La construction du réel chez l'enfant – Observation 145

[p.232] A 0;8 (21), Jacqueline a en main la clochette en étoffe dont il a été question dans l'obs. 140. Mais j'ai gardé moi-même, sans qu'elle s'en doute, l'extrémité du cordon fixé à cet objet. J'ébranle alors la clochette et la retire à moi. Jacqueline la lâche aussitôt avec effroi et la regarde curieusement. Après quelque hésitation, elle approche sa main avec une grande délicatesse et touche la clochette en la poussant doucement, comme pour voir ce qui va se passer. A chaque reprise de l'expérience, elle récidive avec plus d'assurance.

A 0;9 (14), elle présente à l'égard de ma montre la même réaction, qui est toute nouvelle par rapport à celle des mois précédents. A 0;8 (20), par exemple, je lui offre ma montre, qu'elle saisit aussitôt des deux mains et examine avec un vif intérêt: elle la palpe, la retourne, fait apff, etc. Je tire alors la chaîne et elle sent la résistance: elle retient l'objet avec force et sourit de ce jeu. Je finis par secouer la chaîne, et elle lâche la montre, mais elle la cherche aussitôt des mains, la rattrape et la remet devant ses yeux. Je recommence à tirer: elle rit de la résistance de la montre et la recherche dès qu'elle la lâche, etc. (Voir l'ensemble de l'obs. plus haut, chap. I, obs. 13.)

Or, à 0;9 (14), je reprends exactement la même expérience. Mais, chose curieuse, Jacqueline, qui reconnaît cependant bien l'objet (elle joue fréquemment avec cette montre), ne cherche plus à le rattraper quand il [p.233] s'échappe de ses mains, parce qu'elle éprouve une légère inquiétude: elle regarde la montre avec stupeur, comme si les mouvements de l'objet étaient entièrement spontanés. Jacqueline essaie bien de la toucher, et avance même son index pour la remettre en branle, mais au premier mouvement de la montre, elle retire sa main avec précipitation.

Ces réactions de Jacqueline à l'égard d'un objet, bien connu d'elle, semblent bien montrer qu'elle commence à lui attribuer une causalité indépendante de l'activité propre.