Fondation Jean Piaget

Les correspondances fonctionnelles et les isomorphismes structuraux

Présentation
Citations (1): Fonctions et structures
Citations (2): Notions de fonctions et de fonctionnement
Citations (3): Notion de structure, types de structures et filiation de structures


Présentation

Pour montrer comment la connaissance procède de la vie, tout en étendant considérablement son champ d'adaptation, Piaget établit un certain nombre de correspondances fonctionnelles et d'isomorphismes structuraux entre le biologique et le cognitif. Tandis que les premières reflètent une continuité fonctionnelle au cours de l'évolution, se traduisant par une constante recherche d’adaptation, les seconds témoignent d'une hétérogénéité structurale, c'est-à-dire d'une transformation qualitative des modes d'organisation qui sous-tendent ces différentes formes d'adaptation. L'hypothèse piagétienne concernant les mécanismes cognitifs est qu'«ils constituent à la fois la résultante des processus autorégulateurs généraux de l'organisation vivante et les organes spécialisés de la régulation dans les échanges avec le milieu» (B.C., p. 206). Cette hypothèse implique l'existence de fonctions générales communes aux mécanismes organiques et cognitifs en même temps qu'une spécialisation progressive des fonctions cognitives, sous-tendue par de nouvelles structures ou formes d’organisation. Ces fonctions générales communes, qui se retrouvent sur le terrain cognitif et y jouent le même rôle essentiel que sur le terrain organique, sont l’organisation et l’adaptation, l’assimilation et l’accommodation, la conservation et l’anticipation, la régulation et l’équilibration. Quant aux structures cognitives, si elles diffèrent de celles de l’organisation vivante, elles n’en présentent pas moins un certain nombre d’isomorphismes partiels avec ces dernières puisque ces différentes structures procèdent les unes des autres par un processus d’abstraction réfléchissante, source de reconstructions qui dépassent tout en les intégrant les constructions des niveaux antérieurs. C’est ainsi que l’on retrouve, à différentes échelles du développement, des structures de classes, d’ordre ou de correspondances (structures multiplicatives bi-univoques ou co-univoques). Ces isomorphismes de structures témoignant à la fois d’une filiation entre les différents niveaux de développement, tant cognitif que biologique, et d’une reconstruction permettant de dépasser les limites des niveaux antérieurs. Cette genèse progressive de structures nouvelles à partir de structures antérieures signifie pour Piaget qu’il n’y a pas de commencement absolu et que les structures de l’intelligence prennent racine dans les structures biologiques dont elles dérivent.

Entre les structures organiques et les structures cognitives, il y aurait donc une filiation sous la forme d'une reconstruction sur un palier supérieur des structures élaborées sur un palier antérieur, avec un élargissement du champ d'adaptation et une mobilité croissante dans les échanges avec l'extérieur. Ces reconstructions cognitives endogènes, que Piaget qualifie de reconstructions convergentes avec dépassements, permettent d’assurer une plus grande stabilité du système en introduisant un facteur de nécessité, source d’intelligibilité plus grande puisqu’il fournit les raisons de ce qui était simplement constaté. Le phénomène de la phénocopie au sens large, qui consiste à remplacer une formation exogène par une formation endogène due aux activités de l’organisme ou du sujet, constitue pour Piaget un exemple de ces reconstructions convergentes avec dépassements qui ont pour effet d’accroître l’équilibre du système, qu’il soit organique (phénocopie biologique) ou cognitif (phénocopie cognitive) (Voir modèle de la phénocopie).

Dans cette perspective, les fonctions proprement cognitives constituent pour Piaget un prolongement du processus de différenciation spécialisatrice qui permet le passage progressif des régulations morphogénétiques générales de la vie à des régulations structurales puis, de là, à des régulations fonctionnelles. Si de telles fonctions se constituent, c’est parce que les échanges fonctionnels caractérisant le comportement nécessitent leurs propres régulations, comme n’importe quelle autre forme d’organisation vitale. La signification propre des fonctions cognitives est donc de servir d’organes à l’autorégulation ou à l’équilibration sur le terrain des échanges propres au comportement. Alors que l’équilibre organique ne présente qu’une stabilité relative, la fonction autorégulatrice des mécanismes cognitifs permet d’aboutir aux formes d’équilibre les plus stables que connaisse l’être vivant : les structures de l’intelligence.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations (1): Fonctions et structures

Distinction entre fonctions et structures
La distinction entre fonctions et structures se retrouve (…) dans le même sens qu'en biologie dans tous les domaines psychosociologiques et en particulier dans l'analyse de l'intelligence ou des connaissances en leur déroulement concret : on peut parler, par exemple, d'une fonction d'explication, propre à tous les niveaux de la pensée, tout en constatant que les divers organes conceptuels, ou structures, utilisés à cet effet, varient considérablement d'un niveau à un autre (…). B.C., p. 197.
Il faut donc, à côté des fonctions, faire la part des structures et admettre qu’à une même fonction peuvent correspondre les organes les plus divers. Le problème psychologique de l’intelligence est justement celui de la formation de ces organes et structures et la solution de ce problème n’est en rien préjugé du fait qu’on admet une permanence du fonctionnement. N.I., p. 325

Correspondances fonctionnelles
(…) la correspondance fonctionnelle repose sur la correspondance terme à terme entre les seules relations dynamiques qui caractérisent le «rôle» joué par l’organe, c’est-à-dire son fonctionnement en tant que sous-structure par rapport à celui de la structure totale. B.C., p. 202.
(…) l’analyse fonctionnelle constitue le cadre préalable à toute analyse structurale. (…) il ne saurait donc être question de rechercher les isomorphismes structuraux avant d’examiner les correspondances fonctionnelles qui seules confèrent aux premiers une signification acceptable. B.C., p. 205

Isomorphismes structuraux
(…) tandis que les correspondances fonctionnelles sont l’indice d’une continuité effective dans le fonctionnement, les isomorphismes structuraux que nous pourrons dégager ne témoigneront pas nécessairement de filiations directes ou linéaires, mais bien plutôt d’une suite ininterrompue de reconstructions convergentes beaucoup plus intéressantes d’ailleurs quant aux relations entre la vie et les fonctions cognitives. B.C., p. 208.

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Citations (2): Notions de fonctions et de fonctionnement

Fonctionnement
Les structures pouvant être statiques ou dynamiques, on peut, dans le cas de ces dernières parler de l'activation ou de l'activité d'une structure. Nous emploierons le terme de «fonctionnement» pour désigner cette activité elle-même. B.C., p. 199-20.
Quant au terme de «fonction», on l’emploie souvent dans le sens d’un ensemble de structures y compris leur fonctionnement. C’est en ce sens que, suivant l’usage, nous parlons de «fonction cognitive» ou qu’on utilise le terme de «fonction symbolique», etc. B.C., p. 200.
(…)
En ce sens précis (…), la fonction est l’action exercée par le fonctionnement d’une sous-structure sur celui d’une structure totale, que celle-ci soit elle-même une sous-structure englobant la première ou soit la structure de l’organisme dans son ensemble. B.C., p. 200.

Notion de fonction
(…) pour confronter les fonctions cognitives aux fonctions organiques, la question préalable est de commencer par s’entendre sur la signification du terme de fonction. Or, ce concept est utilisé en deux sens distincts : la fonction mathématique y =f(x) et la fonction biologique, comme celle de la respiration ou de l’assimilation en général. B.C., p. 85.

Fonction mathématique
La fonction mathématique est une opération, effectuant un jeu de transformations ; ou, si l’on préfère, elle est l’opération projetée dans les modifications des variables, autrement dit la loi même de transformation (…).B.C., p. 85.

Fonction biologique
La fonction biologique paraît au premier abord constituer une toute autre réalité, puisqu’elle évoque les idées de fonctionnement et surtout d’utilité fonctionnelle, étrangères à la fonction mathématique en sa généralité. Elle implique donc l’existence d’un système, c’est-à-dire d’une structure ou d’un cycle s’entretenant eux-mêmes et recouvre les activités qui concourent à cet entretien. B.C., p. 85.

Fonctions biologique et mathématique
La fonction biologique comporte alors en commun avec la fonction mathématique l’idée de variations ainsi que celle d’activités qui les déterminent et il est fort possible qu’une analyse poussée de tout fonctionnement biologique puisse l’exprimer en termes de fonctions mathématiques, mais il s’y ajoute la notion de système autorégulateur d’ensemble, dont la fonction biologique traduit le fonctionnement et dont les fonctions mathématiques éventuellement utilisées pour le déterminer devraient respecter le caractère particulier. B.C., pp. 85-86.

Fonctions biologiques et cognitives
(…) une première constatation frappante est que les fonctions cognitives sont plus proches des fonctions biologiques en ce sens précis de l’aspect d’autorégulation que la fonction mathématique en sa généralité (ce qui n’exclut naturellement en rien, ni donc qu’elles puissent se traduire en fonctions mathématiques adéquates à ce caractère autorégulateur, ni qu’elles constituent la source des fonctions mathématiques en leur généralité). B.C., p. 86.

Fonctions cognitives
Il existe une assimilation active au niveau du comportement et les fonctions cognitives obéissent comme les autres aux lois très générales de l’assimilation et de l’accommodation, les schèmes d’action constituant comme les autres des «formes» de l’organisation vitale, mais des formes fonctionnelles à structure dynamique et non pas matérielle (au sens de comportant des masses). B.C., p. 58.
Toute organisation vitale, à toutes les échelles, comporte des autorégulations et cela reste donc valable, nous dirons même a fortiori, sur le terrain du comportement. Les fonctions cognitives seraient donc, dans cette perspective, les organes spécialisés de l’autorégulation des échanges au sein du comportement. B.C., p.59.

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Citations (3): Notion de structure, types de structures et filiation de structures

Notion de structure
Une structure comporte en premier lieu des éléments et des relations qui les unissent, mais sans qu’il soit possible de caractériser ou de définir ces éléments indépendamment des relations en jeu (…). Ces éléments peuvent être de nature diverse (…) Les relations peuvent consister de même en liaisons de toute nature (…). B.C., p. 197
En second lieu les structures ainsi définies peuvent être considérées indépendamment des éléments qui les composent. Ce n’est pas à dire qu’elles puissent exister sous cette forme (sauf dans le cas des structures «abstraites» du mathématicien), mais que, en faisant abstraction des éléments qui la composent, on peut encore envisager la structure en tant que «forme» ou système de relations (…) c’est le principe de tout isomorphisme. B.C., p. 198.
En troisième lieu, il existe des structures de divers «types» logiques, c’est-à-dire qu’il convient d’envisager des structures de structures, etc. B.C., p. 198.

Structure d’emboîtement
La «forme» la plus générale que comporte une hiérarchie est celle de l’emboîtement de la partie, ou sous-structure, en un tout ou structure totale. Or, cette «forme» ou structure élémentaire d’emboîtement (…) constitue le principe commun d’opérations logiques fondamentales qui sont celles de la classification, et de structures biologiques non moins fondamentales qui interviennent, non pas seulement dans les rapports hiérarchiques mis en évidence par la zoologie ou la botanique systématique, mais encore dans l’organisation du système génétique, dans la succession des stades embryonnaires, dans les processus de l’assimilation physiologique au sens large et finalement dans tout le comportement. B.C., pp. 223-224.
(…) il semble clair que l’emboîtement classificateur, embryologique et génétique des caractères se prolonge en ce qu’on pourrait appeler une classification en action dans le mécanisme même des échanges physiologiques avec le milieu, et cela en fonction directe de la diversité des structures et des formes spécialisées d’assimilation qui les entretiennent. B.C., p. 229
Ainsi la fonction classificatrice semble se retrouver en toute structure d’organisation, et ce fait constitue un remarquable isomorphisme structural entre les organisations biologiques et cognitives. B.C., p. 231.

Structure d’ordre
(…) la construction d’une structure d’ordre par la pensée suppose une pensée déjà ordonnée en son fonctionnement (bien qu’il s’agisse alors d’un ordre plus élémentaire). B.C., p. 232.
Les structures d’ordre sont essentielles au mécanisme de la pensée. (…) Parmi les premières structures opératoires qui se construisent chez l’enfant, celle de sériation (enchaînement de relations asymétriques transitives) fait le pendant de celle de classification et leur synthèse est nécessaire à la construction du nombre. B.C., p. 232.
Or, la notion d’ordre ne saurait être tirée de l’expérience (…) nous ne trouvons de l’ordre dans nos souvenirs ou nos états successifs que si nous l’y introduisons par une reconstitution réflexive ou raisonnée (…). B.C., pp. 232-233.
(…) l’ordre utilisé au niveau sensori-moteur (…) est lui-même précédé par un ensemble considérable de relations d’ordre en jeu dans les mécanismes nerveux et physiologiques en général, de nature héréditaire. B.C., pp. 232-233.
Au total, les structures d’ordre apparaissent (et cela dès l’A.D.N.) comme inhérentes à toute organisation biologique et à son fonctionnement. À l’autre extrémité les structures d’ordre sont des produits de la pensée mais d’une pensée également ordonnée en son fonctionnement. Entre les deux se retrouvent tous les intermédiaires(…). Ici encore nous nous trouvons donc en présence d’un isomorphisme fondamental entre les structures biologiques et les structures cognitives. B.C., pp. 234-235.

Structure de correspondance
(…) la structure de correspondance joue un rôle fondamental dans l’organisation vivante et à nouveau un rôle proprement fonctionnel, c’est-à-dire qui ne tient pas simplement à la description des phénomènes par l’observateur, mais à l’activité même de l’être organisé, autrement dit au processus organisateur comme tel. B.C., p.236.

Structures de l’intelligence
(…) les structures de l’intelligence ne sont pas innées et ne s’imposent à titre nécessaire qu’au terme d’une longue construction. Certes, il y a un facteur héréditaire dans le fonctionnement de l’intellect (…). Par contre, les structures comme telles, (…) ne s’acquièrent qu’au cours d’une longue épigenèse où les facteurs d’activité et d’exercice jouent un rôle autant que la maturation des coordinations nerveuses. Mais (…) s’il nous est permis de considérer les structures logico-mathématiques comme endogènes, c’est donc qu’elles sont construites par le sujet qui les tire des formes générales de coordination de ses actions, et que ces coordinations s’appuient elles-mêmes sur les coordinations nerveuses qui dérivent enfin des coordinations organiques. En d’autres termes, si ces structures ne sont pas héréditaires, elles constituent néanmoins un prolongement des régulations organiques. A.V.P.I., p. 74.

Filiation de structures et reconstructions convergentes avec dépassements
(…) à considérer les formes supérieures de conduites acquises et notamment celles que l’on retrouve sous le vocable d’intelligence, on ne se trouve nullement en présence de développements ou de filiations simplement linéaires, c’est-à-dire telles que chaque stade prolonge directement le précédent par acquisitions cumulatives ou additives, mais (…) d’une série de paliers sur chacun desquels le développement débute par une reconstruction en structures nouvelles des structures déjà acquises au niveau précédent mais qu’il s’agit de réélaborer pour pouvoir les intégrer dans ces structures nouvelles qui les enrichiront et les prolongeront. B.C., p. 318.
Il s’ensuit qu’une même structure déjà élaborée au niveau sensori-moteur, c’est-à-dire en actions, doit être reconstruite en termes de concepts pour être utilisée en pensée, même à propos d’objets manipulables. B.C., p. 319
Or, ces reconstructions de structures d’un palier à un autre avec élargissement et innovation sur chaque palier nouveau entraînent naturellement, à titre de conséquence, l’exclusion de tout commencement absolu : les structures sensori-motrices ne représenteraient ainsi un niveau de départ que par rapport aux suivantes, tout en constituant pour une part une reconstruction de structures antérieures inscrites dans les coordinations nerveuses, etc. On voit immédiatement alors que les structures instinctives font partie de ces structures antérieures, sans que cela implique naturellement de filiation directe (…).B.C., p. 319.
On n’observe en effet jamais de commencements absolus au cours du développement et ce qui est nouveau procède ou de différenciations progressives, ou des coordinations graduelles, ou des deux à la fois, comme on a pu le constater jusqu’ici. E.G., p. 34
Nous appellerons (…) «reconstructions convergentes avec dépassement» le processus dont nous venons de donner un exemple. Comme il est très général, on peut parler de loi (…). B.C., p.320.
L’hypothèse (…) est qu’il existe des analogies au moins fonctionnelles entre la coordination des schèmes sur le plan génétique ou épigénétique de l’organisation propre aux instincts et la coordination individuelle des schèmes sur le terrain de l’intelligence au moins sensori-motrice, bien que cette dernière soit d’un niveau bien ultérieur et non pas antérieur à celui de l’instinct. B.C., p 320.
(…) entre les structures organiques de départ et celles des opérations formelles de l’esprit, s’intercale une série extrêmement longue et complexe de reconstructions avec convergences d’un palier à l’autre au plan de l’organisme et d’abstractions réfléchissantes avec nouvelles réorganisations au plan du comportement. E.G., p. 93

Reconstructions convergentes au plan cognitif
Il en résulte que, lorsque débute la pensée ou intelligence représentative, elle part bien de zéro quant à son contenu en tant que conceptuel (…), mais elle est préparée fonctionnellement non pas seulement par les coordinations sensori-motrices et nerveuses, mais encore fondamentalement par tout ce que le fonctionnement nerveux, constamment à l’œuvre dans les développements sensori-moteurs puis représentatif, a hérité lui-même du fonctionnement organique en général. B.C., p. 460.
En un mot, les structures logico-mathématiques prolongent ainsi bien plus étroitement qu’il ne semble le fonctionnement organisateur général commun à toute structure vivante, du seul fait que ce fonctionnement est à l’œuvre dans l’action et le système nerveux aussi bien qu’en toute autre organisation, et du fait que l’abstraction réfléchissante ne connaît pas de commencement absolu et remonte jusqu’aux «reconstructions convergentes avec dépassements» communes à toutes les constructions organisées. B.C., pp. 460-461.

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L’intelligence ne débute ni par la connaissance du moi, ni par celle des choses comme telles, mais par celle de leur interaction. ... Elle organise le monde en s’organisant elle-même.