Fondation Jean Piaget

L'épistémologie de L. Brunschvicg

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Piaget voit dans l’épistémologie brunschvicgienne l’exacte antithèse de l’empirisme logique qui croit en des objets tout faits, en un langage stable, la logique, et en leur accord permanent. Cette épistémologie va également à l’encontre de l’apriorisme. La thèse de Brunschvicg est en effet le refus de toute structure a priori et de tout empirisme au profit d’interactions se modifiant sans cesse au cours de l’histoire. Chez Brunschvicg comme chez Piaget, il y a donc une interdépendance du sujet et de l’objet dans la connaissance et une constante relativité de l’objet par rapport au sujet. En ce sens, l’épistémologie piagétienne se rapproche à bien des égards de celle de Léon Brunschvicg puisqu’elle s’oppose elle aussi à l'empirisme logique et qu’elle met l’accent sur la dimension proprement génétique de la connaissance.

Brunschvicg incarne essentiellement, pour Piaget, la méthode historico-critique apte à suivre les étapes de tous les développements. Il tente en effet de saisir la signification de notions telles que l’espace, le temps, la causalité physique, en en retraçant l’histoire. S’appuyant sur la méthode historico-critique, qui consiste à chercher une explication de la connaissance en son déroulement même, le relativisme critique de Brunschvicg aboutit à un constructivisme de type idéaliste présentant, en dépit de son idéalisme, certaines parentés avec deux exigences méthodologiques dialectiques: le rôle de l’action et le constant dépassement des thèses opposées. Mais, ce constructivisme demeure idéaliste par son relativisme historique non libéré du sujet. La méthode historico-critique de Brunschvicg relativise tout. Faute d’avoir suffisamment différencié la manière dont une théorie nouvelle succède aux précédentes de la manière dont une conceptualisation philosophique en remplace une autre, Brunschvicg envisage le développement historique sous l’angle d’un devenir radical. Selon l’idéalisme brunschvicgien, fondé sur le jugement, c’est-à-dire sur la déduction, la réalité extérieure est constamment relative aux opérations effectives et mentales du sujet. Or pour Piaget, si ces relativisations comportent quelques vérités partielles, elles soulèvent néanmoins des difficultés génétiques quant à l’interprétation des relations sujet/objet et du devenir intellectuel. La difficulté est la suivante: prenant pour point de départ du développement de la pensée ses plus anciennes manifestations historiques connues, la méthode historico-critique de Brunschvicg néglige de remonter jusqu’à l’organisme biologique qui en est la source. Piaget oppose donc à l’antithèse du réalisme et de l’idéalisme, la synthèse de ces deux tendances.

Dans la perspective épistémologique de Piaget, il n’est pas possible en effet de déployer tout le réel sur le seul plan de l’idéalisme mathématique. Le cercle des sciences illustre au contraire la double tendance d’une réduction du sujet à l’objet aussi bien que de l’objet au sujet. Tandis que les mathématiques et la physique assimilent le réel aux opérations du sujet, la biologie, la psychologie et la sociologie expliquent ces opérations par les rapports de l’organisme avec le réel. Concevant le développement des connaissances sous l’angle d’une modification des rapports du sujet avec l’objet, Piaget oppose donc au devenir radical, un devenir orienté, avec intégration des structures anciennes dans les structures nouvelles malgré l’élargissement indéfini de celles-ci, et au relativisme absolu, une relativité objectivante, atteignant comme tout système de pures mises en relations ses propres invariants. Ainsi pour Piaget, il n’y a pas remplacement, mais continuité dans l’évolution des connaissances, il n’y a pas de devenir radical, mais bien une évolution orientée.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
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Citations

L'épistémologie de Léon Brunschvicg
(...) L. Brunschvicg, persuadé que les développements récents des mathématiques se rapprochaient davantage d'un devenir créateur que de la «méthode cinématographique» attribuée par Bergson à l'intelligence entière, et persuadé corrélativement de l'impossibilité de réduire ces mathématiques à la seule logique comme le souhaitaient Russell et Whitehead, s'est donné pour tâche de dégager les mécanismes de la connaissance mathématique en fonction de son développement même: d'où sa profonde étude sur les Étapes de la philosophie mathématique, qui subordonne ces «étapes» à celles de l'histoire des mathématiques elles-mêmes pour s'acheminer vers une analyse des «racines» de la vérité arithmétique, algébrique et géométrique, sur le terrain de la psychologie du sujet. L.C.S., p. 49

Méthode historico-critique de Brunschvicg
En conclusion de ces remarques sur la méthode historico-critique, il convient de rappeler la position de Brunschvicg en la fondant sur l'emploi de cette méthode même et qui constitue une antithèse anticipée du positivisme logique fondé sur l'analyse formalisante. (...). L.C.S. p. 111.
Parti de l'analyse des activités du sujet dans le jugement (la Modalité du jugement), Brunschvicg s'est rapidement persuadé qu'on ne pouvait rendre compte de la connaissance ni à partir de l'objet seul, dont la représentation est toujours relative aux structures cognitives du sujet, ni du sujet seul, dont les structures cognitives ne sont point a priori mais toujours relatives au niveau d'organisation des conduites expérimentales qu'il exerce sur l'objet. L'explication de la connaissance est donc à chercher dans son déroulement même et c'est pourquoi la philosophie de Brunschvicg a fait corps avec la méthode historico-critique. L.C.S., p. 111-112.

Connaissance mathématique et connaissance physique selon Brunschvicg
Selon Brunschvicg, il n’y a pas de solution de continuité entre la connaissance mathématique et la connaissance physique: toutes les deux supposent la même collaboration entre la raison et l’expérience, collaboration si étroite d’ailleurs qu’aucun des deux termes du rapport ne saurait être conçu sans l’autre. I.E.G., Vol. II, p. 5

Critique de l'épistémologie de Brunschvicg
Pour le dire en un mot, ce qui manque à l’épistémologie de Brunschvicg c’est donc une étude de la connaissance biologique, car c’est sur ce terrain que l’idéalisme, déjà un peu trop poussé dans l’interprétation qu’il a donnée de la pensée physique, se trouve aux prises avec un réalisme forcé : l’organisme vivant est à la fois le point de départ de l’activité psychologique du sujet, donc de la connaissance elle-même, et un objet pour la biologie, objet beaucoup plus indépendant même de l’esprit du biologiste que l’objet physique ne l’est de l’esprit du physicien. I.E.G., Vol. II, p. 328.

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[…] l’histoire nous enseigne que les mots « toujours » ou « jamais » sont à exclure du vocabulaire de l’épistémologie génétique.