Fondation Jean Piaget

La logique des propositions

Introduction
Les seize opérations de base
Le groupe INRC
Le groupement des seize opérations


Introduction

A la différence de la logique des classes et de celle des relations, qui, chez Piaget, ont pour objets principaux les opérations d’addition et de multiplication des classes ou des relations, la logique des propositions porte sur les opérations agissant sur les propositions. Il existe pourtant un lien entre les deux premières et la troisième:

Le résultat des opérations de classe et des opérations de relation peut être exprimé au moyen d’une proposition (par exemple "les hommes sont mortels" exprime l’inclusion de la classe des hommes dans la classe des mortels).

Il était usuel dans la logique symbolique du début du siècle de construire ou d’exposer la logique en commençant par la logique des propositions, pour n’aborder qu’ensuite la logique des classes et des relations. Soucieux de calquer autant que possible la construction de la logique, ou l’axiomatisation logique, sur la réalité que cette axiomatisation est supposée schématiser, Piaget procède dans l’ordre inverse.

La raison en est que l’enfant commence par organiser logiquement son univers, en classant les objets et en opérant sur leurs relations, avant de se soucier d’opérer sur les propositions (même s’il les utilise, et même s’il commence à réaliser des liens entre propositions avant l’achèvement de la construction de ses opérations de classe et de relation). Le travail sur les propositions est affaire plus de l’adolescent que de l’enfant.

L’objet de la logique des propositions

Piaget ne se contente pas de renverser l’ordre de construction ou d’exposé de la logique des propositions par rapport aux logiques des classes et des relations. Il prend là aussi à contre-courant le courant dominant de la logique contemporaine qui conçoit l’axiomatisation d’une discipline essentiellement comme une découverte des axiomes de base à partir desquels cette discipline se laisserait déduire de façon toute mécanique.

Pour lui, le travail du logicien doit consister d’abord à expliciter la forme ou la structure de l’objet étudié, en l’occurrence non pas les propositions, mais les opérations agissant sur elles.

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Les seize opérations de base

L’étude logique des opérations interpropositionnelles entreprise permet à Piaget de mettre en évidence plusieurs structures de groupe ou de groupement reliant ces opérations les unes aux autres.

Dans l’exposé des résultats de cette étude, l’auteur part des seize façons classiquement reconnues de relier au sein d’une affirmation les combinaisons possibles de deux propositions bivalentes (c’est-à-dire pouvant être chacune soit vraie, soit fausse). Décrivons-en quelques-unes.
    - La première de ces seize liaisons est la tautologie ou affirmation complète, que Piaget note (p*q), et qui affirme que les quatre couples (pq v pq' v p'q v p'q') peuvent être vrais (c’est-à-dire que l’on peut avoir p vrai et q vrai, ou bien p vrai et non q vrai, ou encore non p vrai et q vrai, etc., avec "v" signifiant "ou" et l’apostrophe, la négation de la proposition qu’il indice).

    - La seconde liaison est la négation de la première, c’est-à-dire la négation complète: on n’a ni pq, ni pq', etc., ce que Piaget note par (0) = df. (0) v (0) v (0) v (0).

    - Viennent ensuite la disjonction non exclusive, notée p v q, la négation conjointe, notée (p'.q') (avec "." signifiant la conjonction de deux propositions), l’incompatibilité, notée (p'|q'), la conditionnelle, notée (p>q), etc.

    - Pour donner encore un dernier exemple de définition, remarquons que la conditionnelle est définie de façon la plus classique qui soit par la liaison (p.q) v (0) v (p'.q) v (p'.q'). En d’autres termes, p implique q s’il est vrai que l’on peut avoir p et q vrais ensemble, ou bien non p et q, ou bien encore non p et non q, mais que l’on a pas p et non q vrais ensemble (l’implication "Socrate est un homme donc Socrate est mortel" est vraie parce qu’être un homme et être immortel ne sont jamais vrais ensemble).
Nous n’allons pas entrer dans le détail de la suite de l’exposé de Piaget, mais nous contenter de lister en les commentant de façon très lacunaire le groupe INRC et le groupement des 16 opérations que l’auteur a découverts en examinant les différentes opérations reliant les opérations précédentes.

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Le groupe INRC

Après avoir exposé les seize liaisons ou opérations binaires (et avoir brièvement indiqué l’existence de 256 opérations ternaires auxquelles il consacrera un ouvrage séparé, JP52), Piaget examine les opérations qui permettent de passer de l’une à l’autre de ces seize liaisons (opérations sur des opérations donc). Il en découvre trois (ou quatre si l’on tient compte de l’opération identique, qui n’a de sens que par rapport aux trois autres):
    – l’inverse d’une opération (par exemple l’inverse de l’affirmation complète qui donne la négation complète; ou bien, pour la disjonction pvq, la négation conjointe p'.q'),

    – la réciproque (par exemple la disjonction pvq qui donne l’incompatibilité p'vq'),

    – et enfin la corrélative (qui, toujours pour pvq, donne p.q).
En procédant de la sorte pour chacune des seize opérations de base, il constate plus précisément l’existence de deux groupes, ou quaternes, composés chacun de quatre opérations distinctes, plus un groupe «dont les réciproques sont identiques entre elles et les corrélatives identiques aux inverses» (JP72a, p. 259), enfin un dernier groupe d’opérations qui présente «des corrélatives identiques entre elles et des réciproques identiques aux inverses» (id.).

Après avoir démontré une série de théorèmes par rapport à ces différents quaternes d’opérations, Piaget expose le théorème central de sa logique des propositions, l’existence d’un groupe de transformations entre les quatre opérations agissant sur les seize opérations de base de la logique bivalente. C’est le fameux groupe INRC.
    I est l’opération identique, qui revient par exemple à poser pvq. N est une opération de négation qui revient à inverser la présence ou l’absence d’un couple (p,q) muni de ses valeurs de vérité dans la table de constitution des seize opérations de base; par exemple l’opération N appliquée à l’affirmation complète (pq v pq' v p'q v p'q'), que l’on peut aussi noter (p*q) ou (1v1v1v1), donne, (0v0v0v0), ou (0).

    L’opération réciproque R revient, non pas à inverser l’opération sur laquelle elle porte, mais à remplacer l’un par l’autre les termes sur lesquels porte l’opération, de telle sorte que si, par exemple, on a "p implique q", c’est-à-dire (1v0v1v1) il viendra (1v1v0v1), soit "q implique p"; enfin la corrélative C revient à inverser la réciproque d’une des seize opérations de base.
Le groupe des quatre transformations ou opérations INRC obéit à des lois de composition extrêmement simples (comparativement à la complexité possible de l’application de ces opérations sur l’une ou l’autre des seize opérations de base de la logique bivalente). (fig. 34) Par ailleurs la composition des quatre opérations INRC est non seulement associative, sans restriction, mais également commutative. Outre le fait qu’il existe une opération identique, qui est I, chaque opération du groupe a, comme il se doit, une inverse, en l’occurrence elle-même.

Ce groupe agit dans chacun des quatre quaternes dans lesquelles se distribuent les seize opérations de base. Mais il ne permet pas de passer d’un quaterne à un autre. Selon Piaget, il exprime «l’essentiel des transformations réversibles du système et en fonde la réversibilité» (JP72a, p. 276). C’est ce groupe qui fait comprendre la nature de la déduction logique en montrant comment les opérations qui interviennent dans cette déduction s’articulent les unes aux autres (par inversion, réciprocité, etc.).

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Le groupement des seize opérations

Sans nous arrêter aux différents éclairages que l’analyse structurale de Piaget permet d’apporter à différents chapitres classiques de la logique (la syllogistique, mais aussi les axiomatiques de Hilbert, de Russell, etc.), mentionnons encore un résultat important de cette analyse.

L’auteur montre que si l’on ne peut pas réunir les seize opérations au sein d’une seule structure obéissant aux lois d’un groupe, on peut au contraire les relier au sein d’un groupement unique «dont les formes diverses se composent directement les unes à partir des autres» (p. 319). La démonstration procède en cinq étapes, dont la troisième est centrale, puisqu’elle contient l’exposé du «groupement des seize liaisons binaires» (JP72a, p. 335).
    L’opération directe du groupement des seize liaisons binaires est la réunion disjonctive, ou l’addition, (v) d’une conjonction à une autre (par exemple: (0) v (p.q)). L’opération inverse est «la négation d’une conjonction, réunie conjonctivement à une autre» (JP72a, p. 335), par exemple : (0).(p.q)'. L’opération identique générale est l’opération qui résulte de la conjonction d’une opération directe et de son inverse: (p.q) v (p.q)' = (0).

    Comme pour les groupements additifs de classe et de relation, le groupement des seize opérations binaires comporte lui aussi des identiques spéciales: la "tautification", par exemple (p.q) v (p.q) = (p.q), la "résorption", par exemple (p.q) v [(p.q) v (p.q')] = (p.q) v (p.q'), et "l’absorption", par exemple, (p.q).[(p.q) v (p.q')] = (p.q). Enfin, dernière propriété qui fait que les transformations des seize liaisons les unes dans les autres au moyen de l’opération directe (v) et de l’opération inverse [.(...)'] obéissent aux lois propres à la structure de groupement, l’associativité.
Pour terminer, rapportons encore la comparaison faite par Piaget entre ce groupement des seize opérations de la logique et le groupe INRC. Alors que les opérations directe et inverse qui agissent sur les seize opérations reviennent à les additionner (à les réunir disjonctivement ou conjonctivement) sans les modifier, les quatre opérations du groupe INRC les transforment les unes dans les autres. Ce groupe «constitue donc non pas la source, mais le régulateur du groupement, dont il exprime le facteur de mobiIité par opposition aux emboîtements comme tels» (JP72a, p. 348).

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[…] il est impossible, à aucun niveau, de séparer l’objet du sujet. Seuls existent les rapports entre eux deux, mais ces rapports peuvent être plus ou moins centrés ou décentrés et c’est en cette inversion de sens que consiste le passage de la subjectivité à l’objectivité.