Fondation Jean Piaget

Les modes de dépendance entre les divers ensembles de sciences

Introduction
Relations entre les sciences logico-mathématiques (I) et physiques (II)
Relations entre les sciences physiques (II) et biologiques (III)
Relations entre les sciences mathématiques (I) et biologiques (III)
Relations entre les sciences biologiques (III) et psychosociologiques (IV)
Relations entre les sciences psychosociologiques (IV), biologiques (III) et logico-mathématiques (I)
Relations entre la logique et les disciplines psychosociologiques


Introduction

Piaget envisage plusieurs formes de dépendance entre une science et une autre selon le domaine considéré et le degré d'évolution des sciences. C'est la raison pour laquelle il insiste sur la nécessité de distinguer, au sein de chaque ensemble de sciences - mathématiques (I), physiques (II), biologiques (III) et psychosociologiques (IV), quatre domaines distincts: domaine matériel (A), conceptuel (B), épistémologique interne (C) et épistémologique dérivé (D).

L'analyse des relations de dépendance entre les sciences à différents niveaux, correspondant en fait à leurs domaines, permet de rendre compte du degré d'élaboration d'une science en fonction du processus évolutif (équilibration graduelle) dont elle procède. Elle renvoie également au problème central des formes de passage entre les principaux domaines scientifiques qui, à première vue, paraissent hétérogènes entre eux. C'est toujours sous l'angle d'un enchaînement circulaire des sciences, lié à l'interaction dialectique du sujet et de l'objet, que Piaget envisage ces relations.

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Relations entre les sciences logico-mathématiques (I) et physiques (II)

Au niveau de leurs domaines matériels (IA et IIA) il y a dépendance unilatérale de la connaissance physique par rapport à la connaissance logico-mathématique puisque toute connaissance de l'objet ou de la réalité physique est relative à un cadre logico-mathématique, c'est-à-dire aux instruments déductifs dont dispose le sujet pour l'appréhender. Par contre, la connaissance logico-mathématique ne dépend pas de la connaissance physique. Si en son point de départ elle s'appuie sur des objets, ceux-ci ne servent que de substrats aux coordinations des actions du sujet dont procède, par abstraction réfléchissante, la connaissance logico-mathématique. Alors que le domaine des sciences physiques relève de la causalité, celui des sciences logico-mathématiques est constitué d'implications. La dépendance du premier à l'égard du second signifie qu'il y a au minimum une mise en correspondance entre les éléments du système causal et ceux du système implicatif.

Au niveau de leurs domaines conceptuels (IB et IIB), il y a assimilation progressive des sciences physiques aux sciences logico-mathématiques, dans le sens d'une réduction par axiomatisation, c'est-à-dire d'une mathématisation croissante du réel. En effet, les constatations sont incorporées dans des théories de plus en plus élaborées qui modifient les constatations ultérieures. En d'autres mots, l'appareil logico-mathématique transforme la compréhension qui transforme elle-même à son tour la constatation. L'harmonie entre certains cadres logico-mathématiques et le contenu expérimental venant les remplir après coup témoigne de cette assimilation progressive du physique au mathématique dans le sens de la réduction d'un système causal à un système implicatif. Celle-ci se manifeste en particulier par le passage de la physique expérimentale à la physique théorique et de celle-ci à la physique mathématique qui constitue bel et bien une réduction par axiomatisation.

Il existe également des relations entre leurs domaines épistémologiques internes (IC et IIC) et dérivés (ID et IID). En ce qui a trait à leur épistémologie dérivée, les sciences physiques dépendent des sciences logico-mathématiques car la formulation même de problèmes spécifiques à la physique nécessite le recours à un appareil logico-mathématique. Par ailleurs, ces problèmes d'épistémologie interne sont inséparables de questions concernant l'épistémologie dérivée, c'est-à-dire les relations Sujet/Objet dans la connaissance.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Relations entre les sciences physiques (II) et biologiques (III)

Il existe des relations entre les domaines matériels (A) et conceptuels (B) des sciences physiques (II) et biologiques (III). Piaget envisage ces relations sous la forme d'une interdépendance ou réduction réciproque des sciences biologiques aux sciences physico-chimiques, dans le sens où le système inférieur (physico-chimique) s'enrichit de propriétés nouvelles en rendant compte de celles du système supérieur.

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Relations entre les sciences mathématiques (I) et biologiques (III)

Il y a «court-circuitage» reliant les études épithéoriques du biologiste (IIIC) à des considérations logico-mathématiques. Il s'agit de tentatives pour mathématiser certaines notions biologiques sans passer par leur substrat physico-chimiques (par exemple, la théorie générale des systèmes de Bertalanffy).

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Relations entre les sciences biologiques (III) et psychosociologiques (IV)

Les domaines matériels (A) (ou objets) de la psychologie, de la sociologie et des sciences humaines constituent un cas particulier du domaine matériel des sciences biologiques puisqu'il s'agit toujours d'êtres vivants envisagés sous différents aspects. En effet, la biologie porte sur l'organisation vivante qui est à la source de la formation du sujet connaissant, lequel constitue précisément, en son aspect individuel et social, l'objet de la psychosociologie. Il y a donc interaction réciproque, au sens d'un enrichissement mutuel, entre les sciences biologiques et psychosociologiques.

En ce qui a trait à leurs domaines conceptuels (B), la psychologie est davantage reliée à la biologie que ne le sont les sciences sociales, puisque les sociétés humaines dépendent peu des transmissions internes ou héréditaires entre les organismes mais reposent plutôt sur des transmissions externes. L'une des tendances de la psychologie est en effet une réduction des faits de comportement à des lois neurophysiologiques. Toutefois, dans la perspective piagétienne, il s'agit moins d'une réduction du supérieur à l'inférieur que d'un parallélisme entre les faits de conscience et les séquences physiologiques qui conserve aux faits de conscience leur spécificité. Ce type de relation équivaut alors à une recherche d'isomorphisme entre structures implicatrices et structures causales.

Quant à l'épistémologie interne (C) de la biologie et des disciplines psychosociologiques, Piaget envisage diverses relations. Il peut y avoir recours aux domaines supérieurs (psychosociologiques) pour tenter de préciser la signification épistémologique interne de certaines notions biologiques telles que la notion de finalité d'origine psychosociologique, mais qui est elle-même empruntée au contenu de l'introspection ou des représentations collectives. Ces relations peuvent également consister à tenter d'appliquer des modèles de comportement à des domaines biologiques.

Enfin, la biologie comporte, outre son domaine épistémologique interne (C) relatif à la connaissance du biologiste, un vaste domaine épistémologique dérivé (D) concernant l'ensemble des informations épistémologiques qui peuvent être tirées de ses domaines A, B, C, en ce qui a trait notamment à la connaissance du sujet et de ses relations à l'objet. En effet, puisque les relations de connaissance entre le sujet et les objets prolongent les interactions adaptatives entre l'organisme et le milieu, le problème épistémologique se retrouve à tous les niveaux aussi bien biologique que psychologique ou sociologique. En particulier, il y a interaction réciproque entre les théories de l'évolution biologique et celles de l'évolution cognitive ou du développement des connaissances.

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Relations entre les sciences psychosociologiques (IV), biologiques (III) et logico-mathématiques (I)

La psychologie et la biologie tendent à recourir à des modèles abstraits empruntés à la logique proprement dite. Or ces modèles constituent des systèmes implicatifs, construits par axiomatisation des systèmes implicatifs «naïfs» qui constituent par ailleurs l'objet de la psychologie. Ainsi, les modèles logiques ou de formalisation du comportement que la psychologie utilise, tout comme la neurologie d'ailleurs, sont eux-mêmes le résultat du processus de formation des structures de l'intelligence, lequel constitue précisément son objet. Les relations entre la psychologie, la psychophysiologie et les sciences logico-mathématiques s'orientent donc dans la direction d'une interaction complexe avec des «court-circuitages», consistant par exemple dans l’utilisation par une discipline, comme la psychosociologie, d’une autre comme les mathématiques, sans passer par les disciplines intermédiaires. Il y a également possibilité d’un passage par l'intermédiaire de la physique lorsqu’il y a échange d’influence entre des disciplines non contiguës, ce qui renvoie à des «interactions croisées». C’est notamment le cas de certains concepts que la psychologie ou la sociologie empruntent à la physique (théorie de l’information, notions thermodynamique telles que l’entropie) ou de concepts d’origine sociologique (théorie des jeux) transposés à des problèmes de physique.

Du point de vue de leur épistémologie interne, c'est-à-dire des modes de connaissance du biologiste et du psychologue, leur recours à des modèles abstraits consiste essentiellement à s'appuyer sur les connaissances logico-mathématiques. Mais en appliquant ces modèles au système nerveux et au comportement, le biologiste et le psychologue découvrent dans leur objet des propriétés isomorphes à celles des modèles abstraits qu'ils utilisent. Cette découverte de structures réelles dans le système nerveux ou la pensée relève alors de leurs domaines épistémologiques dérivés en ce sens qu'elle contribue à l'étude des relations Sujet/Objet dans la connaissance en expliquant les structures logico-mathématiques, ou instruments de connaissance du sujet, à partir des structures psychophysiologiques.

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Relations entre la logique et les disciplines psychosociologiques

Il y a dépendance par axiomatisation entre ces deux disciplines puisque les objets ou domaine matériel (A) de la logique constituent une formalisation des structures opératoires du sujet, objet de la psychologie et de la sociologie.

Par contre, en ce qui a trait à leurs domaines conceptuels (B), la logique ne dépend pas de la psychologie, l'axiomatisation étant par nature purement formelle, et les disciplines psychosociologiques dépendent encore peu de la logique faute d'être suffisamment avancées pour donner lieu à des formalisations fructueuses. Toutefois, certaines théories psychologiques sont relativement formalisées. En particulier, la psychologie génétique des structures de la pensée recourt sans cesse à la logique pour formaliser les comportements ou conduites observées. Il existe donc une relation de dépendance par axiomatisation entre la logique et la psychologie puisque la première constitue une formalisation des opérations de la pensée dont la seconde étudie la genèse réelle.

L'épistémologie interne de la logique (IC) est indépendante de celle de la psychosociologie et fait corps avec son domaine conceptuel (IB), tandis qu'il y a dépendance de plus en plus étroite de cette dernière par rapport à la logique.

Enfin, au niveau des domaines épistémologiques dérivés (D) de la logique (I) et des disciplines psychosociologiques (IV) on retrouve la relation d'interdépendance caractérisant les domaines matériels. En effet, si les axiomatisations logistiques (IB) et la formalisation de leurs fondements (IC) tendent à l'indépendance complète, le problème de la nature de la logique (ID) renvoie aux enseignements épistémologiques que la psychologie et la sociologie (IVD) tirent de l'étude du sujet humain quelconque, puisque la logique peut être considérée, selon Piaget, comme une axiomatisation des structures opératoires du sujet. Ainsi, les sciences logico-mathématiques dérivent-elles d'une abstraction par axiomatisation des structures de la pensée naturelle.

Dans la perspective piagétienne d'un enchaînement circulaire et non pas linéaire des sciences, les relations de dépendance entre les divers domaines des différentes sciences se traduisent donc soit par des réductions unilatérales, soit par des réductions réciproques ou bilatérales d'une science à une autre. Elles sont l'expression d'une tendance générale à la totalisation, c'est-à-dire à l'intégration de l'ensemble des disciplines scientifiques et des modes d'action qui les caractérisent dans le système total constitué par l'ensemble des sciences.

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[…] c’est donc une question dépourvue de sens de se demander si la logique ou les mathématiques sont en leur essence individuelles ou sociales: le sujet épistémique qui les construit est à la fois un individu, mais décentré par rapport à son moi particulier, et le secteur du groupe social décentré par rapport aux idoles contraignantes de la tribu, parce que ces deux sortes de décentrations manifestent l’une et l’autre les mêmes interactions intellectuelles ou coordinations générales de l’action qui constituent la connaissance.