Fondation Jean Piaget

L'épistémologie de T. Kuhn

Présentation
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Présentation

Contrairement à Piaget qui s’efforce de dégager les aspects de continuité en jeu dans la construction des savoirs, tout en reconnaissant des formes de discontinuité liées au fait que le développement de la science ne relève pas exclusivement de facteurs rationnels, Kuhn envisage le développement de la science comme un processus essentiellement discontinu. Il considère que les hommes de science pratiquent, à l’intérieur d’un paradigme accepté par la communauté scientifique, ce qu’il appelle la «science normale» qui consiste à résoudre des problèmes se situant à l’intérieur du champ d’application des théories appartenant au paradigme. Lorsque le cadre théorique lui-même commence à être remis en question, il en résulte une crise de la branche de la science concernée. Mais pour que les théories soient abandonnées, il faut que se constitue un nouveau paradigme capable de déloger le précédent, ce que Kuhn qualifie de révolution scientifique. Le changement de paradigme correspond alors à une science révolutionnaire. Sur ce point, Piaget se montre relativement d’accord, dans les grandes lignes, avec la vision de Kuhn. Il propose d’ailleurs lui-même la notion de cadre épistémique qui englobe selon lui la notion de paradigme de Kuhn. Mais il n’en dégage pas les mêmes implications épistémologiques. Abordant l’histoire de la science en relation étroite avec l’analyse psychogénétique, Piaget en vient à dégager des instruments cognitifs et mécanismes de constructions communs à la pensée scientifique et préscientifique.

Les perspectives épistémologiques contemporaines, auxquelles sont tout particulièrement associées les positions de Kuhn, Popper, Feyerabend et Lakatos se sont interrogées sur la signification des théories scientifiques à partir de la position développée par Kuhn sur la notion de paradigme épistémologique, elle-même reliée à celle de révolution scientifique. Ces auteurs, qui prennent tous appui sur l’histoire de la science pour soutenir leurs affirmations, ont le mérite, selon Piaget, d’avoir mis en évidence les faiblesses de l’analyse néo-positiviste de la connaissance scientifique et réfuté une conception de la science comme processus de reconstruction rationnel, consistant à justifier des théories indépendamment de tout processus de découverte. Cependant, les divergences dans leur façon d’introduire le processus de découverte s’avèrent profondes. Popper et Lakatos, tout en reconnaissant la notion de progrès scientifique et en cherchant à établir une certaine rationalité dans la science, fondent celle-ci sur des normes ou critères méthodologiques qui permettent de juger de l’acceptabilité d’une théorie (liée à sa réfutabilité) ou de la supériorité d’une théorie sur une autre. Mais ils laissent de côté, selon Piaget, le problème épistémologique fondamental qui consiste à déterminer comment s’effectue le passage d’une théorie à une autre jugée supérieure. Kuhn et Feyerabend, tout en cherchant à décrire a posteriori comment procède la science et ce qui a rendu possible son développement, ne cherchent pas à dégager de critères de progrès ou de mécanismes rationnels de changement. En effet, le caractère incommensurable des paradigmes chez Kuhn ne permet pas de déterminer de progrès scientifique. Quant à la position pluraliste revendiquée par Feyerabend, elle admet l’existence de plusieurs théories qui peuvent être en opposition ou en contradiction sans qu’il soit possible de distinguer le subjectif et l’objectif, l’irrationnel et le rationnel.

Pour Piaget, s’il y a une telle divergence c’est que les problèmes ont mal été posés et nécessitent d’être reformulés. Il considère que le problème central, qui est celui de l’existence d’étapes et du pourquoi de leur succession, impose le recours à la psychogenèse et à l’histoire des sciences. L’analyse comparative permet alors de déterminer à la fois le sens de la continuité en jeu dans les mécanismes régulateurs du développement cognitif et ses limites. Non seulement cette continuité n’exclut pas les discontinuités mais elle les détermine en partie.

©Marie-Françoise Legendre

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Citations

Histoire et développement de la science
(…) il va de soi qu’une connaissance ne saurait être dissociée de son contexte historique et que, par conséquent, l’histoire d’une notion fournit quelque indication sur sa signification épistémique. Mais encore faut-il, pour parvenir à une telle liaison, poser les problèmes en termes de vections, donc d’évolution des normes à une échelle permettant d’en discerner les étapes, et non pas en termes factuels d’influences d’un auteur sur un autre. P.H.S., p. 19.
Le problème central, en effet, n’est pas celui de la continuité ou discontinuité (qui toutes deux interviennent en tout développement), mais bien celui de l’existence des étapes elles-mêmes et surtout du pourquoi de leur succession. P.H.S., p. 19-20.
Le progrès scientifique, la recherche de certaines formes d'explication, l’acceptation ou le rejet de certains concepts et de théories d’un certain type répondent, le plus souvent, à un jeu d’interactions complexes, où les facteurs sociaux et les exigences internes du système cognitif propre sont complémentaires et se renforcent, ou s’opposent et s’atténuent. P.H.S. p. 285.

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[…] c’est en réalisant un équilibre toujours plus mobile et plus stable que les opérations finissent par prendre une forme logique proprement dite au terme d’une évolution débutant par des conduites étrangères à toute logique stricte […].