Fondation Jean Piaget

L'épistémologie platonicienne et l'épistémologie aristotélicienne

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Présentation

Aristote et Platon sont, pour Piaget, héritiers d'un même réalisme systématique et statique, en ce sens qu'ils négligent l'un et l'autre le rôle des activités du sujet dans la connaissance et situent dans une réalité extérieure au sujet ce qui constitue le résultat des constructions propres à l'intelligence. La différence entre les systèmes d'Aristote et de Platon réside essentiellement dans l'orientation biologique d'Aristote et dans l'orientation mathématique de Platon.

L'épistémologie platonicienne constitue pour Piaget un exemple d'épistémologie métascientifique qui, partie d'une réflexion sur les mathématiques, s'est prolongée en une théorie générale de la connaissance. Centrée sur le résultat des opérations de la pensée, c'est-à-dire sur leur adéquation avec le réel plutôt que sur les mécanismes internes qui en sont la source, elle aboutit à une conception essentiellement réaliste de la connaissance. Une telle conception consiste à projeter les structures de connaissance dans un monde suprasensible que le sujet se borne à contempler passivement. Piaget attribue ce réalisme de la conception mathématique des grecs à une conscience insuffisante du rôle des opérations du sujet, qui est elle-même solidaire d'un manque de différenciation entre ce qui provient du sujet et ce qui provient de l'objet.

Selon la conception aristotélicienne, connaître se réduirait à appréhender des formes déjà existantes et non à les construire. Piaget oppose à cette hiérarchie immobile des formes, telles que la conçoit Aristote, un constructivisme dialectique. Alors que les deux seuls pouvoirs qu'Aristote attribue au sujet sont la prise de conscience de formes déjà toutes faites et l'abstraction à partir des perceptions qui permet de fournir un contenu aux formes, Piaget confère au sujet connaissant ou «sujet épistémique» un pouvoir de construction de formes nouvelles. Celles-ci ne préexistent donc pas à la connaissance et elles ne sont pas découvertes par abstraction simple à partir des objets ou de leur perception. Elles sont le produit d'une abstraction réfléchissante ou constructive, qui procède à partir des activités initiales du sujet et de leurs résultats sur l'objet.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations

Mathématiques grecques
(...) de façon générale, nous prenons conscience du résultat de nos actions bien avant d'apercevoir leurs mécanismes. il résulte de ces lois psychologiques que les mathématiques grecques ont été essentiellement «réalistes», c'est-à-dire qu'elles ont projeté dans le réel les résultats des opérations au lieu de réfléchir sur celles-ci et de les manipuler en tant qu'instruments mobiles et libres de transformation et de combinaison. L.C.S., p. 17

Épistémologie platonicienne
Faute d'une analyse psychologique du sujet et faute d'une physique mathématique et expérimentale, l'épistémologie platonicienne née de la réflexion sur les mathématiques a donc constitué par la force des choses une doctrine métascientifique. Mais (...) son inspiration est demeurée vivante dans la pensée épistémologique d'un grand nombre de mathématiciens. L'épistémologie platonicienne fournissait, en effet, la réponse simple à un problème central qui a subsisté bien après la prise de conscience historique des opérations: comment expliquer que les structures logico-mathématiques nous résistent, s'imposent avec nécessité et que leurs aspects sans cesse nouveaux apparaissent comme le produit de découvertes et non pas d'inventions? En d'autres termes, ces structures n'existent-elles pas de toute éternité (...)? L.C.S., p. 18-19.

Épistémologie aristotélicienne
Au total, tout en s'appuyant sur une découverte grosse de conséquences pour l'avenir des sciences - la découverte de la logique (...) - Aristote n'a, en fait, formulé que les linéaments des diverses épistémologies du sens commun: le réalisme et l'empirisme joints à une interprétation vitaliste de l'innéité. Il est alors facile de voir que la pauvreté relative de ce résultat, qui contraste avec la fécondité virtuelle du point de départ positif, tient précisément aux limitations de la logique d'Aristote: faute d'une logique des relations complétant celle des classes et du syllogisme, et surtout faute d'une algèbre qui eût situé le syllogisme dans une logique propositionnelle plus large, Aristote a manqué la connexion entre la logique et les mathématiques, et s'est donc enfermé dans les frontières d'un sens commun qualitatif (..). L.C.S., p. 20

Philosophie de la connaissance chez les Grecs
Toute la philosophie de la connaissance chez les Grecs témoigne de ce primat de l’Objet, par rapport au Cogito qui inaugure la réflexion épistémologique moderne : du prétendu «matérialisme» des présocratiques à la réminiscence platonicienne des vérités suprasensibles, de la logique ontologique d’Aristote à l’intuition platonicienne la pensée grecque n’a cessé de croire saisir ou contempler des réalités toutes faites, faute de découvrir qu’elle opérait sur elles. IEG, Vol.I, p. 268.

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[…] sans rapport avec autrui, pas de nécessité morale : l’individu comme tel ne connaît que l’anomie et non l’autonomie. Inversement, tout rapport avec autrui dans lequel intervient le respect unilatéral conduit à l’hétéronomie. L’autonomie n’apparaît ainsi qu’avec la réciprocité, lorsque le respect mutuel est assez fort pour que l’individu éprouve du dedans le besoin de traiter autrui comme il voudrait être traité.

J. Piaget, Le Jugement moral chez l’enfant, 1932, p. 155