Fondation Jean Piaget

Les types de relations entre les sciences

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Piaget considère que si toute science se doit par méthode de délimiter son objet, l'objet d'une science n'est jamais complètement indépendant des objets des autres sciences. C'est pourquoi il envisage divers types de relations possibles entre les différentes sciences en fonction de leur objet et de la manière dont elles l'appréhendent. Ces relations, qui traduisent une classification dynamique des sciences, révèlent les liaisons formatrices que celles-ci entretiennent dans leur évolution même. Cela signifie que l'évolution d'une science s'accompagne nécessairement d'une modification de ses relations avec les autres sciences. Il définit six types de relations permettant de traduire les modes de dépendance caractérisant les différents domaines des diverses sciences, selon que celles-ci reposent sur des systèmes d'explication causale (sciences de l'objet matériel) ou qu'elles s'appuient sur des systèmes de nature implicative (sciences du sujet). Ces six relations correspondent en fait à deux formes de dépendance:

- une dépendance de type unilatéral, qui consiste en la réduction unilatérale d'un système à un autre;
- une dépendance de type bilatéral, ou interdépendance, consistant en une réduction réciproque (ou par interdépendance) de deux systèmes l'un à l'autre.

Ces deux types de relations peuvent être appliqués soit :
- à deux systèmes de nature causale
- à deux systèmes de nature implicative
- à deux systèmes dont l'un est de nature causale et l'autre, de nature implicative.

Nous présentons sous forme de tableau (Tableau II) les six types de relations identifiées par Piaget:

TABLEAU II:

TYPES DE RELATIONS DE DÉPENDANCE ENTRE SCIENCES


Types de relations entre systèmes de type causal Relations entre un système de type causal et un système de type implicatif Relations entre systèmes de type implicatif
(1) Réduction unilatérale d'une science ou théorie causale à une autre (3) Mise en correspondance d'un système causal avec un système implicatif jusqu'à assimilation du premier au deuxième (5) Interdépendance entre deux systèmes implicatifs par abstraction réfléchissante
Exemples Exemples Exemples
Synthèse des huiles relevant de la chimie organique, qui a été réduite à la chimie minérale
Réduction des sciences physiques aux sciences mathématiques, par mise en correspondance des donnés physiques avec les articulations de leur expression mathématique
Manière dont l'algèbre a été tiré de l'arithmétique par abstraction réfléchissante, source de réduction par enrichissement. En effet, cette abstraction étant par nature constructive, les structures nouvelles s'avèrent plus riches que les structures antérieures à partir desquelles elles se constituent puisqu'elles les intègrent tout en les dépassant
(2) Réduction par interdépendance de sciences ou théories causale conduisant à leur enrichissement mutuel (4) Mise en correspondance d'un système causal avec un système implicatif avec recherche d'«isomorphisme» (6) Réduction entre deux systèmes implicatifs par axiomatisation, celle-ci étant toujours «une axiomatisation de quelque chose».
Exemples Exemples Exemples
Réduction, par Einstein de la gravitation aux courbures de l'espace physique de type riemannien Recherche d'isomorphisme entre structure organique et structure consciente, entre causalité neurologique et implication consciente La logique peut ainsi être conçue comme une axiomatisation de la pensé naturelle mais qui suit son propre cheminement indépendamment des structures dont elle est issue. Piaget parle de réduction dans la mesure où «le but d'une axiomatique est de réduire les résultats les plus riches possibles aux axiomes les plus faibles et les moins nombreux possibles» (L.C.S., p. 1185), qu'elle y parvienne ou non


Piaget considère qu'il peut y avoir:

a) relations de dépendance entre domaines conformément à l'ordre hiérarchique, soit:
        I > II > III > IV
        ou encore
        I> II
        II> III
        III>IV
        IV> I

b) relations de dépendance avec «court-circuit» ou dépendance unilatérale, mais non conforme à l'ordre hiérarchique, soit:

        III  et  I
        IV   et  I
        IV   et  II

c) relation de dépendance avec interaction croisée (comme b), mais avec dépendance bilatérale.

Ces relations ne sont évidemment pas statiques mais dynamiques puisqu'elles reflètent l'évolution des sciences et de leurs domaines. Piaget établit donc une filiation génétique ou hiérarchie diachronique entre ces six processus relationnels. Toutefois, cette filiation génétique du causal et de l'implicatif n'est pas linéaire mais circulaire puisqu'elle renvoie au cercle des sciences, c'est-à-dire à la dialectique immanente aux interactions sujet-objet. En effet, le sujet ne connaît l'objet que par l'intermédiaire de ses schèmes et, en ce sens, il y a tendance à réduire l'objet au sujet, à assimiler les réalités expérimentales à des schèmes logico-mathématiques ou encore les systèmes causals à des systèmes implicatifs. Mais inversement, le sujet ne se connaît lui-même qu'en s'objectivant de sorte que pour comprendre d'où procèdent les schèmes logico-mathématiques qui lui servent à appréhender la réalité physique, il doit rendre compte de la manière dont ces systèmes implicatifs sont construits par la conscience en s'appuyant sur les structures causales de la coordination des actions, ce qui constitue réciproquement une réduction du sujet à l'objet, de l'implicatif au causal.

Cette filiation est donc solidaire de la vection propre à l'évolution des connaissances et de la science. Elle se manifeste par une subordination accrue de la connaissance de l'objet (y compris le sujet considéré comme objet) au sujet, et par conséquent des systèmes de nature causale aux systèmes de nature implicative propres au sujet. Autrement dit, la connaissance de l'objet est d'autant plus riche qu'elle fait davantage appel aux instruments déductifs du sujet (réduction de l'objet au sujet). Mais elle se traduit également par une décentration croissante qui conduit à une connaissance d'autant meilleure du sujet que celui-ci est davantage objectivé (ce qui constitue une réduction inverse du sujet à l'objet). Dans une telle perspective, assigner un type de relation particulier à deux sciences ou à leurs domaines correspondants, c'est les situer dans un processus évolutif global soumis à une vection particulière.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations

Relations de dépendance entre les sciences
(...) les relations de dépendance entre les sciences seront de divers types. La raison générale en est précisément que les différentes disciplines ne procèdent pas de façon identique, comme ce serait le cas si elles constituaient les étapes successives d'une même marche en ligne droite. Au contraire pendant que la biologie et la psychosociologie expliquent le sujet connaissant à partir des lois de l'univers physique ou à partir des actions exercées sur cet univers, la physique et les mathématiques expliquent l'univers à partir des structures opératoires et des instruments déductifs élaborés par le sujet en fonction des coordinations de ses actions. Il en résulte que les relations de dépendance entre une science ou une autre ou même entre un chapitre particulier et un autre ne se retrouveront pas sous la même forme, comme entre les marches d'un même escalier, mais se modifieront selon leur situation au sein de ce vaste cercle, suivant qu'il s'agit, par exemple, de mettre en relation une théorie relative aux propriétés du sujet connaissant avec une théorie portant sur un système matériel (...) ou qu'il s'agit d'appliquer à des faits physiques, des instruments jusque là purement déductifs et formels (...). L.C.S., pp. 1180-1181

Types de relations entre les sciences
(...) les relations de dépendance entre les sciences vont consister, soit à intégrer ou réduire des systèmes de causalité à d'autres, soit à faire correspondre des systèmes de causalité à des systèmes d'implications, par assimilation progressive (...) ou par «isomorphisme» ou «parallélisme» (...), soit enfin à tirer une science d'une autre par abstraction réfléchissante ou par axiomatisation, ce qui revient à réduire ou intégrer des systèmes d'implication à d'autres. Autrement dit, si le cercle du sujet et de l'objet aboutit à conférer une structure cyclique au système des sciences, c'est d'abord parce qu'il existe une relation dialectique ou circulaire entre les systèmes fondés sur l'explication causale et ceux qui relèvent de l'implication. L.C.S., pp. 1181-1182

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[…] les notions mathématiques commencent par être indifférenciées des notions physiques […]. Il en résulte que les notions mathématiques procèdent d’une abstraction à partir de l’action, abstraction due à une prise de conscience progressive des coordinations comme telles et que provoque la différenciation croissante entre elles et les actions physiques particulières qu’elles coordonnent. Réciproquement, nous voyons […] cette même différenciation aboutir à dissocier graduellement les notions physiques de vitesse et de temps des coordinations spatiales qui les dominent d’abord avec excès et de façon déformante, puis les coordonnent simplement dans la suite.