Fondation Jean Piaget

Place de la psychologie dans le système des sciences

L’apport de Piaget à la psychologie
But et résultat


L’apport de Piaget à la psychologie

La psychologie scientifique a une dette très grande envers Piaget. Plus que la psychanalyse, dont on pourra longtemps encore soupçonner que l’édifice théorique qu’elle a construit repose sur des faits parfois peu contrôlables, l’oeuvre psychologique de Piaget a permis à cette jeune science, à laquelle il a voué une part importante de ses efforts de recherche, de faire un bond qualitatif considérable sur ce que l’on pourrait appeler l’échelle de la raison scientifique.

A la fin du dix-huitième siècle, Kant avait de bons arguments à faire valoir en niant la possibilité d’une science psychologique au sens complet du terme, mathématique et expérimental. Nul doute que, en affirmant son scepticisme, le philosophe allemand n’avait pas en vue la possibilité d’une psychologie empirique.

Mais à ses yeux, nourris d’une grande admiration et d’une grande connaissance de la physique newtonienne, il ne suffisait pas de collecter des faits pour fonder une science. A la simple lecture des régularités empiriques il fallait ajouter la possibilité de proposer des explications rationnelles semblables à celles que les physiciens modernes avaient trouvées en ce qui concerne la réalité physique.

Certes une raison plus cachée avait pu jouer un rôle dans le scepticisme de Kant: la suppression de la liberté humaine, apparemment condamnée par le déterminisme scientifique. Mais le courage de Kant lui aurait certainement permis de se débarrasser de cette peur s’il avait pu estimer plausible une science au sens complet des phénomènes psychologiques.

C’est à cette aune qu’il faut mesurer l’apport de Piaget. Il est le premier psychologue a avoir accompli sur une large échelle ce qui, depuis longtemps déjà, a été reconnu comme la condition de possibilité d’une science de la nature: l’articulation réussie de la déduction logique et mathématique avec l’expérience, articulation dont on comprend mieux, grâce à son oeuvre psychologique et épistémologique, en quoi elle consiste.

En faisant de la psychologie une science au sens le plus complet du terme, Piaget a assuré à cette discipline une place de premier ordre au sein du système des sciences. Mais, au delà de l’hommage que nous lui rendons par une telle affirmation, et qui est un pari sur le devenir de la connaissance scientifique et de la reconnaissance qui sera faite des apports du psychologue genevois, il reste à rappeler les résultats ou les suggestions que lui-même a tirés de ses recherches de psychologie et d’épistémologie génétiques concernant cette place.

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But et résultat

En se faisant psychologue Piaget avait principalement pour but l’élaboration d’une théorie scientifique de l’origine et de la nature des connaissances scientifiques, et plus généralement des formes et des normes rationnelles. Pendant plus de cinquante ans la poursuite de ce but lui a permis de multiplier les enquêtes sur le développement cognitif de l’enfant et de vérifier la possibilité d’utiliser la psychologie pour faire le pont entre, d’un côté, la logique et les mathématiques, et de l’autre la biologie.

En montrant comment il est possible de relier la réalité logique à la réalité biologique sans renier les particularités de la première, et donc sans tomber dans le piège du psychologisme, il a du même coup confirmé le rôle essentiel de la psychologie dans le système des sciences. C’est elle qui, en se coordonnant avec l’épistémologie, la biologie, la sociologie et la logique, parvient à expliquer comment et pourquoi les sciences logico-mathématiques sont l’instrument qui permet à la pensée physique de décrire et d’expliquer la réalité physique, comme de comprendre ce qu’il en est de la réalité physique dans ses rapports avec le sujet conscient.

Après l’oeuvre laissée par Piaget, il n’est ainsi plus impensable de reconnaître à la psychologie, entre autres finalités, celle de résoudre le problème de la possibilité des sciences rationnelles de la nature, et plus généralement l’existence de la raison.

La psychologie n’a pas, il est vrai, pour seule fin de contribuer à résoudre le problème de la possibilité des sciences rationnelles, ni non plus d’ailleurs que celui, propre à la raison pratique, de la possibilité d’une morale universelle. Mais en se mettant ainsi au service de deux objectifs qui dépassent son domaine, dans la mesure où ils portent sur les réalités ou sur les normes intellectuelles et morales, elle contribue puissamment à répondre à la question socratique qui est sa question première: Qui suis-je? Qui sommes-nous, nous, animaux doués de raison?

En définitive, en parvenant à percer un peu le mystère des activités conscientes, en apportant un début de réponse la plus objective possible à la question socratique, la psychologie se révèle être au coeur de tout le système des sciences, s’il est vrai que les sciences sont, comme le suggèrent les faits recueillis par la psychologie génétique, des constructions humaines, faites par des sujets reliés aux évolutions biologique et sociale, qui ont une histoire, qui se posent des questions, qui interagissent entre eux et qui agissent sur la réalité qu’ils jugent extérieure, spontanément ou après réflexion.

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[…] de même qu’à une fonction commune de tous les êtres vivants, telle que la nutrition, peuvent correspondre des formes indéfiniment variées d’organes, de même à cet invariant fonctionnel qu’est le besoin d’expliquer correspondent des structures très variables.