Fondation Jean Piaget

Philosophie et science

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Présentation

Piaget considère qu’il n'y a pas deux vérités, l'une scientifique et l'autre philosophique. La vérité est une et elle est nécessairement scientifique puisque seule la science répond aux conditions d'objectivité qui garantissent celle-ci. Il relègue donc la philosophie au rang d'une sagesse, c'est-à-dire d'une prise de position raisonnée à l'égard de la totalité du réel. Elle consiste essentiellement en une conception d'ensemble des connaissances et des valeurs qu'elle relie sous une forme ou sous une autre.

Ramenant l'opposition science/philosophie à un problème de méthode, Piaget conteste l'existence d'un double mode de connaissance, l'un scientifique, l'autre philosophique, ayant chacun leurs objets ou domaines respectifs et il restreint le champ de la philosophie au seul problème de la «coordination des valeurs». Il considère, en effet, qu'il n'existe pas de différence de nature entre les problèmes cognitifs philosophiques et scientifiques, mais seulement une différence dans la manière de poser les questions et dans les méthodes utilisées. De là, sa tentative pour fonder une épistémologie - domaine longtemps réservé à la philosophie - qui soit scientifique. Son propos vise à montrer que la réflexion philosophique prend sa source dans la réflexion épistémologique, qui est elle-même tributaire d'une réflexion sur les sciences. Ce n'est donc pas le progrès de la connaissance intégrale visée par la philosophie qui a entraîné celui des connaissances particulières se constituant sous forme de sciences spécialisées. Ce sont au contraire les progrès de nature scientifique qui ont provoqué le développement des systèmes.

Opposant connaissance ou science et philosophie, Piaget tente de montrer que l'unité de la science ne peut se faire qu'au dépens de la philosophie, c'est-à-dire en dissociant de la métaphysique le plus de questions particulières possibles et en rendant l'épistémologie elle-même tributaire des grandes découvertes de la science. Il justifie cette dissociation en montrant l'existence, dans l'histoire de la philosophie, de deux grandes dominantes. Une dominante constante est constituée par l'ensemble des problèmes gravitant autour de la signification de la vie humaine par rapport à la totalité du réel. Elle correspond aux «problèmes de la coordination des valeurs» qui ont engendré les grandes positions métaphysiques relativement peu nombreuses et restées les mêmes selon Piaget, au cours de toute l'histoire. L'autre dominante, variable parce que solidaire de l'histoire même des sciences et de l'évolution de la connaissance scientifique, est le problème du savoir, c'est-à-dire la question essentielle de la nature et de la portée de la connaissance. Ses progrès, tributaires du développement des sciences, ont consisté en un passage du réalisme au constructivisme.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations

Philosophie
La philosophie est une prise de position raisonnée par rapport à la totalité du réel. Le terme de «raisonnée» oppose la philosophie aux prises de positions purement pratiques ou affectives ou encore aux croyances simplement admises sans élaboration réflexive : une pure morale, une foi, etc. Le concept de «totalité du réel» comporte trois composantes. En premier lieu, il se réfère à l'ensemble des activités supérieures de l'homme et non pas exclusivement à la connaissance: morale, esthétique, foi (religieuse ou humaniste), etc. En second lieu, il implique la possibilité, du point de vue de la connaissante, que, sous les apparences phénoménales et les connaissances particulières, existe une réalité dernière, une chose en soi, un absolu, etc. En troisième lieu, une réflexion sur la totalité. du réel peut naturellement conduire à une ouverture sur l'ensemble des possibles (Leibniz, Renouvier, etc.). S.I.P., p. 57

But de la philosophie
(...) la philosophie se propose d'atteindre une coordination générale des valeurs humaines, c'est-à-dire une conception du monde tenant compte non seulement des connaissances acquises et de la critique de ces connaissances, mais encore des convictions et valeurs multiples de l'homme en toutes ses activités. La philosophie dépasse donc les sciences positives, et les situe par rapport à un ensemble d'évaluations et de significations s'étendant de la praxis aux métaphysiques proprement dites. E.S.H., pp. 25-26.

Problèmes de la philosophie
On peut grouper les problèmes classiques de la philosophie sous cinq chefs principaux: 1. La recherche de l'absolu ou métaphysique; 2. Les disciplines normatives non cognitives comme la morale ou l'esthétique; 3. La logique ou théorie des normes formelles de la connaissance; 4. La psychologie et la sociologie; 5. L'épistémologie ou théorie générale de la connaissance. S.I.P., pp. 89-90
La conclusion générale à tirer de ces points 1 à 5 est que mise à part la métaphysique, toutes les recherches philosophiques portant sur des problèmes susceptibles d'être délimités tendent à se différencier sous des formes se rapprochant toujours plus de la recherche scientifique, parce que la différence entre sciences et la philosophie ne tient pas à la nature des problèmes, mais à leur délimitation et à la technicité croissante de leurs méthodes de vérification. SI.P., p. 108

Système philosophique
Un système philosophique (...) tend à rendre la totalité de l'expérience vécue, ce qui est fort légitime mais pose un tout autre problème, qui est peut-être moins un problème de connaissance que d'attitude générale et de vie. Il reflétera ainsi tôt ou tard la personnalité de son auteur, ainsi que l'idéologie de son groupe social, dont cette personnalité est solidaire. En plus des éléments de connaissance objective, au sens esquissé à l'instant, il comportera donc nécessairement des jugements de valeur traduisant l'engagement du moi dans sa société et son univers. Bref, tendant à embrasser un contenu plus riche que la connaissance scientifique, il perdra d'autant en objectivité, d'où cette conséquence de fait d'une impossibilité à réaliser sur le plan philosophique un accord total des esprits. L.C.S., p. 15

Réflexion philosophique
Il est banal de constater que les plus grands noms de l'histoire de la philosophie sont en même temps de très grands noms de l'histoire des sciences ou de celle de la philosophie des sciences. La raison en est évidemment que la source la plus féconde de la réflexion philosophique est l'épistémologie et que les seuls renouvellements possibles de l'épistémologie sont dus à la réflexion sur les sciences. L.C.S., p. 16

Limites de la philosophie
(...) il importe en certains cas de rappeler, en se bornant d'ailleurs à restituer les positions des plus grands philosophes de l'histoire, que si la philosophie veut être une coordination générale des valeurs, il existe des valeurs d'objectivité et de vérification patiente et laborieuse, et ceux à qui leur activité n'a pas permis de les connaître de près ne sauraient pour autant les négliger.
Que la philosophie éprouve le besoin de s'occuper des limites de la science, rien de plus légitime mais à deux conditions : de ne pas oublier celles de la philosophie et de se rappeler que la science étant essentiellement «ouverte», ses frontières connaissables ne sont jamais qu'actuelles. S.I.P., p. 284

Apports de la philosophie
En un mot, la philosophie pose des problèmes, grâce à sa méthode réflexive, mais ne les résout pas, parce que la réflexion ne comporte pas à elle seule les instruments de la vérification. Les sciences, par leurs méthodes d'expérimentation et de déduction résolvent certains problèmes et en soulèvent sans cesse de nouveaux, mais, sans l'impulsion initiale de la réflexion d'ensemble et sans doute sans les impulsions renouvelées dues à la réflexions continue, les problèmes scientifiques seraient probablement plus limités, ce qui ne signifie d'ailleurs pas qu'ils se conformeraient pour autant à l'idéal étriqué qu'en ont voulu donner le positivisme et l'empirisme. Qu'on appelle philosophie celle des seuls philosophes ou aussi celle des savants qui «réfléchissent», et qu'on appelle science celle des seuls savants ou aussi celle des grands philosophes qui ont su expérimenter et déduire, rien de tout cela n'a d'importance: l'essentiel est la trilogie réflexion x déduction x expérimentation, dont le premier terme représente la fonction heuristique et les deux autres la vérification cognitive seule constitutive de vérité. S.I.P., p. 307

Philosophie vs science
La philosophie a pour objet la totalité du réel, de la réalité extérieure comme de l'esprit et des relations entre eux. Embrassant tout, elle ne dispose à titre de méthode propre que de l'analyse réflexive. En outre, ne devant rien négliger de la réalité, les systèmes qu'elle construit englobent nécessairement l'évaluation comme la constatation, et révèlent ainsi tôt ou tard d'irréductibles oppositions, tenant à la diversité des valeurs qui se proposent à la conscience humaine. D'où l'hétérogénéité des grands points de vue traditionnels qui apparaissent périodiquement au cours de l'histoire de la métaphysique.
Une science se donne, au contraire, un objet limité, et ne débute même, à titre de discipline scientifique, qu'avec la réussite d'une telle délimitation. I.E.G., Vol. I, p. 13

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[…] une opération est essentiellement une action réversible, puisqu’à une opération donnée (comme +A ou +1) on peut toujours faire correspondre son inverse (–A ou –1): c’est cette réversibilité qui fait comprendre à l’enfant la conservation d’une quantité ou d’un ensemble en cas de modification de leur disposition spatiale, puisque, quand cette modification est conçue comme réversible, cela signifie qu’elle laisse invariante la quantité en question.

J. Piaget, Problèmes de psychologie génétique, 1964, (1ère publication en russe, en 1956), in Six études de psychologie, p. 149