Fondation Jean Piaget

Lamarckisme, empirisme et organicisme

[p.67] Le Lamarckisme propose un modèle de l'évolution des espèces où la source des variations des organismes sur lesquelles agira la sélection naturelle est exogène et due à des perturbations ou pressions du milieu. «L'organisme…» écrit Piaget (op. cit.) en résumant la pensée de Lamarck, «… contracte, au contact des réalités extérieures modifiées, des habitudes nouvelles, et ce sont ces habitudes acquises qui se traduisent morphologiquement en variations dans les organes.» C'est donc le milieu qui modèle les structures internes de l'organisme par l'intermédiaire de l'exercice qu'il impose aux êtres vivants, et de l'hérédité de l'acquis qui permet l'accumulation progressive des petites modifications ainsi induites.

Au niveau psychologique on retrouve chez Hume par exemple, qui explique la formation de la causalité par l'enregistrement des successions régulières et leur doublage ou copie interne sous la forme d'associations ou d'habitudes mentales, à la fois le même modèle et presque le même langage; la seule différence étant que la mémoire nécessaire à l'accumulation des répétitions est génétique dans un cas et neurophysiologique dans l'autre, mais dans les deux l'initiative appartient au milieu et l'organisme en élabore une copie interne.

Ces caractères réapparaissent dans les doctrines du droit social de type organiciste ou solidariste. Chez Duguit (Traité de droit constitutionnel) nous trouvons tout d'abord l'affirmation de la primauté du milieu: «La société humaine est le seul fait primaire naturel.» L'homme naît dans un groupe social, il est alors déjà soumis aux règles sociales qui lui imposent des obligations envers les membres du groupe. La société n'est pas le produit d'un acte de volonté humain.

On aperçoit ici la négation de l'initiative interne du sujet, qui sc prolonge dans l'idée que les règles juridiques résultent de la simple lecture des réalités sociales dont elles ne sont ainsi que l'intériorisation consciente ou la copie interne. La réalité sociale s'exprime, elle, sous les deux formes de la solidarité organique par division du travail et de la solidarité mécanique par similitudes d'activités. Cette solidarité détermine des droits et des obligations «objectifs» dont l'ensemble forme un «droit objectif». Ses règles sont permanentes dans leur contenu général (elles portent sur des rapports sociaux de solidarité), mais variables dans leurs formes spécifiques, car elles épousent les fluctuations des deux formes de solidarité. Le droit positif se borne à retraduire le droit objectif en règles sanctionnées. Le rôle du jurisconsulte n'est pas de rechercher des règles absolues, mais de découvrir la règle la mieux adaptée à une structure sociale qui existe dans des conditions historiques déterminées. Les règles du droit objectif se distinguent toutefois des «lois de cause» des phénomènes naturels, en ce qu'elles sont des «lois de but» qui impliquent la conscience et la volonté des objets dont elles traitent.

[p.68] Pour Scelle en revanche (Règles générales du droit de la paix) le droit a à sa base des lois causales. Son déterminisme est biologique: l'homme naturel est individuel et social à la fois et les lois sociales sont des contraintes conditionnées par la nature des choses et la nature humaine. Le droit objectif est ici «la somme des lois causales qui déterminent le fait social (son apparition, son existence et son devenir)», elles forment un «faisceau des conditions optima nécessaires à l'existence du fait social». Leur contenu varie en fonction de l'évolution des faits sociaux. Le droit positif n'est que la traduction normative de ces lois causales: «l'homme être social doit être obligé par la norme d'obéir aux lois causales qui conditionnent l'existence de la société» et «la contrainte sociale active…» c'est-à-dire le droit positif… «doit doubler la contrainte naturelle et causale». Le droit positif jouit dans un ordre juridique donné, d'une présomption juris tantum de conformité au droit objectif. Il tire sa force obligatoire, sa validité, de cette concordance présumée.

On retrouve sans peine les caractères distinctifs de l'empirisme dans le primat du milieu social, dont les régularités sont même assimilées à des lois naturelles, qui joue le rôle de source exogène de variations évolutives, les constructions du sujet étant limitées à une lecture et une copie normative plus ou moins fidèles de ces régularités, la validité résultant enfin de cette adéquation tout comme la connaissance empirique n'est qu'un reflet de la réalité physique.



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[…] l’histoire nous enseigne que les mots « toujours » ou « jamais » sont à exclure du vocabulaire de l’épistémologie génétique.