Fondation Jean Piaget

Les domaines des sciences

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Piaget considère quatre grands ensembles de sciences définis en fonction de leur objet :

I. Les sciences logico-mathématiques ayant pour objet les instruments déductifs permettant au sujet d'assimiler les objets. Il s'agit de sciences déductives reposant peu si ce n'est pas du tout sur l'expérience et utilisant au maximum les activités du sujet.
II. Les sciences physiques ayant pour objet le monde extérieur. Or, comme nous ne connaissons celui-ci qu'en l'assimilant à des schèmes logico-mathématiques, les sciences physiques reposent à la fois sur l'expérience et sur la déduction.
III. Les sciences biologiques ayant pour objet l'organisme vivant, point de départ du sujet connaissant. L'objet des sciences biologiques est donc le sujet considéré en sa réalité matérielle, comme partie du monde physique.
IV. Les sciences psychosociologiques ayant pour objet le sujet psychologique et social, c'est-à-dire le sujet en interaction avec les objets (réalité physique) et avec d'autres sujets. Or, ce sujet prolonge l'organisme biologique.

En toutes ces disciplines scientifiques, il existe une relation de connaissance particulière entre le sujet qui connaît et l'objet à connaître. En effet, pour Piaget, la connaissance scientifique diffère d'un genre de discipline à l'autre en ce sens que les relations de connaissance entre le sujet et l'objet ne sont pas les mêmes pour les sciences mathématiques que pour la biologie ou les sciences physiques par exemple, d'où la nécessité d'établir simultanément en quoi elles diffèrent et en quoi elles sont interdépendantes puisqu'elles soulèvent toutes la question de la nature des relations sujet/objet dans la connaissance.

L'épistémologie génétique, ayant pour objet l'accroissement des connaissances envisagées à la fois sous l'angle de leur validité formelle (analyse formalisante) et de leur mode de succession ou genèse (analyses génétiques), tentera précisément de dégager, en chacune de ces disciplines:

    - quelles sont les relations de connaissance entre le sujet et l'objet;
    - en quoi consiste le progrès des connaissances;
    - quels sont les mécanismes qui le sous-tendent;
    - dans quelle direction s'oriente l'évolution de ces différents types de connaissances.

Dans le but de mettre en évidence les liaisons formatrices ou filiations épistémologiques qui existent entre ces différentes sciences, ou ensembles de sciences, Piaget distingue, au sein de chacune d'elles, quatre domaines. Ceux-ci correspondent à l'objet délimité d'une science et à ses différents niveaux de réflexion ou de conceptualisation.

A. Le domaine matériel d'une science correspondant ni plus ni moins à l'objet de cette science.
B. Le domaine conceptuel d'une science ou ensemble des théories élaborées à propos de son (ou de ses) objet(s)
C. Le domaine épistémologique interne ou ensemble des théories ayant pour objet la recherche des fondements ou la critique des théories élaborées à propos de leur objet. Visant à déterminer la valeur des principes, méthodes, concepts, etc. utilisés par une science en fonction des crises ou conflits résultant de son évolution interne, elle représente, pour Piaget, un instrument de progrès scientifique.
D. Le domaine épistémologique dérivé ou étude des conditions rendant possible cette science, ce qui conduit à mettre les disciplines en relation les unes avec les autres et à aborder la question générale des apports respectifs du sujet et l'objet en chacune de ces disciplines.

Le tableau suivant (Tableau I) présente le croisement entre les divers ensembles de sciences, logico-mathématiques, physiques, biologiques et psychosociologiques ainsi que leurs quatre grands domaines, à savoir le domaine matériel, le domaine conceptuel, le domaine épistémologique interne et le domaine épistémologique dérivé.

TABLEAU I
LES DIVERS ENSEMBLES DE SCIENCES
ET LEURS DIFFÉRENTS DOMAINES

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Piaget constate que selon les domaines envisagés, les relations entre les différents ensembles de sciences ne présentent pas la même structure. La classification des sciences peut par conséquent différer selon les domaines considérés. Si dans certains cas (domaines conceptuels B et domaines épistémologiques internes C) ces relations conservent un ordre linéaire, dans d'autres cas (domaines matériels et domaines A et domaines épistémologiques dérivés D), elles présentent au contraire un ordre cyclique. Il oppose donc à une classification purement linéaire et statique, conduisant des sciences les plus fondamentales comme la mathématique aux sciences psychosociologiques, une classification circulaire et dynamique reflétant l'interdépendance fondamentale du sujet et de l'objet dans la connaissance et le caractère essentiellement ouvert, donc inachevé, de toute connaissance.

Si la plupart des classifications proposées par les auteurs (Bacon, Ampère, Spencer, Comte) sont demeurées statiques et linéaires, Piaget considère qu'une classification des sciences qui est soucieuse de marquer le dynamisme de la recherche doit tenir compte de ces divers niveaux car ils sont interdépendants. Elle ne doit donc pas se limiter à considérer seulement le domaine conceptuel B des sciences, mais prendre également en considération leurs domaines matériels ainsi que leurs épistémologies internes (C) et dérivées (D).

S'appuyant sur le cercle épistémologique fondamental du sujet et de l'objet, il cherche à développer l'hypothèse cyclique d'une classification des sciences en en distinguant les différents sens possibles, mais surtout en distinguant les divers types de dépendance - réduction ou filiation - entre une science et une autre. Il propose donc différents types de relations entre les sciences logico-mathématiques (I), physiques (II), biologiques (III) et psychosociologiques (IV), selon les divers domaines (A, B, C et D) considérés.

Relations de type linéaire entre:

     …les domaines conceptuels (B) des sciences:

           IB   →   IIB   →  IIIB   →   IVB

     …les domaines épistémologiques internes (C) des sciences:

           IC   →   IIC   →  IIIC   →   IVC

Relations de type circulaire et dynamique entre:

            …les domaines matériels               …les domaines épistémologiques dérivés (D)


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©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations

Domaines des sciences
Une science ne distribue pas ses connaissances et ses recherches sur un seul plan, mais comporte, dès qu'elle est un peu élaborée, divers niveaux de connaissance procédant de la conceptualisation directe («domaine conceptuel») de ses objets («domaine matériel») à une réflexion sur cette conceptualisation qui aboutit à en faire la critique. L.C.S., p. 1175.

Domaines matériel (A) et conceptuel d'une science (B)
Une première distinction fondamentale s'impose sitôt que l'on s'essaye à déterminer les relations de parenté entre les disciplines scientifiques et à fonder sur ces rapports une classification naturelle (...). C'est la distinction entre le «domaine matériel» d'une science, défini comme l'ensemble des objets sur lesquels elle porte (objets mathématiques tels que des nombres, fonctions, etc.; objets physique ou biologiques tels que des corps, des énergies, des organes, etc.; objets psychosociologiques tels que les actions ou opérations mentale, etc.) et le «domaine conceptuel» de cette science, défini comme l'ensemble des théories ou connaissances systématisées élaborées par cette science sur son ou ses objets (théories des nombres ou des fonctions; théories des masses ou des énergies; description et interprétation des organes biologiques; analyse des faits mentaux, etc). L.C.S., p. 1173.

Domaine épistémologique interne d'une science (C)
L'épistémologie interne d'une science consiste en un examen critique des procédés de connaissances utilisés par cette science, destiné à établir les fondements de cette dernière. En tant que théorie des fondements, l'épistémologie interne vise donc à intégrer ses résultats dans le corps même de la science considérée (...). L.C.S., p. 1238.

Domaine épistémologique dérivé d'une science (D)
L'épistémologie dérivée d'une science consiste au contraire en une analyse de la nature de ses procédés de connaissance ne visant ni à leur fournir un fondement, ni donc à intervenir en leur déroulement, mais à chercher selon la formule classique de toute épistémologie, comment cette forme de connaissance «est possible». La nature de toute connaissance étant de constituer une certaine relation entre le sujet et l'objet, l'épistémologie dérivée d'une science cherchera donc à déterminer les parts respectives du sujet et de l'objet dans le mode particulier de connaissance qui caractérise cette science (...). Par ailleurs, ou plutôt par cela même, l'«épistémologie dérivée d'une science fait nécessairement appel à d'autres sciences ou à leurs épistémologies, car on ne saurait faire la part du sujet et celle de l'objet pour une science particulière sans référer aux situations correspondantes des autres disciplines. L.C.S., pp. 1238-1239.

Domaines épistémologiques internes et dérivés
(...) tandis que le «domaine épistémologique interne» C comprend les théories qui font la critique du «domaine conceptuel» B, le «domaine épistémologique dérivé» D dégage la portée épistémologique plus générale des résultats obtenus par la science considérée en les comparant à ceux des autres sciences: les problèmes ainsi posés sont alors celui des relations entre le sujet et l’objet dans la science considérée et, plus généralement, celui d’établir comment sa constitution a été rendue possible. L.C.S., p. 1176.

Relations entre les domaines
Or, il est évident que les épistémologies, tant internes C que dérivées D des sciences se réfèrent aux domaines matériels A autant que conceptuels B, puisque ces épistémologies consistent à faire la critique des concepts B en fonction de leur objet A, sans se limiter aux domaines conceptuels B en fonction de leur objet A. L.C.S., p. 1177.
(...) (1), les «épistémologies» C et D procèdent du progrès même des sciences et on ne peut donc les exclure de la classification; (2), il est alors impossible d'analyser les connexions entre les «domaines conceptuels» B et les épistémologies C et D sans s'occuper des liaisons entre les «domaines matériels» A des sciences I à IV puisque toute épistémologie, interne ou dérivée, a pour fonction essentielle de faire l'examen critique des relations entre les conceptualisations (B) et les objets eux-mêmes du savoir (A), le problème central étant celui du rapport entre les objets et le sujet, ce qui intéresse les sciences I à IV dans leur ensemble. L.C.S., p.1178.

Circularité des niveaux (ou domaines) A et D
La raison de la circularité des niveaux A et D est que le sujet ne connaît les objets que par l'intermédiaire de ses propres actions et ne se connaît lui-même que dans la mesure où il est affecté par les objets (ou les autres sujets, mais en tant également qu'extérieurs à lui). La connaissance ne procédant donc jamais de l'objet seul, selon un schéma empiriste, ni du sujet seul, selon un schéma aprioriste, mais de l'interaction entre des objets et un sujet indissociables aux points de départ, deux grandes constructions sont ainsi nécessaires pour sortir de cette indissociation initiale: l'une orientée vers la conquête de l'objectivité et l'autre vers l'élaboration des instruments de l'interprétation. L.C.S., p. 1220.

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[…] le but de l’enseignement des mathématiques reste toujours d’atteindre la rigueur logique ainsi que la compréhension d’un formalisme suffisant, mais seule la psychologie est en état de fournir aux pédagogues les données sur la manière dont cette rigueur et ce formalisme seront obtenus le plus sûrement.