Fondation Jean Piaget

L'équilibre biologique et l'équilibre cognitif

Présentation
Citations (1): Notions d'équilibre et d'équilibration
Citations (2): Notions de régulation et d'anticipation


Présentation

L'équilibre biologique et l'équilibre cognitif, liés au dynamisme des échanges avec le milieu, c'est-à-dire à l'alternance des processus d'assimilation et d'accommodation, supposent l'intervention de processus autorégulateurs. Entre les régulations biologiques et cognitives, on retrouve également certaines correspondances fonctionnelles. Des régulations interviennent en effet à tous les niveaux, aussi bien synchronique que diachronique, de l'organisation vitale. Au niveau physiologique, elles assurent la synergie des fonctions (homéostasie) : dans le développement ontogénétique ou embryologique, une équilibration dynamique (homéorhésis) est nécessaire à l'apparition des formations canalisées (idée de créodes ou de chemins nécessaires proposée par Waddington); enfin, le système génétique comporte lui-même, en plus des gènes structuraux, un ensemble de gènes régulateurs. Au niveau cognitif, apparaissent aussi des régulations de divers types, intervenant à différents niveaux. Sur le plan perceptif, elles se manifestent par une activité perceptive établissant des mises en relations entre les perceptions successives. Dans les apprentissages par essais et erreurs, elles prennent la forme de tâtonnements, de rétroactions et d'anticipations. Aux niveaux opératoires, d’abord concret puis formel, elles se traduisent par la composition d’opérations réversibles, sources de nécessité logique ou déductive. Enfin, elles assurent, tout au long du développement ontogénétique, la formation progressive des structures de l'intelligence qui constituent, selon Piaget, un vaste système autorégulateur garantissant à la pensée son autonomie et sa cohérence.
Les régulations sur lesquelles repose l'équilibre consistent en un jeu de compensations actives opposées par l'organisme ou le sujet aux perturbations subies ou anticipées. Cette capacité de compensations s'améliore progressivement au cours du développement pour finalement aboutir, avec la réversibilité opératoire propre aux opérations de la pensée, à un équilibre permanent. De sorte que si les régulations fonctionnelles propres à l'intelligence prolongent les processus autorégulateurs généraux de l'organisation vivante, ils se spécialisent néanmoins dans la régulation des échanges au sein du comportement. Il existe donc des différences entre l'équilibre biologique et l'équilibre cognitif. Alors que le premier demeure instable, engendrant des variations continuelles, individuelles ou génotypiques, l'équilibre atteint par les opérations intellectuelles se manifeste par des structures stables et permanentes. En effet, au niveau biologique aucune forme n'est dissociable de son contenu (un génotype étant toujours incarné en des phénotypes), tandis que le propre des structures de la pensée est précisément d'aboutir à une dissociation des formes de la connaissance (logique et mathématiques pures) par rapport à leur contenu physique ou empirique. Aussi Piaget considère-t-il que le propre des fonctions cognitives ou structures opératoires de l'intelligence est d'atteindre un équilibre constamment poursuivi au niveau biologique mais jamais stabilisé. C'est ainsi que la réversibilité opératoire, impossible au plan organique où n'interviennent que des processus irréversibles, est rendue possible par la pensée au terme d'un long développement. Si les processus adaptatifs rendent compte d'une continuité fonctionnelle du biologique au cognitif, il convient donc de distinguer deux types d'adaptations, organique ou biologique et intellectuelle ou cognitive.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations (1): Notions d'équilibre et d'équilibration

Équilibre
(…) la construction de formes nouvelles n’est intelligible qu’à titre de nouvel équilibre, c’est-à-dire de produit d’une rééquilibration constituant la réponse à une tension du milieu. B.C », p. 285

Équilibre atteint par le phénotype
(…) la nature de cet équilibre (diffère) selon qu’il s’agit de simple conservation, avec retour à l’état antérieur lors de la neutralisation des perturbations, ou qu’on assiste à une équilibration avec optimalisation ou tout au moins majoration, c’est-à-dire à la réalisation d’une meilleure forme d’équilibre. A.V.P.I., p. 22
En
(…) cas d’un accommodat phénotypique touchant à la fois la forme d’un organe et le comportement, on ne peut pas considérer le rôle du milieu comme étant essentiellement perturbateur. Au contraire, il s’agit d’une de ces situations où l’organisme choisit son milieu (…). Il y a là un fait important à noter du point de vue d’une équilibration majorante, puisque la réponse accommodatrice comporte ici, en plus de ses compensations, un gain incontestable sous la forme d’une extension du milieu et d’une adaptabilité plus grande. A.V.P.I., p.24

Équilibre cognitif
Si l’on définit l’équilibre par un jeu par une compensation active opposée par le sujet aux perturbations extérieures subies ou anticipées, cette équilibration explique en particulier le caractère le plus général des opérations logico-mathématiques, c’est-à-dire leur réversibilité. B.C., p. 30

Équilibre biologique et l’équilibre cognitif
(…) l’équilibre entre l’assimilation et l’accommodation réalisé par les structures logico-mathématiques constitue l’état à la fois mobile ou dynamique et stable vraiment poursuivi par la succession des formes, tout au moins de comportement, au cours de l’évolution des êtres organisés. Alors que cette évolution est marquée par une suite ininterrompue de déséquilibres et de rééquilibrations, les structures logico-mathématiques atteignent, en effet, un équilibre permanent malgré ces constructions sans cesse nouvelles qui caractérisent leur évolution. B.C., pp. 491-492.
Le fait que les états d’équilibre soient toujours dépassés tient (…) à une raison très positive. Toute connaissance consiste à soulever de nouveaux problèmes au fur et à mesure qu’elle résout les précédents. Cela est évident dans les sciences expérimentales (….).Mais cela reste encore vrai dans le domaine logico-mathématique où pourtant l’équilibre est maximal, puisqu’une vérité acquise par démonstration se conserve indéfiniment : il ne constitue cependant nullement un point d’arrêt, puisqu’une structure achevée peut toujours donner lieu à des exigences de différenciations en nouvelles structures ou à des intégrations en des structures plus larges. E.S.C., p. 36.

Équilibre entre sujet et objets
(…) l’équilibre entre le sujet et les objets, qui est donc finalement celui des mathématiques et du réel, apparaît alors, non plus comme de nature distincte de l’équilibre entre l’organisme et son milieu, mais au contraire comme la réalisation ultime d’une harmonie recherchée à tous les niveaux. A.V.P.I., p. 93.

Équilibration
L’équilibration constitue un processus très général (…) qui revient dans les grandes lignes à opposer des compensations actives aux perturbations extérieures : compensations qui varient, bien sûr, selon les niveaux et les schèmes du sujet, mais qui consistent toujours à réagir aux perturbations subies ou anticipées. L’équilibre opératoire se caractérise, d’autre part, essentiellement par sa réversibilité (inversion ou réciprocité), c’est-à-dire précisément par une mise en forme stable des systèmes de compensations. Il est donc évident qu’il y a continuité entre l’équilibre atteint et le processus même de l’équilibration. B.C. p. 48.

Équilibration majorante
(…) toute équilibration vitale, sur le plan organique déjà (variations plus avantageuses) et de façon évidente aux divers paliers cognitifs (des comportements les plus élémentaires avec simples apprentissages jusqu’aux conduites d’intelligence), s’oriente dans une direction majorante, ce qui doit se produire tôt ou tard dans la mesure où interviennent des régulations téléonomiques. A.V.P.I, p. 56.

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Citations (2): Notions de régulation et d'anticipation

Régulation
Le propre d’une régulation est, en tous les domaines, d’informer un système en action sur le résultat de ses actions et de les corriger en fonction des résultats obtenus. B.C., p. 164
(…) il convient d’abord d’insister sur le fait que la régulation n’est pas surajoutée à la construction des formes et des échanges, mais qu’elle participe à cette construction à titre d’instrument principal en ce sens que cette construction, non seulement en résulte, mais encore est elle-même une auto-régulation. B.C. p. 284.
Sous sa forme la plus générale, une régulation est un contrôle rétroactif qui maintient l’équilibre relatif d’une structure organisée ou d’une organisation en voie de construction. Mais comme la construction d’une structure est indissociable de sa régulation, il faut ajouter que ce contrôle rétroactif, tout en demeurant un contrôle, constitue un enrichissement pour l’organisation elle-même. (…) En cas de structure en voie de construction, le contrôle rétroactif enrichit la construction en ce sens qu’il coopère avec cette construction même. Cela dit, le caractère général des régulations cybernétiques au sens courant du terme est de constituer, grâce au contrôle rétroactif, des corrections ou des modérations de l’erreur. B.C., p. 288.

Régulations fonctionnelles et structurales
(…) il convient ici de distinguer deux sortes de régulations, les unes structurales et les autres fonctionnelles. B.C p. 54.
(…) les régulations structurales (…) modifient les caractères anatomiques ou histologiques et les régulations fonctionnelles (…) portent sur l’exercice des organes. B.C., p. 289.
Il y a régulation structurale lorsque les modifications engendrées par elle sont de nature anatomique ou histologique, tandis que la régulation fonctionnelle ne modifie que l’exercice ou la réaction physiologique (ou psychophysiologique) des organes. (…) Or, le fait fondamental (…) est que seul le système nerveux, instrument par ailleurs des fonctions cognitives, constitue un organe spécialisé de régulations fonctionnelles, tandis que le système endocrinien consiste en un organe (et seul également sans doute) de régulations à la fois structurales et fonctionnelles (…). B.C., p. 54.

Régulations et équilibration
(…) la construction de formes nouvelles (…) n’est intelligible qu’à titre de nouvel équilibre, c’est-à-dire de produit d’une rééquilibration constituant la réponse à une tension du milieu. Or, qui dit rééquilibration dit régulation, dans la mesure où il y a conservation continue et obligée du fonctionnement antérieur comme c’est le cas de tout «déplacement d’équilibre» sur le terrain vital. B.C p. 285.

Régulations organiques et régulations cognitives
Il est un autre grand domaine où les isomorphismes paraissent évidents entre les fonctions ou structures de l’organisme et celles des mécanismes cognitifs : c’est le domaines des régulations elles-mêmes (…) ces régulations cognitives prolongent les régulations organiques ; or, si elles les prolongent tout en constituant des organes spécialisés sur le terrain des échanges avec l’extérieur, c’est donc que les régulations organiques ne suffisent pas à tout et que, en complément des isomorphismes partiels qu’il est possible de dégager, les régulations cognitives présentent des propriétés originales qu’il s’agit de caractériser. B.C., p. 283.
(…) les régulations organiques portent sur des processus matériels, tandis que le réglage d’un raisonnement en mathématiques pures porte sur des «formes» dissociées de tout contenu (actuel) et devenues par conséquent toutes fonctionnelles en leur conceptualisation abstraite. B.C., p. 287
(…) si les régulations cognitives élémentaires sont ainsi du même type que les régulations organiques, les régulations supérieures, qui ne sont autres que les opérations elles-mêmes, sont d’une autre forme mais constituent le résultat d’un passage à la limite à partir des régulations ordinaires (à la manière dont on passe de l’induction probabiliste à la déduction nécessaire). B.C., p. 291.
Si la régulation d’un type inférieur ou ordinaire constitue un processus de correction ou de modération des erreurs, la régulation opératoire est alors à concevoir comme un processus de précorrection, d’évitement ou d’élimination des erreurs, ce qui est bien davantage. B.C., p. 294.

Régulations et mécanismes anticipateurs
Les régulations peuvent conduire elles-mêmes à un jeu de rétroactions et d’anticipations, en ce sens que la régulation, au lieu de fonctionner seulement quand le déséquilibre se produit, peut donner lieu à une préparation précédant le besoin. Or, si les mécanismes anticipateurs sont fondamentaux dans le domaine des fonctions cognitives, ils sont tout aussi généraux dans les processus vitaux et constituent sans doute le caractère le plus distinctif qui différencie le vital du physico-chimique simple. L.C.S., p. 914.

Régulation et système ouvert
(…) à des système plus «ouverts» non pas seulement en échanges mais encore en possibilités d’échanges, correspond un milieu élargi (…) cette extension croissante du milieu ne peut qu’être solidaire, et de façon indissociable, des systèmes de régulations. (…) les mécanismes régulateurs sont inhérents et non pas surajoutés à ces échanges avec un milieu toujours plus étendu. B.C., p. 286.
(…) au fur et à mesure de l’extension du «milieu» de la connaissance, c’est-à-dire de l’ensemble des objets sur lesquels porte l’intelligence, et au fur et à mesure de la dissociation des formes et de leur contenu, c’est-à-dire de l’élaboration de «formes» abstraites et conceptuelles par opposition aux formes perceptives ou sensori-motrices et a fortiori aux formes matérielles de l’organisme, les régulations chargées de contrôler les échanges cognitifs avec le milieu, c’est-à-dire d’organiser l’expérience en fonction de cadres déductifs, atteignent un niveau de précision inconnu des régulations élémentaires. B.C., p. 296.

Autorégulations
En réalité, les autorégulations présentent ces trois caractères réunis de constituer la condition préalable des transmissions héréditaires, d’être plus générales que le contenu de ces dernières et d’aboutir à une nécessité de forme supérieure. E.G., p. 67.
De façon générale, les racines biologiques (des) structures(cognitives) et l’explication du fait qu’elles deviennent nécessaires seraient à chercher dans la direction ni d’une action exclusive du milieu, ni dans une préformation à base de pure hérédité, mais des autorégulations avec leur fonctionnement en circuits et leur tendance intrinsèque à l’équilibration. E.G., p. 71
(…) l’autorégulation semble bien constituer à la fois l’un des caractères les plus universels de la vie et le mécanisme le plus général qui soit commun aux réactions organiques et cognitives. E.G., p. 72.
(…) il s’agit d’un fonctionnement constitutifs de structures et non pas de structures toutes faites au sein desquelles il suffirait de chercher celles qui contiennent d’avance à l’état préformé telle ou telle catégorie de connaissance. E.G., p. 72.

Anticipation
L’anticipation est (…) avec les rétroactions l’un des caractères les plus généraux des fonctions cognitives : il intervient des anticipations dès la perception, les conditionnements et les schèmes d’habitude, l’instinct est un vaste système d’anticipations surprenantes et vraisemblablement inconscientes tandis que les inférences de la pensée promeuvent les anticipations au rang d’instruments conscients constamment utilisés. B.C., pp. 88-89.
(…) les fonctions biologiques sont elles aussi presque toutes anticipatrices et le développement embryogénétique n’est qu’une anticipation systématique des états de fonctionnements ultérieurs. B.C., p. 89
L’anticipation (…) est bien davantage qu’un prolongement de l’accommodation : elle permet la formation d’accommodations anticipatrices, mais, en sa forme générale, elle dérive d’une capacité inférentielle ou de transferts à partir d’informations antérieurement acquises, donc à partir de la conservation de leurs schèmes d’assimilation. Nous nous trouvons ainsi en présence de deux nouvelles fonctions communes à la vie et à la connaissance : une fonction de conservation de l’information ou «mémoire» et une fonction d’anticipation. B.C, pp. 260-261..

Anticipation cognitive
La conservation des informations antérieurement acquises conduit (…) à tous les niveaux cognitifs supérieurs à des réactions anticipatrices, au point que l’une des fonctions essentielles du savoir est de conduire à la prévision (…). Seulement, cette fonction d’anticipation est loin d’être spéciale à la pensée scientifique et on la retrouve à tous les niveaux des mécanismes cognitifs, jusqu’au sein des habitudes les plus élémentaires et des perceptions elles-mêmes. B.C., p. 269
La fonction d’anticipation est donc générale à tous les échelons des mécanismes cognitifs. Mais (…) à chacun de ces niveaux y compris les supérieurs, l’anticipation ne suppose aucune «cause finale» et dérive exclusivement des informations antérieures, que ce soit par voie inférentielle (déduction scientifique ou représentation de nature quelconque) par voie de transfert moteur ou encore de transposition perceptive. B.C., p. 271.

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[…] pourquoi notre intuition (par opposition au raisonnement) ne peut-elle pas imaginer d’autres figures et les « voir » selon quatre ou n dimensions? C’est ici qu’intervient sans doute une influence de nos organes, liée à l’hérédité spéciale de l’espèce humaine ou des Vertébrés supérieurs.