Fondation Jean Piaget

Le positivisme logique (ou empirisme logique)

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Présentation

Piaget considère que le positivisme ou empirisme logique marque un certain progrès sur le positivisme classique mais, tout comme ce dernier, il prétend maintenir une distinction de nature entre problèmes scientifiques et problèmes métaphysiques. Si le mérite du positivisme ou de l'empirisme logique, par rapport au positivisme classique, est de reconnaître l'existence de deux sources de connaissances, l'une logico-mathématique et l'autre expérimentale, Piaget considère néanmoins que cette épistémologie aboutit à une conception réductionniste de ces deux aspects de la connaissance. Les principaux points sur lesquels porte la critique piagétienne de l'empirisme logique sont les suivants:

  1. Le positivisme logique conserve l'ambition du positivisme classique d'imposer à la science des frontières stables et immuables en maintenant une distinction entre les problèmes d'ordre scientifique et métaphysique, les premiers seuls étant significatifs parce qu’ils sont susceptibles d'être énoncés en termes de formalisation logique ou d'expérience stricte, les autres demeurant sans signification.
  2. Utilisant la logistique, en tant que langage exact, comme un instrument essentiel protégeant contre les pseudo-problèmes ou pseudo-concepts, dans la mesure où il est apte à n'énoncer que des liaisons significatives, il est conduit à réduire la logique et les mathématiques tout entières à un simple langage, consistant sans plus à combiner des significations selon certaines règles de procédures. En réduisant les structures logico-mathématiques de la pensée à un pur langage intériorisé, il minimise donc considérablement le rôle des activités du sujet dans la connaissance.
  3. Fidèle à une interprétation empiriste de l'expérience, le positivisme réduit parallèlement l'expérience à la perception et la connaissance physique à une simple constatation de faits que la logique et les mathématiques auront pour fonction de traduire en symboles. Ces symboles seront alors manipulés et les résultats de ces calculs seront à nouveau retraduits en constatations.
  4. Cette conception réductionniste, tant de la logique et des mathématiques que de l'expérience, aboutit à une dualité entre deux formes de connaissances initialement distinguées, correspondant à la dualité des termes empirisme et logique: d'un côté, le langage, purement tautologique ou analytique, puisqu'il n'est qu'un langage; de l'autre, les faits, irréductibles à ce langage et par conséquent synthétiques, puisqu'ils constituent une connaissance a posteriori relevant de la seule expérience. Rétablissant la dichotomie de l'analytique et du synthétique, de la connaissance logique et de la connaissance expérimentale, l'empirisme logique marque donc un recul par rapport à l'épistémologie kantienne dont le mérite est précisément d'avoir transcendé cette dichotomie, sous la forme des jugements synthétiques a priori caractérisant les vérités mathématiques.

La critique piagétienne consiste essentiellement à montrer que les lacunes de l'empirisme logique résident dans le caractère antigénétique, ou insuffisamment génétique, de ses interprétations et que l'analyse formalisante, si indispensable soit-elle à toute épistémologie scientifique, n'est pas suffisante et doit être complétée par l'analyse génétique. En effet, la connaissance étant pour Piaget un processus et non un état, le problème des structures est indissociable de celui de leur genèse. Or, tout n'est pas formalisable. Si chaque étape de ce processus, envisagée d'un point de vue synchronique, peut être caractérisée par des structures formalisables, le processus historique ou génétique échappe à la formalisation. D'où la nécessité de compléter l'analyse formalisante par l'analyse génétique, sous peine de retomber dans les lacunes du positivisme logique.

  1. Piaget oppose donc à la conception restrictive de la science que nous donne le positivisme celle d'une science indéfiniment ouverte et ne comportant aucune frontière stable puisqu'elle obéit à un processus de construction continuelle.
  2. Il s'ensuit que la logique et les mathématiques, en tant que résultat d'une construction à partir des coordinations logiques immanentes à l'action et antérieures au langage, ne sont pas qu'un langage. Piaget remplace ainsi la simple traduction symbolique par une structuration active du sujet modifiant l'objet à des degrés divers, au même titre que l'activité pratique modifie les objets sur lesquels elle s'exerce.
  3. Puisque les structures logico-mathématiques de la pensée ne constituent pas un simple langage intériorisé mais jouent un rôle actif dans la connaissance, il s'ensuit, réciproquement, que la connaissance physique n'est pas réductible à l'enregistrement passif des faits mais fait intervenir un minimum de cadres logico-mathématiques qui modifient l'objet appréhendé. De sorte qu'il existe, en toute connaissance physique, une union indissociable de l'expérience et de la déduction.
  4. La distinction des aspects logico-mathématiques et physiques de la connaissance ne correspond donc pas, pour Piaget, à la dichotomie de l'analytique et du synthétique. Elle tient essentiellement au mode d'abstraction à partir de l'action (abstraction réfléchissante) ou à partir de l'objet (abstraction empirique), qui les sous-tend. De plus, il n'y a pas dualité de ces deux modes de connaissances, mais interdépendance sous la forme d'une interaction réciproque du sujet et de l'objet.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations

Le néopositivisme
Le néopositivisme contemporain, issu du cercle de Vienne (...), et généralisé dans les pays anglo-saxon sous le nom d'empirisme ou de positivisme logique, marque un progrès évident sur l'épistémologie d'Auguste Comte: deux sources distinctes et même hétérogènes de connaissances sont désormais dissociées, la source expérimentale soit-disant fondée sur la perception et la source logico-mathématique, relevant (dans l'esprit de cette doctrine) d'une syntaxe et d'une sémantique communes à toutes les langues, donc d'origine sémiotique. L.C.S., p. 47.

L'empirisme ou positivisme logique
Les deux idées nouvelles de l'empirisme logique (dont la première est de valeur incontestable mais dont nous discuterons la seconde dans la suite) sont alors d'une part, que la logistique constitue le langage le plus général dont a besoin l'épistémologie de toutes les sciences dans l'analyse des méthodes et des fondements et, d'autre part, que la logique y compris les mathématiques, ne constitue qu'un langage, sans autre pouvoir que celui, considéré suffisant, de combiner des signes (syntaxe logique) selon certaines règles de procédures (pragmatique). L.C.S., p. 82.

Les lacunes du positivisme logique
(...) la lacune centrale du positivisme logique n'est pas de s'en être tenu aux exigences de la logique, du langage et de l'expérience: elle est d'avoir conduit toutes ses analyses d'un point de vue exclusivement synchronique ou statique en oubliant l'autre dimension fondamentale de l'étude épistémologique, c'est-à-dire la diachronie ou la construction historique ou génétique. Or, il est facile de faire abstraction complète du «sujet» de la connaissance, en le renvoyant aux métaphysiciens, d'assimiler les mathématiques et la logique à un pur langage, de nier l'existence de toute synthèse a priori, de railler les fonctions «mentales» etc. tant que l'on se place à ce point de vue statique, car le propre des constructions objectives élaborées par le sujet est justement d'effacer peu à peu toute trace de subjectivité: mais, à se demander génétiquement comment ces constructions se sont effectivement produites, les perspectives changent assez profondément et le sujet réapparaît au premier plan en ses interactions avec l'objet. L.C.S, p. 94

Méthodes statiques du positivisme logique
En bref, aux méthodes essentiellement statiques du positivisme logique, il est nécessaire de substituer un point de vue dialectique, d'une part pour concilier la genèse des structures et la possibilité de leur formalisation à chaque palier d'équilibre atteint au cours de leurs développements, et, d'autre part, pour dégager en chacun de ces aspects, les parts respectives du sujet et de l'objet et leurs interactions indissociables. C'est à ces seules conditions, nous semble-t-il, que l'épistémologie respectera le caractère constamment ouvert des sciences, au lieu de leur imposer du dehors et illusoirement des exigences de fermeture. L.C.S., p. 105.

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La pensée biologique est aussi réaliste que la pensée mathématique est idéaliste. La déduction ne joue, en effet, qu’un rôle minimum dans la construction des connaissances biologiques, et cela dans la mesure où la réalité vivante est liée à une histoire. L’observation et l’expérimentation constituent ainsi les sources essentielles du savoir biologique et il ne vient à l’esprit d’aucun biologiste de considérer l’objet de ses recherches comme le produit de ses propres opérations mentales (sauf en ce qui concerne les coupures en partie conventionnelles de la classification).