Fondation Jean Piaget

Stades 5 et 6

Stade 5: Imitation et jeu comme activités psychologiques complètes
Stade 6: Apparition de l’image mentale et du jeu symbolique


Stade 5: Imitation et jeu comme activités psychologiques complètes

L’imitation dirigée

Alors que ce qui intéressait l’enfant du quatrième stade était l’imitation finale, celui du cinquième stade prend un intérêt aussi grand à la façon dont il convient de combiner ou de différencier les schèmes déjà acquis pour atteindre ce but.

En d’autres termes, alors que l’activité d’imitation était, au stade précédent, un passage obligé pour atteindre le but, et que les combinaisons et les différenciations se faisaient de façon approximatives et empiriques et ne réussissaient que pour des situations très simples, elle devient maintenant, plus systématique, dirigée et performante.

Conformément aux caractéristiques générales du développement de l’intelligence, le tâtonnement, d’empirique, devient expérimental, et il vise explicitement à découvrir de nouvelles propriétés ou relations (par exemple entre le tactile et le visuel; obs. 47[FS], JP45, p. 60, obs. 49[FS], JP45, p. 60) dans le but final de parvenir à une copie conforme au modèle nouveau que l’enfant cherche à imiter.

L’enfant se fait ainsi observateur et expérimentateur de son propre comportement, de telle sorte que l’imitation finale qui résultera de cette activité sera beaucoup plus précise que cela n’était le cas au stade précédent, et qu’elle réussira à atteindre son but dans des situations dans lesquelles l’enfant du quatrième stade échouait (obs. 48[FS], JP45, p. 60).

A ce stade il apparaît ainsi que l’accommodation n’est plus seulement différenciée de l’assimilation en raison de la finalité qui lui est attachée, mais, aux yeux de l’enfant lui-même, en raison en outre de l’activité qui lui est propre et à laquelle il prête alors attention (cette activité n’est bien sûr pas connue dans sa généralité, mais à travers les efforts conscients que fait l’enfant pour combiner et différencier de manière adéquate ses actions, en vue d’atteindre le but fixé, l’imitation du modèle extérieur).

Notons cependant que cette différenciation n’empêche pas que l’activité d’accommodation aussi créatrice soit-elle, ne peut se faire qu’à partir d’une assimilation initiale du modèle nouveau aux schèmes déjà acquis.

Le jeu comme activité créatrice

Au cinquième stade qui est celui de la réaction circulaire tertiaire et des conduites expérimentales, l’enfant prend plaisir à inventer de nouveaux schèmes d’action ou à différencier les schèmes acquis sans forcément se soucier des fonctions que ces schèmes pourraient remplir dans l’adaptation intelligente à la réalité ou dans la résolution des problèmes auxquels il est confronté, ou sans se soucier des conséquences de ses actions sur la réalité extérieure.

Le plaisir ici porte sur son pouvoir créateur, dont il prend alors conscience. Pourtant Piaget constate à nouveau à ce stade la façon dont cette activité, si libre soit-elle, se cristallise dans des rituels.

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Stade 6: Apparition de l’image mentale et du jeu symbolique

L’image mentale

Lors du sixième stade, le sujet n’a plus forcément besoin de tâtonner pour imiter les actions complexes perçues à l’extérieur. Il sait en effet combiner mentalement des actions de manière à reproduire sans faute l’action composée et nouvelle qu’il veut imiter.

Lorsque il observe chez autrui une action qui l’intéresse, il peut ainsi en construire dans l’instant et de façon interne une copie. L’imitation s’intériorise. Ultérieurement, mis en présence d’une situation qui lui rappelle la scène précédemment perçue et intérieurement imitée, il pourra se livrer à une imitation après coup, et reproduire ainsi le comportement observé initialement (obs. 52[FS], JP45, p. 64).

Cette capacité qu’a l’enfant d’intérioriser et de différer l’imitation d’une scène perçue est un tournant pour son développement intellectuel: conjointement avec l’achèvement de la construction de l’intelligence et des catégories sensori-motrices, elle lui offre la capacité de représenter des scènes passées, voire même de se représenter des scènes non encore perçues.

Devenue autonome, pouvant se réaliser à un moment qui ne suit plus directement la perception du modèle, ou qui peut même l’anticiper, l’imitation s’instrumentalise et acquiert de nouveaux pouvoirs ou de nouvelles fonctions psychologiques, notamment la fonction représentative entendue en son sens le plus strict (c’est-à-dire au sens psychologique).

C’est ce qu’illustre le cas de Jacqueline qui, à une année et trois mois, imite de sa main le mouvement d’un objet pour comprendre le résultat auquel a abouti ce mouvement (obs. 56[FS], JP45, p. 65); ou encore celui de Lucienne qui imite de sa bouche le mouvement d’ouverture et de fermeture d’une boîte qu’elle ne parvient pas à ouvrir pour découvrir le moyen de l’ouvrir (obs. 180[NI], JP45, p. 293).

L’imitation devient pour l’enfant lui-même image d’une réalité perçue ou souhaitée. Et capable d’intérioriser l’activité d’imitation, celui-ci a du même coup le pouvoir de construire une image mentale de la réalité représentée.

Le jeu symbolique

De même que, sur le plan de l’accommodation, le sixième stade se caractérise par l’apparition de l’image mentale, de même sur le plan de l’assimilation se caractérise-t-elle par l’apparition du symbole ludique: l’enfant est capable d’assimiler librement un objet, ou même une de ses actions, à un schème comme s’ils étaient ceux exigés par le fonctionnement adapté de ce schème.

L’enfant peut ainsi faire semblant de se peigner, ou faire semblant de dormir (obs. 64[FS], JP45, p. 101), en assimilant fictivement la réalité présente à celle qui correspond normalement à ce schème.

Des activités spécialisées d’assimilation et d’accommodation

Ce qui est peut-être alors frappant à ce stade, c’est la façon dont les activités d’assimilation et d’accommodation sont dès lors non seulement pleinement différenciées du point de vue même de l’enfant, mais comment celui-ci les coordonne les unes aux autres afin d’atteindre des buts qui relèvent soit de l’adaptation intelligente, soit de l’imitation, soit du jeu.

Le jeu et le symbole ludiques sont d’excellentes illustrations d’une telle réintégration des pôles opposés du fonctionnement de tout schème, que sont l’assimilation et l’accommodation.

D’un côté, dans la mesure où le sujet sait qu’il représente à travers ce jeu et ce symbole une réalité en principe absente (mais à ce stade, même l’absence peut être feinte), il y a accommodation, et même éventuellement accommodation intelligente, de son activité actuelle à cette réalité.

Mais de l’autre, du fait que l’enfant joue, il s’autorise une liberté d’assimilation qu’il n’emploierait pas s’il avait pour fin principale l’accommodation à une réalité qu’il chercherait à copier.

En sens inverse, l’enfant qui utilise l’image mentale d’ouvrir et de fermer sa bouche avec son doigt pour comprendre comment il lui serait possible d’ouvrir une boîte d’allumettes s’autorise une certaine liberté par rapport à l’activité d’"imitation anticipatrice" à laquelle il se livre. Son but n’est en effet nullement de parvenir à une copie parfaite d’un mouvement extérieur. L’accommodation est ici au service du comportement adaptatif intelligent.

Le symbole et le signe

Pour conclure on notera que, dans son usage le plus général, le terme même de symbole contient une double signification qui renvoie, d’un côté, à la dimension représentative de l’image (une image apparaît comme une copie du modèle qu’elle représente), et de l’autre côté, à cette libre interprétation qui fait qu’au-delà de la stricte copie, un objet peut en représenter un autre en raison d’un rapport d’analogie qui peut être très indirect (voir par exemple le symbole de la balance utilisé pour représenter la justice).

Il apparaît donc que ce n’est pas par simple souci de symétrie que, dans ses études sur la formation du symbole, Piaget a été amené à étudier non seulement la genèse de l’imitation et de l’activité accommodatrice lors des deux premières années de l’enfance, mais également celle du jeu et de l’activité assimilatrice.

Si l’on en croit les nombreuses observations recueillies auprès de ses enfants, le symbole et la pensée symbolique, dont Piaget a cherché une explication psychogénétique, puisent leurs racines dans les deux tendances propres au fonctionnement des schèmes, tendances qui deviennent conscientes au troisième stade du développement de l’intelligence sensori-motrice, puis qui deviennent des activités psychologiques spéciales, dont l’intégration fournira le mécanisme constitutif du symbole.

Quant au signe, si Piaget n’en a pas fait une étude génétique complète, c’est peut-être parce qu’il en mesurait la dimension sociale, et qu’il savait que, pour en connaître la source première, il faudrait remonter jusqu’aux origines de l’humanité.

Mais il n’empêche que, en dépit du caractère moins systématique des observations faites par Piaget à son sujet, la connaissance de la genèse du signe chez l’enfant est éclairée elle aussi par celle de la genèse du symbole, puisque l’usage du premier nécessite, comme celui du second, cette capacité représentative et cette capacité imitative dont l’étude sur la formation du symbole révèle au moins partiellement les mécanismes.

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[…] si la biologie est essentiellement, et presque passivement, soumise à son objet, cet objet […] c’est-à-dire l’être vivant, n’est autre chose que le sujet comme tel ou du moins le point de départ organique d’un processus qui, avec le développement de la vie mentale, aboutira à la situation d’un sujet capable de construire les mathématiques elles-mêmes.