Fondation Jean Piaget

L'épistémologie kantienne

Présentation
Citations


Présentation

L'épistémologie piagétienne s’inscrit dans le prolongement du rationalisme kantien. En adoptant une position intermédiaire entre idéalisme et empirisme, rationalisme et réalisme, Piaget situe sa conception des cadres logico-mathématiques, en tant qu'«a priori» de la connaissance, par rapport à la notion kantienne de liaisons synthétiques a priori. Il cherche à en montrer le caractère essentiellement fonctionnel et relatif. Sa critique de l'épistémologie kantienne vise donc le caractère statique de «l'apriorisme» classique, lié à son exigence de transcendantalisme et de commencement absolu.

Le point de départ de la réflexion épistémologique, chez Kant, réside dans le succès de la gravitation newtonienne qui soulève la question centrale de l'adéquation et de l'harmonie entre nos procédés déductifs et autonomes et les données de l'expérience. Son originalité est d'avoir situé dans le sujet la source de la nécessité déductive et des structures constituant l'objectivité, sous la forme d'une construction a priori. Transcendant la dichotomie de l'analytique (a priori) et du synthétique (a posteriori), il a retenu l'idée de construction, sous la forme de jugement synthétique, et celle de l'innéité, sous la forme d'a priori ou d'antériorité à l'expérience, découvrant ainsi la possibilité de «jugements synthétiques a priori» grâce auxquels l'intelligence structure le réel en l'appréhendant. Mais pour Piaget, la notion d'a priori élaborée par Kant est trop riche et ne laisse pas suffisamment de place à la construction. Faisant débuter l'activité du sujet avec la seule pensée réfléchie, elle envisage les catégories de l'entendement sous une forme déjà structurée avant toute expérience. Or dans la perspective constructiviste de Piaget, l'a priori n'est pas statique mais dynamique, il n'est pas absolu mais relatif, il n'est pas structural mais fonctionnel.

Piaget considère en effet les structures de la connaissance (ou de l'intelligence) comme universelles et nécessaires, à la manière des «a priori» kantiens, c'est-à-dire comme des données antérieures à toute expérience individuelle. Toutefois, alors que ces derniers sont non seulement universels mais intemporels, Piaget envisage au contraire les structures de la connaissance sous l'angle de leur genèse. En rattachant les structures logico-mathématiques aux formes de la coordination générale des actions, il fait appel à une sorte d'a priori fonctionnel, constitué par des schèmes d'assimilation pouvant subir un certain nombre de modifications adaptatives (accommodations) du fait même de leurs applications (assimilations). Dans cette perspective constructiviste, si les structures sont nécessaires en leur racine, elles sont toujours relatives à un certain niveau de développement. Elles procèdent d'une construction à partir de structures de niveau antérieur et sont indéfiniment ouvertes sur des constructions ultérieures qui les intégreront en les dépassant. C'est ainsi que, pour Piaget, la pensée rationnelle ne constitue pas, dans le développement, un point de départ mais un point d'arrivée. Il existe en effet un schématisme de l'action ou de l'intelligence sensori-motrice qui annonce le schématisme logique de la pensée et qui lui est semblable du point de vue fonctionnel. À ce titre, les schèmes dont dispose le sujet à un niveau du développement constituent bien, en tant qu'organisation s'appliquant à un contenu (assimilation de l'objet) et se modifiant du fait de son application (accommodation à l'objet), les «a priori» fonctionnels et dynamiques de la connaissance au sens kantien du terme. Ils traduisent la nécessité d'une activité du sujet dans la connaissance et l'impossibilité d'une «expérience pure» au sens d'un contact direct entre le sujet et l'objet. Cette interprétation piagétienne de l'a priori, en termes relatifs, dynamiques et fonctionnels, rejoint à bien des égards la conception bachelardienne d'un «rationalisme ouvert».

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations

Épistémologie kantienne
(...) Kant a trouvé un aliment essentiel à sa réflexion dans l'éclatant succès de la gravitation newtonienne. Il en est venu à se poser alors, plus profondément encore que Descartes et Leibniz, le problème général de comprendre comment la science est possible. Au cours d'une révision d'une envergure extraordinaire portant sur l'ensemble de nos instruments de connaissances (de la perception aux formes les plus abstraites de la raison dialectique), il a été conduit à circonscrire les questions autour du mystère central de l'adéquation de nos procédés déductif à l'expérience comme telle. L.C.S, p. 22
(...) il s'est affranchi définitivement du «réalisme» des apparences pour situer dans le sujet la source, non pas seulement de la nécessité déductive, mais encore des diverses structures (espace, temps, causalité, etc.) qui constituent l'objectivité en général et qui rendent ainsi l'expérience possible. Il a donc découvert le rôle des cadres a priori, et la possibilité de jugements synthétiques a priori, s'ajoutant aux simples liaisons logiques (ou jugements analytiques a priori) et susceptibles d'imposer à la perception et à l'expérience en général une structure compatible avec la déduction mathématique. L.C.S., p. 23.
(...) Kant s'est attaché à trouver à l'intérieur du savoir physique les conditions constitutives de ce savoir, et à montrer dans la causalité le résultat, non pas de l'expérience, mais de déductions a priori qui la rendent possible. L.C.S., p. 27.

Apriorisme kantien
L’apriorisme constitue une autre manière de rendre compte de la constructivité des mathématiques, de leur rigueur ainsi que de leur accord avec l’expérience, puisqu’une structure synthétique a priori est tout à la fois source de synthèse et de nécessité ainsi que condition préalable de toute expérience. Il importe de reconnaître, d'autre part, qu'en rattachant les structures logico-mathématiques aux formes de la coordination générale des actions, nous faisons par cela même appel à une sorte d' a priori fonctionnel qui conditionne chaque action et opération particulières.
(...)
Mais la lacune fondamentale de l’apriorisme classique est son caractère statique, dû lui-même à son exigence illusoire de transcendentalisme ou de commencement absolu. Il importe donc tout à la fois de relativiser l'a priori et de l'assouplir sous la forme d'une construction progressive. L.C.S., p. 593

Apriorisme vs constructivisme
D’où le point essentiel: sous sa forme statique, l’apriorisme est un préformisme qui oblige les structures synthétiques a priori à contenir en avance et toutes faites, les structures logico-mathémtiques dans leur ensemble. (...). Dans la perspective constructiviste, au contraire, les structures sont à la fois nécessaires en leurs racines et constamment ouvertes sur des constructions ultérieures qui les intégreront: les exigences propres à cette nécessité intrinsèque augmentent alors progressivement au lieu de s'amenuiser, ce qui renforce la vérité attachée aux interprétations aprioristes tout en les libérant d'un a priori statique et transcendantal et surtout d'un insoutenable préformisme. L.C.S., p. 594

Limites de l'apriorisme kantien
Si l'apriorisme kantien constituait une admirable interprétation de la science constituée, à un moment précis de son devenir, c'est-à-dire au niveau de la physique newtonienne et des intuitions spatio-temporelles absolues (caractère euclidien de l'espace physique etc.) qui lui étaient attachées, la position aprioriste devient de plus en plus malaisée en cette perspective mouvante qu'impose la science contemporaine, sans parler des difficultés génétiques qui résultent des progrès de la biologie et des recherches psychologiques. L.C.S., p. 1248.
D'une manière générale, la première leçon essentielle qui semble se dégager tant du devenir des sciences et des multiples relations circulaires qui se constituent entre elles que des considérations génétiques, est la probabilité décroissante que l'on puisse attribuer des secteurs entiers de connaissance ou même n'importe quelle connaissance particulière, soit aux objets seuls, indépendamment des actions ou opérations humaines, soit au sujet seul indépendamment de toute intervention de ses interconnexions avec la réalité. Les épistémologies vivantes aujourd'hui sont donc toutes axées sur les interactions du sujet et de l'objet». L.C.S., p. 1248

Sujet épistémique dans la perspective kantienne
(...) la construction propre au sujet épistémique, si riche soit-elle dans la perspective kantienne, est encore trop pauvre, puisqu'elle est entièrement donnée au départ, tandis qu'un constructivisme dialectique, tel que l'histoire des sciences ainsi que les faits expérimentaux réunis par les études sur le développement mental semble en montrer la relativité vivante, permet d'attribuer au sujet épistémique une constructivité beaucoup plus féconde, bien qu'aboutissant aux mêmes caractères de nécessité rationnelle et de structuration de l'expérience que ceux dont Kant demandait la garantie à sa notion de l'a priori. S.I.P., p. 82

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[…] si la biologie est essentiellement, et presque passivement, soumise à son objet, cet objet […] c’est-à-dire l’être vivant, n’est autre chose que le sujet comme tel ou du moins le point de départ organique d’un processus qui, avec le développement de la vie mentale, aboutira à la situation d’un sujet capable de construire les mathématiques elles-mêmes.