Fondation Jean Piaget

Présentation approfondie

Pierre Gréco (1927-1988). Psychologue français

Brillamment reçu à l’agrégation de philosophie, Pierre Gréco appartient au petit groupe de très proches collaborateurs non genevois de Piaget qui ont accompagné celui-ci tout au long de l’aventure du Centre international d’épistémologie génétique. Tous ceux qui l’ont connu ont pu apprécier son humour et sa grande finesse d’esprit et de langage. Gréco a été l’assistant de Piaget dès 1952, dans le cadre des cours de psychologie que celui-ci donnait à la Sorbonne. Dans les années qui suivent la création du Centre, en 1955, il participera de la manière la plus étroite aux recherches qui y sont entreprises, d’abord celles sur l’apprentissage des structures logiques élémentaires, puis celles sur la genèse des conduites numériques. Les écrits qu’il rédige pour les Etudes d’épistémologie génétique sont de véritables modèles pour la recherche en psychologie génétique dans la mesure où, plus que tout autre, Gréco parvient à allier un questionnement épistémologique et psychologique fécond et subtil avec une méthodologie très rigoureuse d’enquête empirique. Dès le milieu des années soixante, il se consacrera de plus en plus à l’enseignement qu’il donne à l’Ecole pratique des hautes études à Paris, ce qui ne l’empêchera nullement de garder d’étroits contacts avec les chercheurs genevois.

Si Gréco est l’un des rares chercheurs en psychologie génétique qui connaissait et pouvait exposer sans les déformer les thèses psychologiques et épistémologiques de Piaget, il possédait par ailleurs un esprit critique lui permettant de ne pas ignorer les difficultés soulevées par la théorie classique du développement cognitif telle qu’elle ressort des travaux des années quarante et cinquante.

L’attention première portée par Piaget à la mise en évidence des structures opératoires l’avait conduit à laisser dans l’ombre les questions théoriques liées à des problèmes tels que celui des décalages horizontaux. Pourquoi, par exemple, les enfants résolvent-ils plus tard les épreuves de conservation du poids par rapport à celle de la substance? Certes Piaget et Inhelder suggéraient des pistes pour répondre à ce type de question dans leurs travaux classiques sur la genèse des principes de conservation chez les enfants. Mais en raison de la priorité accordée à la problématique de la genèse des structures opératoires, ces pistes restaient alors en friche.

Gréco a très tôt souligné lintérêt qu’il y aurait à se pencher sur les questions de signification des contenus, puisque c’est à ce niveau que l’on devrait pouvoir trouver des explications plus complètes au problème des décalages. D’un autre côté, il a également très tôt suspecté que le recours aux modèles de groupement et de groupe pour rendre compte des compétences logiques des enfants devrait être reconsidéré, dans la mesure où des structures autres que celles détectées dans les recherches classiques pourraient intervenir dans la résolution par l’enfant des problèmes intellectuels rencontrés lors de son développement. Piaget lui-même a d’ailleurs admis cette nécessaire ouverture lorsque, sous la pression de Garcia, il a fini par engager des recherches sur la logique des significations.

Cependant c’est dès ses recherches sur le nombre réalisées au centre dans les années cinquante que Gréco avait manifesté une ouverture par rapport aux anciennes analyses structurales. Sa découverte du "nombre-quotité", sorte d’intermédiaire entre le nombre empirique ou perceptif des enfants les plus jeunes, et le nombre comme quantité opératoire, construit par les enfants de sept-huit ans environ, en est l’illustration. Mais si Gréco avait su garder son esprit critique par rapport aux thèses classiques de la psychologie et de l’épistémologie génétiques, ce n’était pas pour adopter les thèses des multiples écoles néo-piagétiennes qui ont fleuri un peu partout dès les années septante. La préface au livre de J. Bideaud sur "Logique et bricolage" (1988) manifeste une ironie et une causticité sans réserve face à des tentatives souvent trop sommaires de dépasser les lacunes de la psychologie génétique classique.