Fondation Jean Piaget

Méthodes d'analyse génétique

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Piaget qualifie de génétiques les méthodes de l'épistémologie scientifique qui envisagent le processus de la connaissance scientifique sous l'angle de sa formation ou de son développement. Il en distingue essentiellement deux qui d'ailleurs se complètent.

1) la méthode historico-critique, qui partant d'un corps de doctrine actuel en étudie la formation. Elle consiste donc en une sociogenèse des connaissances dont elle étudie le développement historique et la transmission sociale et culturelle.
2) la méthode psychogénétique, qui cherche à atteindre les conditions psychologiques de formation des connaissances élémentaires. Elle correspond à une psychogenèse des notions et des structures opératoires élémentaires dont elle étudie la formation chez l'individu.

Elles complètent l'analyse formalisante, ou reconstruction axiomatique des structures de la connaissance qui vise à en fonder la validité, par l'étude de leur mode de construction, laquelle a pour but de mettre en évidence les conditions d'accession à de telles structures.

Méthode historico-critique
La méthode historico-critique constitue pour Piaget l'une des méthodes essentielles de l'épistémologie scientifique et elle se prolonge nécessairement par une psychologie génétique. Alors que cette dernière a pour objet l'ontogenèse de la connaissance, la méthode historico-critique étudie la sociogenèse des connaissances scientifiques. L'une et l'autre ont pour but d'analyser les mécanismes qui sous-tendent l'évolution des connaissances et de déterminer si cette évolution obéit à une vection ou direction particulière.
Si la méthode historico-critique est seule à fournir la connaissance des paliers supérieurs de la pensée, sans jamais toutefois atteindre le dernier, elle doit être complétée par la méthode psychogénétique qui permet seule de fournir une connaissance des paliers élémentaires, même si elle n'atteint jamais le premier. Établissant une analogie étroite entre l'évolution de la vie et l'évolution de la connaissance, Piaget voit dans la méthode historico-critique une sorte d'anatomie comparée des connaissances et dans la méthode psychogénétique, une embryologie mentale.

Méthode psychogénétique
La méthode psychogénétique ou psychologie génétique consiste à utiliser la psychologie de l'enfant ou étude du développement des fonctions mentales pour résoudre des problèmes psychologiques généraux tels que de déterminer le rôle des activités du sujet dans la connaissance. De tels problèmes concernent l'épistémologie scientifique dans son ensemble. Cette méthode constitue pour Piaget un prolongement nécessaire de la méthode historico-critique.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations

Méthodes d’analyse génétique
Nous désignerons enfin du terme de génétiques les méthodes de l’épistémologie qui cherchent à comprendre les processus de la connaissance scientifique en fonction de son développement ou de sa formation même. Il faut ici distinguer, sans présupposition quant à leur rapport, une sociogenèse des connaissances, relative à leur développement historique au sein des sociétés et à leur transmission culturelle, et une psychogenèse des notions et structures opératoires élémentaires se constituant au cours du développement des individus (mais d’individus naturellement de plus en plus socialisés avec l’âge. LCS., p. 65.
Déterminer comment s'accroissent les connaissances implique que l'on considère, par méthode, toute connaissance sous l'angle de son développement dans le temps, c'est-à-dire comme un processus continu dont on ne saurait jamais atteindre ni le commencement premier ni la fin. Toute connaissance, autrement dit, est à envisager toujours, méthodologiquement, comme relative à un certain état antérieur de moindre connaissance, et comme susceptible de constituer elle-même un tel état antérieur par rapport à une connaissance plus poussée. I.E.G. Vol.I, p. 18
En d'autres termes, la méthode génétique revient à étudier les connaissances en fonction de leur construction réelle, ou psychologique, et à considérer toute connaissance comme relative à un certain niveau du mécanisme de cette construction. I.E.G. Vol.I., p. 19.

Méthodes historico-critique, sociogénétique et psychogénétique
(...) il n'est pas possible de dégager la signification complète d'un système de notions ou d'une méthode sans retracer leur formation, car la structure déductive ou formelle d'une théorie n'en épuise pas toute la portée et il reste à déterminer dans quelle situation de fait ses auteurs ont choisi telle ligne de conduite plutôt que telle autre. Or, reconstituer le développement d'un système d'opérations ou d'expériences, c'est avant tout en établir l'histoire; et les méthodes historico-critiques et sociogénétiques suffiraient même entièrement à atteindre les buts épistémologiques ainsi poursuivis si elles pouvaient être complètes, c'est-à-dire remonter en deçà de l'histoire des sciences elles-mêmes jusqu'à l'origine collective des notions, donc jusqu'à leur sociogenèse préhistorique. C'est donc faute de mieux, parce que les notions scientifiques ont d'abord été tirées de celles du sens commun et que la préhistoire de ces notions spontanées et communes risque de demeurer à jamais inconnue, qu'il convient de compléter la méthode historico-critique par les méthodes psychogénétiques. L.C.S., pp. 105-106

Méthode historico-critique
(...) tous les problèmes de relations entre le sujet de l'objet, entre la déduction mathématique et l'expérience physique, de la nature particulière de ces déductions ou de ces expériences, des processus de l'invention ou de la découverte, etc., peuvent se retrouver sur le terrain même d'un déroulement historique reconstitué à ces points de vue, et l'on appellera donc méthode historico-critique la méthode d'analyse épistémologique qui utilise l'histoire en vue de telles discussions. L.C.S., pp. 106-107.
(...) la signification épistémologique d'une théorie scientifique ne se dégage pleinement que située dans sa perspective historique, en tant qu'elle répond à des questions soulevées par les doctrines antérieures et qu'elle prépare les suivantes par un jeu de filiations continues ou d'oppositions. Autrement dit, la pensée scientifique étant en continuel devenir, le problème de ce qu'est la connaissance ne peut être résolu que sous des formes plus délimitées tendant à analyser la manière dont s'accroissent ou se développent les connaissances dans leur contexte de construction réelle: d'où la méthode historico-critique qui est l'une des méthodes de choix de l'épistémologie scientifique. S.I.P., p. 105

Complémentarité des méthodes historico-critique et psychogénétique
Mais la méthode historico-critique ne suffit pas à tout. Limitée au champ de l'histoire même des sciences, elle porte sur les notions construites et employées par une pensée déjà constituée : celle des savants eux-mêmes considérés sou l'angle de leur filiation sociale. Les formes de pensée accessibles à la méthode historico-critique sont déjà extrêmement élaborées et plus ou moins profondément insérées dans le jeu des interactions propres à la coopération scientifique. L'immense service que rend une telle méthode est de relier le présent à un passé gonflé de richesses souvent oubliées, qui l'éclaire et l'explique en partie par l'examen des stades successifs du développement d'une pensée collective. Mais il s'agit toujours de l'action de pensées évoluées sur d'autres en évolution et non pas encore de la genèse comme telle de la connaissance. I.E.G. Vol. I, p. 21

Méthode psychogénétique
(...) c'est la construction de toutes les notions essentielles ou catégories de la pensée dont on peut chercher à retracer la genèse au cours de l'évolution intellectuelle de l'individu, entre la naissance et l'arrivée à l'âge adulte : cette embryologie de la raison peut alors jouer, à l'égard d'une épistémologie génétique, le même rôle que l'embryologie de l'organisme à l'égard de l'anatomie comparée ou des théories de l'évolution. I.E.G., Vol.I., p. 22

Complémentarité de l'analyse génétique et de l'analyse formalisante
Ces deux reconstructions, axiomatique et génétique, peuvent ne présenter aucune ressemblance entre elles, puisque l'une vise les fondements et l'autre la construction réelle. Mais il s'agit dans les deux cas de reconstructions visant à être complètes et analogues en tant que reconstructions quoique poursuivies dans des buts bien différents. Il est donc nécessaire à l'épistémologie de les confronter et de disposer de l'une comme de l'autre. Il se trouve alors qu'en certains cas elles divergent totalement mais qu'en d'autres cas, elles convergent en partie : les problèmes les plus intéressants sont alors soulevés par ces divergences ou ces convergences, et cela d'autant plus qu'il n'existe pour une structure donnée (par exemple la suite des nombres entiers ou «naturels») qu'une seule reconstruction génétique adéquate, dans la mesure où elle atteint des lois de développement générales donc communes à tous les individus, tandis qu'il existe de multiples reconstructions axiomatiques ou formalisantes également légitimes, puisque le choix des axiomes est libre pourvu qu'ils aboutissent aux conséquences voulues. L.C.S. pp. 120-121.

Analyse psychogénétique et analyse formalisante
L'analyse génétique du développement de la pensée, de l'enfance à l'âge adulte, correspond en un certain sens, mais sur le terrain des faits, à la reconstruction logistique dans le domaine des questions de validité. Pour fonder une structure, du point de vue de la valeur, la formalisation logistique est, en effet, obligée de la reconstruire entièrement, en posant des axiomes et des procédures, puis en la rebâtissant pas à pas à partir de ces seules données initiales. Parallèlement pour juger, sur le terrain des faits, des relations entre cette structure et les activités du sujet, il est indispensable d'examiner comment elle s'est construite: mais comme il s'agit de faits et non plus de théorie, il s'agit de reconstituer sa construction effective, ce qui n'est plus affaire de réflexion mais d'observation et d'expérience, et ce qui revient donc à suivre pas à pas les étapes de cette construction de l'enfant à l'adulte. L.C.S., p. 120.

Complémentarités des différentes méthodes de l'épistémologie scientifique
Au total, l'interdépendance étroite des analyses directes, formalisantes, historico-critique et génétiques tient à la nécessité fondamentale d'une dialectique de la genèse et de la structure, correspondant à leurs interactions effectives et alternatives. Il n'existe, en effet, pas de genèse sans structure, car toute genèse consiste en transformation progressive d'une structure antérieure sous l'influence de situations nouvelles, et toute genèse aboutit à la construction d'une nouvelle structure du fait que toute genèse, même si elle débute sous le signe de déséquilibres partiels, consiste tôt ou tard en un rétablissement d'une nouvelle forme d'équilibre correspondant à cette nouvelle structure. Réciproquement, toute structure comporte la possibilité de nouvelles genèses, puisqu'il n'y a pas de structure définitive marquant l'achèvement de toute construction. (...) Et toute structure résulte d'une genèse antérieure comme en témoigne l'impossibilité d'atteindre un a priori indiscutable ou un fondement premier en un sens absolu. De cette dialectique immanente ou vivante des genèses et des structures résulte alors (...) la double impossibilité d'étudier la genèse, donc d'utiliser les analyses génétiques et historico-critiques sans une référence constante aux structures, donc sans un recours aux méthodes d'analyse directe ou formalisante, ni d’étudier les structures par voie directe ou formalisante sans se référer nécessairement à un certain niveau d'élaboration, donc sans un appel à quelque perspective historico-critique ou génétique. L.C.S., pp. 130-131

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[…] c’est donc une question dépourvue de sens de se demander si la logique ou les mathématiques sont en leur essence individuelles ou sociales: le sujet épistémique qui les construit est à la fois un individu, mais décentré par rapport à son moi particulier, et le secteur du groupe social décentré par rapport aux idoles contraignantes de la tribu, parce que ces deux sortes de décentrations manifestent l’une et l’autre les mêmes interactions intellectuelles ou coordinations générales de l’action qui constituent la connaissance.