Fondation Jean Piaget

Les rapports de la pédagogie avec la psychologie


Les nombreuses suggestions que Piaget adresse, comme psychologue et comme épistémologue, à la pédagogie conçue comme un art sont toutes reliées au souhait explicite de voir les futurs enseignants, et cela quel que soit le degré auquel ils se destinent, acquérir une solide formation en psychologie et en épistémologie génétiques (ce qui signifie bien sûr aussi une formation à la recherche psychologique et épistémologique).

Mais qu’en est-il de la pédagogie expérimentale? Quels doivent être ses liens avec la psychologie? Piaget est évidemment opposé au point de vue des chercheurs qui soutiennent la thèse d’une indépendance complète de leur discipline par rapport à la psychologie. La pédagogie expérimentale «a besoin de la psychologie au même titre que la médecine repose sur la biologie ou la physiologie sans se confondre avec elles» (JP69, p. 39).

Seule une pédagogie expérimentale dont l’ambition se réduirait à découvrir et à formuler des lois pourrait se passer de ces liens. Mais si cette discipline veut expliquer pourquoi telle ou telle loi se produit, par exemple pourquoi telle méthode d’enseignement est plus efficace que telle autre, alors elle sera obligée de recourir à la psychologie et de lui emprunter certains de ses concepts et de ses théories en les adaptant au phénomène dont elle cherche l’explication.
    «N’importe quelle méthode didactique ou quel programme d’enseignement dont l’application et les résultats sont à analyser par la pédagogie expérimentale soulève des problèmes de psychologie du développement, de psychologie de l’apprentissage et de psychologie générale de l’intelligence» (JP69, p. 41).
Il aurait été étonnant que Piaget minimise l’importance de la psychologie pour la pédagogie. Par contre, il faut admettre que l’auteur, tout en ne niant pas le rôle de l’éducation dans le développement cognitif de l’enfant, n’a pas cherché à étudier la façon dont les interactions et les transmissions sociales sont susceptibles d’accélérer ce développement.

Un passage de l’ouvrage sur "La géométrie spontanée de l’enfant" illustre la conception que Piaget et Inhelder se faisaient des rapports entre psychologie et pédagogie dans les années cinquante. Il concerne le problème du rapport entre les mesures des côtés et celles de la superficie ou du volume d’un rectangle ou d’un cube.

Ce n’est pas avant les débuts du stade formel que les enfants parviennent à maîtriser ce type de rapports, c’est-à-dire à un âge où l’enseignement géométrique apporte des solutions au problème que le psychologue aurait aimé poser à un enfant vierge de tout apprentissage scolaire. L’élève apprenant ces solutions à l’école, il apparaît alors aux auteurs qu’étudier ses réponses, c’est «étudier l’adaptation de la pensée de l’enfant aux connaissances scolaires, ce qui constitue un objet d’analyse fort intéressant en soi, mais propre à la psychologie pédagogique et non pas à la psychologie génétique» (JP48b, p. 426).

Une question ouverte

La séparation assez radicale entre la psychologie pédagogique et la psychologie génétique, et donc entre celle-ci et la pédagogie, faisait certainement sens lorsqu’il s’agissait de dégager les stades de construction des structures de la pensée géométrique, c’est-à-dire lorsqu’était mise au premier plan la problématique de la genèse des structures (JJD84, Introduction). Il est moins certain qu’elle le fasse dans un contexte où, comme dans les années septante, le psychologue généticien s’interroge tout autant sur le fonctionnement des connaissances et des structures opératoires, ainsi que sur les mécanismes de leur construction.

Dans la mesure où le rapport entre l’acquisition empirique et la construction des structures est jugé semblable au rapport qui, en biologie, peut exister entre une acquisition phénotypique et une transformation héréditaire, et dans la mesure où l’on donne toute son importance au facteur d’interaction et de transmission sociales dans l’acquisition individuelle des connaissances, il est possible que la psychologie génétique doive porter une attention plus grande à la psychologie pédagogique qu’elle ne l’a fait classiquement.

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[…] c’est donc une question dépourvue de sens de se demander si la logique ou les mathématiques sont en leur essence individuelles ou sociales: le sujet épistémique qui les construit est à la fois un individu, mais décentré par rapport à son moi particulier, et le secteur du groupe social décentré par rapport aux idoles contraignantes de la tribu, parce que ces deux sortes de décentrations manifestent l’une et l’autre les mêmes interactions intellectuelles ou coordinations générales de l’action qui constituent la connaissance.