Fondation Jean Piaget

La notion de faits normatifs

Présentation
Citations


Présentation

Piaget établit une distinction entre deux sortes de faits psychologiques, les faits de conscience et les faits normatifs. Les premiers sont envisagés du point de vue du sujet lui-même et leur caractère fondamental est de consister en significations d'un point de vue cognitif et en valeurs d'un point de vue affectif. Les seconds désignent les constatations de faits effectuées par un observateur à propos d'états de conscience ou de conduites qui comportent, du point de vue du sujet, un aspect normatif. Plus précisément, Piaget appelle «faits normatifs» ce que le sujet, aux différents niveaux de son développement, reconnaît comme des normes, c'est-à-dire ce qu'il considère comme logiquement nécessaire. Cette nécessité logique (par exemple : affirmer que si A > B et B > C , A est nécessairement plus grand que C) varie au cours de la psychogenèse puisqu'elle dépend des outils de connaissance, en particulier des structures opératoires de l'intelligence dont dispose le sujet aux diverses étapes de son développement intellectuel. Autrement dit, ce qui est reconnu par le sujet comme logiquement nécessaire à une certaine étape du développement ne l'était pas à une étape antérieure. Il y a donc une évolution des normes dans la pensée du sujet qui se traduit par une évolution des formes de nécessités, elle-même solidaire de la manière dont les actions et opérations se composent les unes avec les autres. Cette évolution du nécessaire, d’ailleurs corrélative de l’évolution des possibles, traduit une transformations des normes de la pensée qui n’est pas spécifique à la psychogenèse puisqu’elle se retrouve dans l’évolution sociogénétique de la pensée scientifique.

L'étude de l'évolution des faits normatifs au cours du développement se rattache au problème de la constitution des connaissances valables et nécessite, par conséquent, la complémentarité des analyses psychologique et formalisante. Par leur aspect factuel, les faits normatifs renvoient en effet à des questions de psychologie, notamment en ce qui concerne la façon dont le sujet accède à ces normes ou les élabore. Par leur aspect normatif, ils soulèvent la question de la formalisation des structures propres à ces étapes successives, ce qui constitue un problème de logique et non plus de psychologie.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations

Faits de conscience et faits normatifs
(…) nous devons dès l'abord distinguer deux sortes de faits psychologiques à analyser séparément (…): ce sont d'une part les faits de conscience, envisagés du point de vue du sujet et de façon synchronique ou statique, c'est-à-dire à un niveau donné du développement et indépendamment de celui-ci; ce sont, d'autre part, les faits de conduite ou de comportement envisagés du point de vue de l'observateur et de façon diachronique ou génétique, c'est-à-dire en fonction du développement. E.E.G., Vol. 14, E.M.P pp.166-167
(...).
(...) les faits de conscience, envisagés du point de vue du sujet, comportent toujours un aspect normatif, quand bien même celui-ci est «naïf» et fort éloigné des normes de la logique scientifique ou formalisée. E.E.G., Vol 14, E.M.P., p.167
(...)
Du point de vue de l'observateur, ces attitudes normatives du sujet sont des faits comme les autres, qu'il n'a pas à évaluer mais à constater et à expliquer. Pour éviter les confusions entre les normes et les faits, nous parlerons donc de «faits normatifs» pour désigner les constatations de fait (du point de vue de l'observateur) portant sur des états de conscience ou des conduites qui, du point de vue du sujet, comportent un aspect normatif. E.E.G., Vol. 14, E.M.P., p.167

La notion de «faits normatifs»
Nous appellerons d'abord «fait normatif» tout fait établi par l'observateur-psychologue se rapportant à ce qu'un sujet considère lui-même, non pas comme un fait, mais comme une norme. Par exemple, à cinq ou six ans un enfant se refusera en général à conclure que A = C s'il ne perçoit pas ensemble ces deux termes et s'il a simplement constaté que A = B et que B = C. Par contre, dès sept à huit ans, il admettra que l'égalité A = C s'impose en ce cas nécessairement. Sans nous demander s'il a raison ou tort, ce qui concerne la seule logique, nous devons cependant, comme psychologues, constater que le sujet a ainsi reconnu une nouvelle norme et nous rencontrons par conséquent un «fait normatif». Nous avons en outre à nous demander comment il y est parvenu, comment il a construit cette nouvelle norme etc., ce qui consistera à situer ce fait normatif, relatif à la conscience du sujet, dans le contexte de ses actions et opérations, donc dans un contexte de conduites. L.C.S., p. 126

Faits normatifs
(…) (ils se retrouvent dans tous les domaines où l’on peut retrouver une construction de normes, y compris l’histoire des sciences et l’histoire de la logique elle-même ; (…) le terme de «faits» dans l’expression «faits normatifs» signifie sans plus qu’en étudiant les normes d’un sujet (enfant, créateur scientifique ou logicien), l’observateur (qu’il soit psychologue, historien des sciences, etc.) les envisagera objectivement, c’est-à-dire sans prendre parti lui-même normativement mais en cherchant exclusivement d’où elles proviennent et où elles conduisent dans le développement considéré en tant que développement (psychologique ou historique). E.E.G., Vol. 16, I.F et L.N, pp. 171-172

Problèmes que soulève l'existence de normes
(…) l'existence de normes soulève (…) des problèmes de la plus grande importance au point de vue du développement. Il faut ici distinguer deux questions: celles des rapports entre la norme et le fait, et celle de la genèse des normes. I.E.G., Vol. I., p. 34.
(…) la norme aussi est un fait, c'est-à-dire que son caractère normatif se traduit par l'existence, expérimentalement constatable, de certains sentiments d'obligation ou d'autres états de conscience suis generis: implications senties comme nécessaires Un grand juriste, Pétrajitsky, a proposé le terme excellent de «faits normatifs» pour désigner précisément ces faits d'expérience permettant de constater que tel sujet se considère comme obligé par une norme (quelle que soit la validité de celle-ci du point de vue de l'observateur). I.E.G., Vol. I., pp. 34-35.

Hiérarchie des faits normatifs
(…) nous sommes naturellement conduit à construire une hiérarchie de faits normatifs en fonction des niveaux de développement et toute l'étude ontogénétique des stades successifs de la pensée et de ses opérations revient à constater que le construction des structures et celle des normes correspondantes s'effectuent selon un certain ordre de succession de l'enfant à l'adulte. Rien ne nous empêche de procéder alors de même en ce qui concerne les niveaux supérieurs de certaines formes spécialisées de pensée déductive, et nous rejoignons ainsi le problème historico-critique de l'intégration des structures (...). L.C.S., p. 127.

Devenir des normes
Le devenir des normes soulève donc un problème qui plonge ses racines jusqu'aux sources de l'action et aux relations élémentaires entre la conscience et l'organisme. I.E.G., Vol. I., p. 35

Évolution des normes du sujet
(…) à tous les niveaux le sujet obéit à des normes. Or l’intérêt de celles-ci tient au dynamisme de leurs constructions successives, d’une ampleur insoupçonnée, nécessaires à la constitution de toute connaissance valable. Certes il ne s’agit là que de normes préscientifiques, mais le fait fondamental pour l’épistémologie des sciences est que le sujet, partant de niveaux très bas à structures prélogiques, en arrivera à des normes rationnelles isomorphes à celles des sciences à leur naissance. Comprendre le mécanisme de cette évolution des normes préscientifiques jusqu’à leur fusion inchoative est donc un problème incontestablement épistémologique. P.H.S., p. 17

Questions de faits et questions normatives
(…) coordonner les questions de fait et les questions normatives revient à situer la connaissance déductive (…) dans un cadre de relation entre le sujet et l’objet sans dénaturer cette connaissance déductive, mais en expliquant la possibilité de son fonctionnement du point de vue des activités du sujet (…) et de la nature ontologique de l’objet (…)E.E.G. Vol. 14, E.M.P., p. 165.

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[…] l’épistémologie génétique […] cherche […] à analyser le travail réel de la pensée en marche, qu’il s’agisse de celle des travailleurs scientifiques comme de cette immense masse d’activités cognitives préscientifiques débutant dès le passage de la vie organique aux comportements élémentaires.

J. Piaget, Introduction à l'épistémologie génétique., 1973, vol. 1, p. 9