Fondation Jean Piaget

Les principaux courants de l'épistémologie interne des sciences

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Si les épistémologies internes des différentes sciences tendent à présenter une structure linéaire, c'est-à-dire à prolonger leur domaine conceptuel et à ne faire appel à aucune autre discipline extérieure, Piaget considère qu'il existe néanmoins des tendances communes aux différentes épistémologies internes. Ainsi, qu'il s'agisse de mathématique, de physique, de biologie, de psychologie, de sociologie ou de sciences humaines plus spécialisées, lorsqu'on fait abstraction de leurs objets particuliers pour ne considérer que leurs méthodes ou modèles d'explication et l'épistémologie interne qui s'en dégage, on retrouve des types d'explication communs que Piaget ramène essentiellement à trois triades. Ces triades sont d'ailleurs en relation les unes avec les autres.

La première triade correspond aux modèles explicatifs privilégiés et s'articule autour des trois tendances suivantes:

1. Les tendances antiréductionnistes: elles tentent de dégager l'existence de structures irréductibles à des éléments plus simples. Ce sont alors les propriétés du tout qui rendent compte de celles des éléments. Telles sont, par exemple, les tendances vitalistes en biologie ou gestaltistes en psychologie.
2. Les tendances réductionnistes: elles consistent au contraire à réduire unilatéralement le supérieur à l'inférieur, le complexe au simple, expliquant les propriétés du tout en fonction des propriétés des éléments qui le composent. Piaget en donne pour exemple la réduction du vital à des propriétés physico-chimiques en biologie, la réduction de l'intelligence à un système d'associations en psychologie et la réduction des mathématiques à la logique (sciences mathématiques).
3. Les tendances explicatives: elles cherchent la clé de l'intelligibilité ni dans des structures déjà données, donc irréductibles, ni dans une réduction du complexe au simple, mais dans la construction même des structures. C'est dans un tel courant, constituant une synthèse dialectique des deux premières tendances, que se situe l'épistémologie piagétienne.

La seconde triade concerne les méthodes fondamentales, c'est-à-dire les grands courants d'interprétation dans les questions de fondements:

1. Le recours à des intuitions primitives: il s'apparente à l'antiréductionnisme statique qui cherche à justifier l'irréductibilité des structures.
2. La méthode de composition atomistique: cherchant à expliquer les propriétés du système à partir de celle de leurs éléments, elle constitue pour Piaget la logique du réductionnisme.
3. La méthode relationnelle ou dialectique: elle ne part ni d'éléments isolés préalables (méthode atomistique) ni de totalités toutes faites correspondant à des intuitions primitives, mais d'une construction de relations aboutissant à des structures d'ensemble. Elle s'appuie donc sur un ensemble de relations aussi bien synchroniques que diachroniques permettant de rendre compte simultanément du caractère nouveau, en tant que non prédéterminé, des structures et de leurs relations avec les éléments qui les composent. Cette méthode correspond précisément à celle que prône Piaget. Elle conduit à substituer aux réductions unilatérales des réductions par interdépendances aptes à traduire les interactions dynamiques propres aux sciences en devenir. Elle aboutit, de ce fait, à une conception circulaire des relations entre les différentes sciences (cercle des sciences).

La troisième triade, qui est d'ailleurs en lien avec les précédentes, correspond aux rapports entre structures et genèse:

1. Le primat des structures par rapport aux genèse: il conduit à une structuralisme sans genèse caractéristique des courants vitalistes orientés vers le finalisme.
2. Le primat inverse du devenir par rapport aux structures: il conduit à un génétisme sans structure qui est le propre de toute épistémologie empiriste.
3. La coordination ou synthèse de ces deux perspectives: elle amène à concevoir toute structure comme le produit d'une genèse et toute genèse comme le passage de structures antérieures à des structures nouvelles. Elle correspond au structuralisme génétique dont se réclame Piaget et qu'il qualifie également de constructivisme relationnel ou dialectique.

Il est clair que ces trois triades, qui par ailleurs se correspondent terme à terme, permettent à Piaget de définir son épistémologie génétique par rapport à d'autres courants épistémologiques en montrant les synthèses dialectiques dont elle procède : tendance explicative, méthode relationnelle ou dialectique et enfin, synthèse des structures et de leur genèse.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations

Les courants de l'épistémologie interne
(...) à analyser les épistémologies internes des différentes disciplines, on rencontre des caractères communs n'impliquant certes pas, dans l'état actuel des connaissances, une unification des épistémologies sur un seul modèle, mais une convergence indéniable des modèles possibles en leur diversité historique et actuelle. Ces ensembles analogues de solutions possibles peuvent (...) être décrits en termes de triades, ainsi qu'il est normal lorsqu'à une thèse extrême s'oppose une antithèse également extrême. L.C.S, p. 1229.

La méthode dialectique
La méthode dialectique n'est donc, sous sa forme stricte (thèses, antithèses, synthèses) qu'un cas particulier de la méthode relationnelle, et sous sa forme généralisée, elle se confond avec celle-ci. Les trois caractéristiques principales de la méthode relationnelle sont, en effet, la mise en interaction entre éléments distincts ou opposés, la totalisation en tant que processus à la fois actif et noétique, et la considération primordiale du devenir en négation de toute conceptualisation statique. Or, nous venons de décrire les deux premiers aspects en tant que constitutifs de la méthode relationnelle. Quant au troisième il en découle nécessairement, car tout processus réel de totalisation représente une genèse de nature temporelle. Cette ouverture nécessaire sur le devenir et les dimensions historiques ou génétiques conduit alors à la troisième triade (...). L.S.C., p. 1235.

Le constructivisme relationnel ou dialectique
(...) le constructivisme relationnel ou dialectique par sa double préoccupation de la totalisation et de la formation historique est naturellement conduit à faire la synthèse des considérations de structure et de genèse. L.C.S., p. 1238.

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Une proposition hypothétique liant une condition donnée à deux conséquences possibles mais exclusives l’une de l’autre […] suppose […] au moins trois plans distincts : celui de la nécessité formelle, celui de la pure possibilité (les deux termes de l’alternative sont également possibles) et celui de la réalité (un des termes exclut l’autre dès qu’une condition nouvelle intervient: il est donc plus réel que l’autre). On conçoit d’emblée que cette hiérarchie des plans de réalité soit plus difficile pour l’enfant que pour nous et qu’elle exige un effort d’adaptation et de réflexion considérable.