LA MULTIPLICITÉ DES CONNAISSANCES

Il n'y a pas, en effet, pour les sciences, une connaissance en général ni même une connaissance scientifique tout court. Il existe de multiples formes de connaissance, dont chacune soulève un nombre indéfini de questions particulières. Et, même en ce qui concerne les grands types de connaissances scientifiques spécialisées, il serait encore bien chimérique aujourd'hui de prétendre rallier une opinion commune sur ce qu'est la connaissance mathématique, par exemple, ou physique, ou biologique, prises chacune en bloc.
Par contre, à analyser une découverte circonscrite dont on peut retracer l'histoire, ou une notion distincte, dont il est possible de reconstituer le développement, il n'est pas exclu que l'on parvienne à une convergence suffisante des esprits dans la discussion de problèmes posés de la façon suivante: comment la pensée scientifique en jeu dans les cas envisagés (et considérés avec une délimitation déterminée) a-t-elle procédé d'un état de moindre connaissance à un état de connaissance jugé supérieur?
Autrement dit, si la nature de la connaissance scientifique en général est un problème encore philosophique, parce que nécessairement lié à toutes les questions d'ensemble, il est sans doute possible, en se situant in medias res, de délimiter une série de questions concrètes et particulières, s'énonçant sous la forme plurale: comment s'accroissent les connaissances ? En ce cas la théorie des mécanismes communs à ces divers accroissements, étudiés inductivement à titre de faits s'ajoutant à d'autres faits, constituerait une discipline s'efforçant, par différenciations successives, de devenir scientifique.
Or, si tel est l'objet de l'épistémologie génétique, il est facile de constater, à la fois, combien une telle recherche est déjà avancée, grâce à un nombre considérable de travaux spécialisés, mais aussi combien il est fréquent, dans la discussion des questions ainsi posées, de revenir, par une sorte de glissement involontaire, aux thèses trop générales de l'épistémologie classique. Ou bien une série de monographies historiques et psychologiques, sans lien suffisant entre elles, ou un retour à la philosophie même de la connaissance, tels sont les deux dangers à éviter, et seule une méthode stricte peut sans doute y parer. (Introduction à l'épistémologie génétique, Paris, Presses Universitaires de France, 2e éd., 1973, t. III, p. 12.)