Fondation Jean Piaget

Présentation

1972.
Essai de logique opératoire.
Deuxième partie: les opérations interpropositionnelles. Chap.8: Le raisonnement mathématique
Essai de logique opératoire / J. Piaget, 1972 (2e éd. révisée du Traité de logique: essai de logistique opératoire de 1949)
Texte PDF mis à disposition le 04.12.2010



[Texte de présentation. Version au 19 octobre 2010.]

De la même façon que, dans le chapitre 4, Piaget a montré comment la structure des opérations de la logique des classes est plus pauvre que la structure des opérations portant sur les ensembles mathématiques (et en particulier sur l’ensemble des nombres entiers), de la même façon montre-t-il, dans ce dernier chapitre de l'Essai de logique opératoire, que l’on ne saurait réduire le raisonnement mathématique au raisonnement logique (élémentaire, c’est-à-dire inhérent à la logique des propositions). Si les inférences propres à la logique des propositions sont effectivement partie intégrante du raisonnement mathématique, elles sont complétées par des inférences (le raisonnement par récurrence notamment) dans lesquelles interviennent des liaisons étrangères au seul raisonnement logique. L’examen auquel Piaget procède ici révèle donc en quoi l’on ne saurait réduire le raisonnement mathématique au raisonnement logique (élémentaire), quand bien même le premier s’inscrit en filiation du second qu’il intègre (de la même façon que les opérations numériques, fruit de la fusion des opérations de classes et de relations, s’inscrivent en filiation de ces dernières, tout en acquérant des propriétés mathématiques et une puissance opérative inconnues des seules opérations logiques).

Toujours de façon similaire à ce qui caractérise les propriétés des (structures de) classes et (de) relations logiques comparativement aux propriétés des (structures d’) ensembles mathématiques, la généralité des raisonnements mathématiques est plus grande non seulement en extension mais également en compréhension comparativement à la généralité du raisonnement logique. La généralisation qui permet de passer de celui-ci au raisonnement mathématique offre ainsi ce caractère de généralisation constructive que détermineront les recherches sur la généralisation conduites au CIEG dans les années 1970 (JP78a).

Enfin, dans les dernières sections de ce chapitre, Piaget expose les problèmes que soulèvent les principes de non-contradiction et du tiers-exclu dans les démonstrations portant sur les ensembles non-finis. Mis en évidence par les logiciens de l’école intuitionniste (Brouwer en particulier), ces problèmes révèlent eux aussi l’écart qui existe entre le raisonnement logique élémentaire (basé sur la logique des propositions) et les raisonnements mathématiques portant sur les ensembles non-finis, hormis ceux pouvant être construits au moyen d’une procédure bien déterminée. Mais en réaction à cette découverte des limitations du raisonnement logique élémentaire, les logiciens, en poursuivant l’objectif de formalisation de la mathématique, en sont arrivés à construire des logiques plus puissantes que la logique bivalente classique (Piaget prend pour exemples 1. la logique intuitionniste trivalente, intégrant l’absurde aux côtés de vrai et du faux, 2. la logique sans négation et donc non-réversible, ou encore 3. la logique polyvalente). Ce qui montre que la seule façon de réduire de manière relativement convaincante la mathématique à la logique est d’enrichir cette dernière de manière à ce qu’elle parvienne à formaliser les processus de raisonnement ou de déduction propres aux mathématiques (en d’autres termes, à mathématiser la logique en lui incorporant un mécanisme de récurrence emprunté à l’arithmétique, à lui faire perdre son caractère purement formel au sens de détaché de tout contenu).

Ce chapitre s’achève par une interprétation originale des limitations de toute tentative de formaliser l’arithmétique et d’en démontrer la non contradiction au moyen de méthodes incluses dans le système formel utilisé (théorèmes de Gödel). Cette interprétation repose sur la thèse selon laquelle la non-contradiction logique utilisée dans un tel système formel serait trop pauvre, « trop peu affinée » pour pouvoir démontrer la non-contradiction de la théorie mathématique formalisée au moyen de ce système. En d’autres termes, qui renvoient cette fois également aux différentes structures d’opérations logico-mathématiques étudiées en psychologie génétique, les différents niveaux de réversibilité opératoire propre aux structures extensives (ou mathématiques) seraient tous plus puissants que les formes de réversibilité opératoire propres aux structures intensives, et plus particulièrement aux structures de groupements logiques (la non-contradiction d’un système découlant de sa réversibilité opératoire). Si la logique et les mathématiques peuvent en un sens être unifiée, c’est avant tout parce qu’elles sont soumises à un « principe régulateur qui les dépasse et qui est la réversibilité des mécanismes opératoires », mais une réversibilité qui se différencie selon le niveau de puissance et de fécondité constructive des opérations en jeu (le seul domaine qui échappe à ce principe étant celui des «opérations portant sur un infini non construit», qui seules sont irréversibles…)