopter des critères objectifs et stables lors du regroupement d’objets a été mis en lumière au moyen d’expériences lors desquelles on présente à un enfant une série d’éléments en lui demandant de mettre ensemble ceux qui vont bien ensemble (ces objets sont des formes géométriques de différentes couleurs par exemple, ou alors des images de personnages, d’animaux, d’objets variés, etc.; JP59, p. 29 et 44).

Lors du premier stade l’enfant réalise alors ce qu’Inhelder et Piaget appellent des "collections figurales". C’est-à-dire qu’il tend bien à regrouper les objets selon leurs communes propriétés, mais qu’il utilise simultanément, pour ces regroupements, des critères non pas logiques mais figuraux:

Les objets sont placés de telle manière qu’ils forment tous ensemble le dessin d’une maison, par exemple.

Cette façon de rassembler l’ensemble des objets davantage en fonction d’une construction spatiale que d’une activité de classification à proprement parler, est un indice de l’incapacité des enfants de ce stade de construire de véritables classes logiques.

Le problème du "tous et du quelques"

Un autre indice de l’incapacité des enfants les plus jeunes à penser en termes de classe logique est fourni par les réponses qu’ils donnent lorsqu’on les confronte non plus au problème direct de construire des classes, mais au problème de juger les rapports logiques existant entre des classes emboîtées les unes dans les autres.

Ainsi, lorsqu’on demande aux enfants de ce stade s’il y a plus de marguerites ou de fleurs, dans un bouquet qu’on leur montre et dans lequel il y a beaucoup de marguerites et quelques tulipes, ils répondront à coup sûr qu’il y a plus de marguerites.

Au niveau de l’action pourtant, ils n’ont aucune difficulté à considérer la "protoclasse" des fleurs: si, avant de leur poser la question précédente, on leur demande de montrer toutes les fleurs du bouquet, ils montrent toutes les fleurs. Le problème est que cette protoclasse n’a pas les caractéristiques complètes et stables des véritables classes logiques. L’enfant ne sait pas considérer l’inclusion des classes qui fait qu’un élément d’une classe est simultanément élément d’autres classes auxquelles celle-ci appartient.

Comment l’enfant pourra-t-il penser ces classes? Les résultats des recherches suggèrent qu’il y parviendra dans la mesure où il pourra opérer sur elles, les ajouter les unes aux autres, soustraire une sous-classe de la classe qui l’emboîte, etc. Pour juger qu’il y a plus de fleurs que de marguerites, il faut en effet considérer la classe des fleurs comme résultant de l’addition des classes de tulipes, de roses, de marguerites, etc.

Comme lors de ce stade l’enfant n’a pas construit ces opérations, il transforme la question de manière à pouvoir y répondre au moyen des outils comparatifs qu’il a à sa disposition et qui relèvent de la perception. Les marguerites du bouquet sont comparées à l’ensemble disjoint des autres fleurs perçues; et comme elles sont en effet perceptivement plus nombreuses que ce dernier ensemble, il en conclut qu’il y a plus de marguerites.

C’est donc faute de composition opératoire que les totalités considérées par l’enfant n’ont pas la stabilité requise pour constituer de véritables classes logiques.

Mais bien sûr cela ne signifie pas que les rassemblements d’objets réalisés à ce premier stade soient vains. Il peut être utile de réaliser des collections figurales, comme le manifestent à l’évidence les conduites de l’adulte. Après tout rares sont les objets qui peuvent donner lieu à des classifications logiques au sens plein du terme.

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Couples ou trios ordonnés d’objets

En ce qui concerne l’acquisition de la notion de relation logique asymétrique et des opérations qui lui sont associées, le premier stade se caractérise là aussi par une incapacité foncière du jeune enfant à la concevoir, cela alors même que ses schèmes d’action et de perception le conduisent parfois à organiser le réel qui l’entoure selon un ordre conforme à cette logique (par exemple à placer des objets de plus en plus petits les uns sur les autres).

On peut observer cette incapacité initiale à penser les relations asymétriques lorsqu’on demande aux enfants de sérier du plus petit au plus grand une dizaine de bâtonnets de différentes grandeurs après leur avoir montré le modèle d’une telle sériation (fig. 1; le nombre de bâtonnets et la différence de grandeur entre chaque bâtonnet sont telles qu’il n’est pas possible pour l’enfant de trouver la solution par la seule voie perceptive; pour réussir, il doit réaliser des conduites dirigées par des inférences basées sur sa compréhension des propriétés logiques de la relation de grandeur).

Ne sachant pas opérer sur des relations ni construire la notion relative de "plus grand", il se tourne à nouveau vers les outils offerts par la perception pour résoudre le problème qu’on lui pose. Il commence par poser deux ou trois bâtons sur la table, en décalant éventuellement leur sommet de manière à les aligner plus ou moins bien; puis il prend deux ou trois nouveaux bâtons qu’il range à côté des premiers, et ainsi de suite (fig. 2).

Comme le montre cet exemple, la perception ne fournit jamais que des solutions partielles et insuffisantes aux problèmes que soulève la mise en ordre logique du monde environnant, imposée par les attentes sociales ou posée comme but par l’enfant lui-même au cours de son activité spontanée.

Pour dépasser ces limites de la perception, la pensée devra construire les opérations additives et multiplicatives portant sur les relations entre objets considérés et les constituant du même coup en opérations logiques.

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[…] contrairement aux faits de comportement, les faits de conscience ne relèvent pas de la plupart des catégories habituelles applicables à la réalité physique : substance, espace, mouvement, force, etc., et d’une manière générale causalité.