Fondation Jean Piaget

Stade 1 et 2: Des espaces locaux attachés
aux actions


Lors de la première étape de construction de l’espace lié à l’action et à la perception, il n’y a pas chez l’enfant la conscience d’un espace unique, dans lequel il situerait les objets, mais seulement des espaces hétérogènes, liés à chacune des conduites multiples et isolées du bébé.

Les activités buccales, les activités visuelles, les activités auditives, etc., sont constitutives d’espaces de même type (auditifs, visuels, etc.) non intégrés au sein d’une intuition générale d’un espace unique et englobant, encore inexistant pour l’enfant).

La coordination élémentaire des schèmes qui se produit au second stade de développement de l’intelligence sensori-motrice se traduit pourtant par la constitution d’espaces composés locaux, résultats de la synthèse des espaces associés à chacune des composantes de cette coordination (on aura par exemple un groupement de déplacements lié à la coordination de conduites de succion et de déplacement de la main), mais dont le bébé n’a pas conscience.

S’il est possible de parler d’espace dès les premières semaines de la vie, cela tient au fait que dès le départ toute action, tout schème d’action contient un minimum d’organisation, et en particulier que toute action comporte une forme élémentaire de réversibilité (que plus tard Piaget appellera "renversabilité") permettant à l’observateur d’y reconnaître la présence d’un groupe, même si cette présence échappe alors au sujet:

Même si un certain déplacement ou mouvement n’est pas, et ne peut pas encore être perçu par l’enfant comme l’inverse d’un autre déplacement ou mouvement, dans son comportement effectif, ces déplacements ou mouvements ont bien des effets d’inversion réciproque qui aboutissent, à l’insu du sujet, à reproduire un état souhaité par lui.

Le caractère infrapsychologique des premiers espaces

A cette première étape psychogénétique de construction de la notion d’espace, il faut insister sur le fait que, si des relations spatiales sont en jeu dans les conduites des deux premiers stades, ces relations ne sont donc pas perçues, et encore moins conçues comme telles, par l’enfant.

Un objet (un "tableau sensoriel") n’est pas perçu comme étant à gauche ou devant un autre objet, bien que si tel objet est placé plus à gauche que tel autre objet, l’enfant saura ajuster les mouvements de son bras et de sa main dans le cas où la coordination vision-préhension sera réalisée.

De même, si dès les premières semaines le bébé peut suivre des yeux un objet qui se déplace, ou ajuster l’accommodation de ses yeux par rapport à l’éloignement d’un objet (d’un "tableau sensoriel"), il n’a pas conscience des rapports de déplacements de ses yeux et de l’objet regardé, ou des rapports d’éloignements différents entre des objets se trouvant plus ou moins loin de lui.

C’est la raison pour laquelle Piaget qualifie de "pratiques" ou de "physiologiques" (JP37, p. 97) les espaces correspondant à chaque schème, ainsi que les groupes qui les constituent; et c’est la raison pour laquelle il distingue les points de vue du comportement et de l’observateur extérieur, qui peut reconnaître la présence de groupes, du point de vue du sujet, qui dans les premiers stades n’en a nullement conscience (JP37. p. 118).

Notons aussi que la reconnaissance de la présence de structures, modélisables par le moyen de la notion de groupe mathématique, dans les premières actions de la vie psychologique de l’enfant rapproche Piaget des thèses que proposeront peu après les premiers cybernéticiens (McCulloch et Pitts, Wiener, etc.), qui, eux, remonteront encore plus haut dans la hiérarchie des phénomènes en reconnaissant la présence de groupes mathématiques dans les modalités de fonctionnement de la logique des neurones (une thèse tout à fait compatible avec le constructivisme piagétien).

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[…] de même que l’individu se libère de son égocentrisme intellectuel en prenant conscience de son point de vue propre pour le situer parmi les autres, de même la pensée collective se libère du sociocentrisme en découvrant les attaches qui la relient à la société et en se situant dans l’ensemble des rapports qui unit celle-ci à la nature elle-même.