Fondation Jean Piaget

Les problèmes

Histoire naturelle et classification des espèces
Expliquer l’évolution
La biologie, pourquoi?
Finalités des recherches biologiques


Histoire naturelle et classification des espèces

Les questions liées à la démarche de l’histoire naturelle se résument pour l’essentiel à déterminer les ressemblances et les différences de formes entre les organismes vivants, dans le but d’établir une classification.

On ne saurait pourtant sous-estimer leur importance! Le problème de la classification est tout sauf trivial. Il contraint le savant qui s’en charge à choisir des critères et, ce faisant, à engager toute une conception du vivant.

Faut-il faire reposer la classification sur les seuls caractères superficiellement observables? Ou ne considérera-t-on pas plutôt certains traits non immédiatement visibles comme plus importants parce que, par exemple, plus durables?

La seule observation des formes suffit-elle d’ailleurs à établir les classifications souhaitées, ou bien faut-il la compléter par des expériences servant, par exemple, à vérifier que les traits observés, qu’ils soient directement visibles ou non, sont suffisamment stables pour que le même travail de classification, réalisé dans des conditions différentes, aboutisse au même résultat?

Lors de son apprentissage de l’histoire naturelle, Piaget prendra de plus en plus conscience de l’importance des caractères cachés ou intérieurs, ce qui se répercutera sur l’ensemble des solutions qu’il apportera au problème de l’origine des formes biologiques et des formes psychologiques.

Le statut de la classification biologique

L’établissement d’une classification biologique ne soulève pas seulement des questions liées au choix des critères et des méthodes qui la sous-tendent. Il soulève aussi le problème de ce qui est visé par un tel travail.

La classification que l’on cherche à établir se veut-elle de portée réelle, c’est-à-dire être une classification naturelle, ou bien est-elle purement utilitaire?

En dépit de quelques hésitations sur ce point, il est clair que Piaget sera avant tout intéressé par le problème d’établir une classification naturelle des êtres vivants qu’il étudie.

Certes les premiers travaux qu’il réalise ont pour objet non pas les organismes vivants, mais les coquillages de mollusques qu’il ne cesse de recueillir, soit par échanges avec les nombreux savants avec lesquels il communique, soit surtout par les nombreuses récoltes auxquelles il procède lors de ses longues marches dans la nature. Mais par delà la classification des coquillages, c’est bien celle des mollusques qu’il vise, du moins une fois dépassés les tout premiers travaux de malacologie. Cela signifie que les classifications proposées doivent refléter l’ordre naturel des rapports entre les êtres vivants.

Quels rapports y a-t-il dès lors entre les différentes variétés de mollusques qui forment l’objet de ses enquêtes? Les rapports entre genres et espèces peuvent-ils par exemple être envisagés comme des rapports de filiation? Et si oui dans quel sens?

S’agit-il de filiation simplement logique, les caractères d’un genre étant simplement inclus dans les caractères de chacune des espèces qui tomberaient sous ce genre? Ou bien faut-il voir dans les liens mis en évidence par la classification des rapports de filiation proprement biologiques?

Répondre affirmativement à cette dernire question, c’est substituer à l’ancienne histoire naturelle la nouvelle science de la biologie de l’évolution et sa démarche explicative.

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Expliquer l’évolution

Aussitôt qu’est envisagée l’existence de rapports de filiation biologique entre différentes formes biologiques, les questions qui se posent ne relèvent plus d’une biologie principalement descriptive, mais d’une biologie qui vise l’explication de l’origine des espèces.

Ce second groupe de questions tourne tout entier autour du problème central de la biologie de l’évolution: comment expliquer la genèse de nouvelles formes biologiques à partir des anciennes? Cette question s’oppose d’emblée au fixisme jusqu’alors attaché à la notion d’espèce biologique et qui sous-tendait les classifications de l’ancienne histoire naturelle.

Dès lors le problème de la classification, sans devenir négligeable, passe au second plan. Basée sur de nombreux faits convergents découverts par l’histoire naturelle, l’hypothèse évolutionniste entraîne la recherche de mcanismes susceptibles de rendre compte non seulement de la transformation des espèces, mais aussi de l’éventuelle validité de la notion même d’espèce.

Les apparences qui imposent l’idée d’espèce (par exemple la séparation entre des animaux tels que le chien, le chat, le cheval, etc.) ne sont-elles pas trompeuses? Si le biologiste accepte l’idée que la délimitation entre les espèces n’est pas seulement une convention permettant de classer arbitrairement les êtres vivants en différents groupes, mais qu’elle a, au moins partiellement, une portée réelle, comment rendre compte de l’existence des espèces alors que l’on affirme par ailleurs la transformation de celles-ci les unes dans les autres?

Une autre interrogation vient enfin s’ajouter à celle sur le statut biologique de l’espèce et à celle sur la transformation des espèces les unes dans les autres. Il est commun de constater que les formes d’un organisme se modifient lors de ses interactions avec le milieu dans lequel il se trouve. La question qui se pose alors, et qui guide une bonne part des recherches de Piaget, est celle du rapport entre cette transformation et celle qui conduit d’une espèce à l’autre.

Biologie et connaissance

Les problèmes liés à la classification des organismes, à leur transformation, au rapport entre cette transformation et l’évolution des espèces, sont ceux qui délimitent le champ des recherches biologiques de Piaget. Mais il faut distinguer deux parties dans ce champ. La première concerne les interrogations classiques de la biologie, et, lorsque l’auteur s’y arrête, il le fait en biologiste.

Piaget aurait pu arrêter là son interrogation scientifique. L’eût-il fait, se fût-il contenté de prolonger ses travaux de jeunesse en biologie avec la même fécondité dont il fera preuve sur le terrain de la psychologie génétique (en sacrifiant alors cette dernière), qu’il aurait peut-tre pris rang parmi les grands biologistes de ce siècle.

Peut-être en effet aurait-il été conduit à mettre en évidence de façon indiscutable un fonctionnement du vivant plus proche de la conception que s’en faisaient les néo-lamarckiens du début du siècle que de celle adoptée par le courant de la biologie darwinienne de l’évolution qui a dominé le vingtième siècle.

Piaget était pourtant trop habité par des questions plus importantes encore que celles de l’évolution pour arrêter là son interrogation biologique fondamentale.

De fait, les deux questions centrales de sa biologie vont bien porter sur le mécanisme de la transformation des espèces comme sur les rapports entre cette transformation et celle constatée chez les organismes individuels lors de leurs interactions avec le milieu dans lequel ils vivent; mais ces deux questions seront rapportées au problème qu’il a placé au centre de toute son oeuvre et qui concerne l’origine des connaissances rationnelles.

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La biologie, pourquoi?

Piaget se distingue de bien des biologistes du vingtième siècle en considérant que la biologie a charge d’expliquer non seulement l’origine des formes matérielles des organismes, mais aussi celle des connaissances et de la raison humaine.

De son point de vue, le biologiste, comme le psychologue d’ailleurs, doit se faire épistémologue pour se construire la notion la plus précise de ce que sont ces connaissances et cette raison, et ainsi se donner les moyens d’apporter une réponse biologique non naïve au problème de cette origine.

Si l’on admet la conception épistémologique que Piaget se fait par ailleurs du rapport entre les sciences, son refus de tout réductionnisme, l’étendue accordée à l’objet de la biologie implique aussi que c’est seulement en atteignant une explication biologique des sources de la raison humaine, condition de la science biologique, que cette discipline devient coextensive à la totalité de ses objets.

C’est alors seulement, en effet, que ses concepts explicatifs seront suffisamment riches pour rendre compte à la fois de l’évolution matérielle des formes vivantes et de la construction des premières étapes au moins de la genèse de cette raison, ainsi que des bases organiques de l’intelligence et de la connaissance.

Le programme de Piaget était certainement trop ambitieux pour qu’il puisse réaliser de front les recherches psychogénétiques et les recherches de biologie qui auraient permis d’atteindre des solutions scientifiques complètes. Il s’agissait pour lui:
    - de montrer les étapes de développement de l’intelligence et des connaissances humaines, ce qu’il a fait de manière très complète (y compris par quelques études de sociologie),
    - mais aussi de démontrer la réelle continuité entre, d’un côté, le développement psychologique, et de l’autre l’évolution biologique.
En ce qui concerne ce second temps de la démonstration, Piaget n’a pu qu’esquisser les recherches biologiques nécessaires à la démonstration.

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Finalités des recherches biologiques

Les recherches biologiques devant servir de moyen de confirmation de la thèse centrale de toute l’oeuvre de Piaget, à savoir l’existence d’une continuité entre les réalités biologique et logico-mathématique, se subdivisent en deux.
    Un premier groupe de recherche, lié aux travaux de jeunesse, sert à vérifier la thèse du rôle moteur du comportement dans l’évolution biologique et cherche à suggérer par quels mécanismes les acquisitions biologiques individuelles, dépendantes du comportement adaptatif de l’organisme à son milieu, peuvent donner lieu à une assimilation génétique au moyen de laquelle le système génétique de cet organisme (qui se transmettra à ses descendants) est modifié dans un sens qui, soit facilite les acquisitions par les descendants direct de cet organisme, soit même les rend inutiles.

    Un second groupe de recherche a pour objet de fournir un début de démonstration à la thèse selon laquelle les mécanismes de construction cognitive observés sur le terrain de la psychogenèse s’inscrivent en continuité des mécanismes de construction biologique. Sur ce plan là, ce n’est plus l’étude des limnées qui va être principalement mise à contribution, mais la botanique, et plus précisément l’étude d’un phénomène "d’anticipation morphogénétique explicable par des processus de transfert» (sous-titre d’un article d’une centaine de pages publié en 1966 dans la revue Candollea, JP66_13).
En réalisant quelques recherches biologiques susceptibles de livrer des indications confortant la thèse fondamentale du constructivisme épistémologique, psychologique et biologique, Piaget fait incontestablement oeuvre originale.

Si ces études ne peuvent prétendre avoir atteint un statut autre que celui d’essai ou d’esquisse (statut que leur auteur lui-même leur accorde), elles sont suffisamment fondées sur des faits et suffisamment précieuses en suggestions théoriques pour recevoir un accueil bienveillant auprès de la communauté biologique.

En esquissant des théories biologiques, souvent originales ou risquées, Piaget n’a d’ailleurs jamais voulu faire cavalier seul. Il avait une idée trop sociale de la connaissance scientifique pour qu’il ne cherche pas constamment chez les savants concernés des signes montrant que les pistes qu’il explorait n’étaient pas dépourvues de plausibilité.

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L’intelligence ne débute ni par la connaissance du moi, ni par celle des choses comme telles, mais par celle de leur interaction. ... Elle organise le monde en s’organisant elle-même.