Fondation Jean Piaget

Introduction


L’une des thèses centrales de la psychologie et de l’épistémologie génétiques est celle selon laquelle l’une des meilleures façons de comprendre la pensée adulte est d’en retracer les étapes de formation. Cette recommendation s’applique très bien à l’oeuvre de Piaget elle-même.

De manière assez générale, il y a une sorte de jeu de miroir, que l’on retrouve chez d’autres auteurs comme Bergson ou Freud, entre une conception développée par un créateur intellectuel et la démarche suivie par celui-ci dans son travail, ou la façon dont l’oeuvre de ce créateur évolue au cours des années. Piaget est une excellente illustration de cette sorte de correspondance.

Pour mettre en lumière le caractère constructif de l’oeuvre piagétienne, nous utiliserons deux niveaux de présentation, l’un, très macroscopique, l’autre plus détaillé.

Une approche très macroscopique des étapes de l’oeuvre

Dans le premier, nous essayerons de donner une image d’ensemble de la totalité de cette oeuvre. Il va de soi qu’une telle image est forcément réductrice. Des points essentiels ne peuvent être exposés explicitement, et seule la personne qui a déja une connaissance très étendue peut reconstruire l’arrière-fond par rapport auquel cette description prend tout son sens.

Cependant pour une personne qui connaît encore mal l’oeuvre de Piaget, cette lecture est susceptible de lui apporter une première idée, certes insatisfaisante et lacunaire, de son apport à l’avancement des sciences et de la philosophie.

Il ne faut pas s’effrayer de l’obscurité de cette prise de contact globale avec les thèses de Piaget. Pour apprendre une langue, il est aujourd’hui vivement conseillé de se plonger dans une communauté de langage, en s’efforçant d’échanger des propos dans cette langue avec les personnes qui la parlent quotidiennement, même si lors de ces échanges bien des points restent obscurs. Il en va de même avec l’acquisition de la psychologie et de l’épistémologie génétiques. Toute démarche d’acquisition moulée sur les anciens procédés scolaires d’apprentissage est certainement vouée à l’échec.

Une approche plus détaillées des étapes de l’oeuvre

De même que l’on sait aujourd’hui qu’une approche globale est une bonne façon de s’approprier intellectuellement un domaine d’étude un tant soit peu complexe, de même sait-on que l’on a tout intérêt à compléter cette approche par sa complémentaire, plus analytique.

Généralement les domaines du vivant que l’on cherche à connaître ont, pour ainsi dire, la bonne grâce de s’offrir à nous en nous présentant des découpages fonctionnels (et épistémiques) non quelconques. Vu le caractère organisé et organique de l’oeuvre de Piaget, comme de sa construction, il n’est pas étonnant que nous puissions, sans trop lui faire violence, la décomposer en ses volets principaux que sont la biologie, la philosophie, la psychologie et l’épistémologie, pour les prendre dans un ordre non entièrement gratuit. En suivant les étapes de formation de chacune des dimensions de l’oeuvre, nous n’aurons garde d’oublier qu’elle n’est pas, loin de là, dépourvue de liens internes avec les autres dimensions, alors partiellement cachées par cette approche plus analytique.

Enfin, la personne qui naviguera dans cette présentation de l’oeuvre de Piaget pourra avoir par moment le sentiment d’une certaine répétition. C’est là le prix à payer pour une présentation à caractère volontairement "fractal". Nous avons en effet tenté, au prix parfois d’induire un tel sentiment, de faire ressortir la façon dont chaque partie est grosse de tout le reste (aussi bien des autres parties que des différentes étapes de l’oeuvre).

La structure du présent document est ainsi en un sens un reflet de cette leçon de la psychologie génétique selon laquelle, dans le champ des phénomènes intellectuels, l’analyse structurale ne peut pas ne pas refléter la dimension génétique implicite de toute structure, et vice versa.

Il en va de même du troisième point de vue que nous avons adopté pour présenter l’oeuvre de Piaget, celui, interactionniste, qui prend en compte, plus qu’il n’est usuel de le faire en psychologie génétique classique, le rôle de l’environnement intellectuel ou cognitif dans la constitution d’une pensée. On ne peut comprendre l’interaction sans avoir en vue les dimensions structurales et génétiques qu’elle implique forcément pour une oeuvre qui a choisi comme l’un des critères de sa construction celui de la cohérence

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Au début, vous avez un « Je » qui ne se connaît pas lui-même. Il y a des objets qui ne sont pas permanents et il y a les interactions entre ces deux pôles. La connaissance ne commence pas par le « je », ni par l’objet, elle commence par les interactions.

J. Piaget, Mes idées., 1977, p. 71