Piaget critiqué dans "Philosophie des sciences"

Un forum pour débattre sur diverses critiques adressées à Piaget

Piaget critiqué dans "Philosophie des sciences"

Message par Christian » Mar Jan 03, 2012 11:49 pm

Il a paru en 2002, dans une collection de poche (folio essais), un ouvrage (en 2 volumes)(inédit): Philosophie des sciences, écrit par Daniel andler, Anne Fagot-Largeault et Bertrand Saint-Sernin.
(1300 pages environ).
Dans l'index nominum, Piaget apparaît 12 fois, et toutes les pages renvoient au chapitre de Daniel Andler (DA) intitulé "Processus cognitifs" (1er volume, pp 226-408).

Presque toutes les références à Piaget sont négatives (je les indique par -):
J'en fais la liste, en donnant quelques extraits:

p 326 (-): "On pourrait penser que ces questions [l'étude des capacités cognitives () des bébés et des très jeunes enfants] sont posées depuis longtemps ... à coup sûr, chez Piaget. Et pourtant, dans un manuel de psychologie du développement [Paricia H. Miller, Theories of Developmental Psychology, New-York, W.H. Freeman, 2ème éd., 1989], couvrant aussi bien Piaget que Freud, ..., les questions qui vont nous occuper sont à peine mentionnées. Il y a incontestablement de la nouveauté dans les recherches des quinze dernières années, même si Piaget est en effet un grand précurseur."

p 327 (-): "Ce sont des questions que Piaget n'a pas posées [le concept d'inertie chez un enfant d'un an, l'addition de 2 nombres entiers (pas trop grands) chez l'enfant de six mois], sans doute parce qu'il lui semblait évident que la réponse était négative (il était convaincu qu'au départ l'enfant ne dispose que de schèmes sensori-moteurs), mais aussi parce qu'il aurait été bien embarrassé pour solliciter le témoignage d'enfants de cet âge".

p 331 (-): "Pour des raisons différentes, Quine, comme Piaget se figurent l'enfant à la naissance comme incapable de se représenter autre chose que des épisodes qualitatifs du genre <<Substance>>, <<Substance>>, <<Substance>>, etc. Ce dont le nourrisson ne dispose pas, selon eux, c'est de concepts sortaux, tels que biberon, chien, maman ... ".

p 332 (-): "Dès l'âge de deux mois, le bébé sait que les objets cachés subsistent (ce que Piaget niait, se fondant sur le fait qu'à moins de huit mois, il ne fait rien pour soulever une couverture dont on a recouvert sous ses yeux un objet désirable)."

p 366 (-): "Piaget avait ses idées sur les conceptions infantiles de la physique, mais il ne semble pas avoir pensé que les conceptions de l'adulte différaient qualitativement de la mécanique classique élémentaire. Or quand on alla y voir de plus près, on constata rapidement que Piaget se trompait".

p 376 (-): "L'art de raisonner est codifié, nous dit la tradition, par la logique. Piaget s'était demandé comment, et dans quelle mesure, les enfants s'appropriaient les principes de la logique. Il ne doutait pas que les adultes, aux erreurs d'inattention près, soient maîtres de la logique (non au sens d'en posséder la théorie explicite, mais d'en appliquer les lois). Il ne mettait plus en question l'idée que la logique n'est rien d'autre que la norme du raisonnement. Ces convictions ont été fortement remises en question au cours des quarante dernières années."

p 381: "Deux grandes théories se disputent le terrain [logique mentale et modèle mentaux]. On fait généralement remonter à Boole et à Piaget l'origine de cette idée [la logique mentale]. (...). Le contexte change (...) avec l'émergence du néonaturalisme, en sorte que la logique mentale des psychologues contemporains est et n'est pas la même chose que les lois de la pensée de Boole, et que les structures opératoires de Piaget (DA fait référence en note au chapitre "Epistémologie de la logique" in Logique et connaissance scientifique).

p 405: "on sait que pour Piaget le rapprochement entre l'enfant et le savant était une idée centrale"

p 612 (- ?): une longue note sur la neuropsychologie de Paul Broca, où DA dit: " Au prix d'une simplification outrancière, on pourrait dire que se jouait là, déjà, la controverse Piaget-Chomsky de 1975 (Piatelli-Palmarini, 1979), et qu'encore aujourd'hui la résistance aux sciences cognitives s'appuie sur des convictions proches de celles des opposants à la thèse de la localisation corticale".

pp 616-616: la note de la page 381

p 1088: "Les fondateurs [de la Gestalt] se sont intéressés à la psychologie de al connaissance (bien avant Piaget ou Quine, ...".

J'ajoute les deux (seules!) références des livres (p 1171):
- Piaget, Biologie et connaissance, 1967
- Piaget et Inhelder, La représentation de l'espace chez l'enfant, 1948

Je ne suis pas universitaire, je ne sais pas quel a été le rententissement de ce livre; il me paraît intéressant de le signaler, en particulier parce qu'il situe Piaget en lien avec les recherches contemporaines sur la cognition que DA étudie comme philosophe des sciences et dont il est un des pédagogues (que je préfère au mot "vulgarisateur", surtout à ce niveau de "vulgarisation", j'en dirais autant de Joëlle Proust etc.) en France, un acteur peut-être, je ne sais pas .... (DA a dirigé l'ouvrage: Introduction aux sciences cognitives, folio essais inédit, 2004²).
Christian
 
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Quid des critiques adressées par D. Andler à Piaget…

Message par jjducret » Lun Jan 30, 2012 7:59 pm

Bonjour,

Merci pour votre listing des passages du chapitre de Daniel dans lesquels il est fait référence à Piaget, toujours de manière négative. Disons que c'est là typiquement le chapitre d'un auteur qui a une connaissance très superficielle des travaux de Piaget, qui ne les connaît le plus souvent qu'à travers les nombreuses critiques que les psychologues du développement ont adressées, et qui elles aussi sont souvent hélas peu convaincantes.

Je donne juste quelques exemples qui illustrent le caractère trop superficiel de ces critiques.

Piaget n'aurait pas abordé le concept d'inertie… Certes, il n'a pas abordé la question de l'inertie chez le bébé (il l'a abordé chez l'enfant et l'adolescent). L'eût-il fait que découvrir qu'à un âge relativement précoce on découvre que le bébé suit du regard le mouvement inertiel d'un objet ne l'aurait en rien conduit à un bouleversement des thèses qu'il a développées sur la naissance de l'intelligence sensori-motrice et de la construction du réel dans les 18 premiers mois de la vie. Simplement, Piaget aurait évité de parler du concept de l'inertie chez le bébé, de crainte d'attribuer une connaissance là où il ne s'agit que d'une activité perceptive.

Piaget n'aurait pas posé le problème de l'addition de deux nombres entiers pas trop grand chez le bébé de 6 mois. Certes, mais il reconnaît tout à fait l'existence de la perception de la numérosité chez le bébé, et la connaissance qu'il avait des travaux de psychologie du nombre chez l'animal (le pigeon par exemple) ne l'a avec raison pas entraîné à conclure que le pigeon avait connaissance du nombre opératoire. Là aussi, Daniel Andler fait preuve d'une naïveté épistémologie assez ahurissante de la part d'un "philosophe des sciences".

De même, il est confondant de voir d'attribuer à Piaget la thèse que la compréhension spontanée des adultes diffère qualitativement de la mécanique newtonienne. D'abord Piaget concevait (à tort ou à raison) que l'adulte très intelligent qu'était Aristote avait une compréhension prénewtonienne de la physique des mouvements; ensuite, Piaget lui-même se surprenait à agir de façon préopératoire (quant au poids des objets); enfin, le psychologue clinicien sait que c'est lorsque l'enfant est placé dans certaines situations qu'il parvient à penser en newtonien (Daniel Andler n'a certainement jamais lu les ouvrages du Centre international d'épistémologie sur le développement de la notion de transmission des forces chez l'enfant et l'adolescent, ouvrages qui rapportent des travaux sur la genèse des notions de transmission de mouvement et de forces dans lesquels sont exposés de nombreuses réponses d'enfants à des épreuves variées en réponse auxquelles, dès un certain niveau, ils manifestent des explications qui satisfont la raison newtonienne).

Quant à la logique, là aussi, Daniel Andler passe à côté des travaux de Piaget (qui n'ont rien à voir avec le raisonnement logique tels que le concoivent en effet les psychologues de la mouvance cognitiviste (mouvance qui semble toute droit sortir de l'interdit jeté à la notion d'opération logique par Couturat et Russell au début du 20e siècle, interdit dont le cognitivisme doit une part de son aveuglement). (Que l'on s'interdise cette notion à un certain niveau de formalisation de la logique mathématique est une démarche qui peut être fructueuse; qu'on l'on répercute cet interdit sur le terrain de la psychologie des opérations logiques du sujet est une démarche pour le moins curieuse…)

Les fondateurs de la Gestalt se seraient intéressés à la psychologie de la connaissance (bien avant Piaget ou Quine). Certes, et Piaget le savait très bien, qui a tout à la fois indiqué ce qu'il doit aux travaux et aux thèses de la Gestalt, et en même temps en quoi ces travaux et thèses lui semblent devoir être enrichis pour cerner plus complètement ce que sont l'intelligence et la perception.

Je cesse là l'examen du catalogue des "errements" qu'aurait trop souvent commis Piaget dans ses recherches (et qui auraient échappé aux nombreux savants logiciens, physiciens, mathématiciens, philosophes qui ont l'ont accompagné lors des recherches réalisées au CIEG?). La seule recommandation qu'il convient de faire à ce stade aux lecteurs est de prendre le temps de lire attentivement les ouvrages de Piaget, de s'arrêter sur les réponses des enfants et des adolescents, ou encore sur les comportements des bébés, avant de trop vite se prononcer sur la signification épistémologique de ces réponses et comportements.

En définitive, ce genre de jugements très sommaires et le plus souvent trompeurs portés sur l'oeuvre de Piaget est l'une des raisons qui motive la Fondation Jean Piaget de faciliter l'accès à cette oeuvre de telle sorte que les erreurs de jugement trop souvent commises à son propos soient plus la conséquence d'une paresse ou d'une négligence de ceux qui les formulent que de la difficulté de prendre directement connaissance de ce que sont l'objet, la méthode et les thèses en jeu.

Amicalement,

Jean-Jacques Ducret
jjducret
 
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merci!

Message par Christian » Dim Déc 09, 2012 3:51 pm

Merci beaucoup de votre réponse point par point!
En relisant ma liste je me disais qu'on pouvait me prendre pour un critique de Piaget. En fait j'en suis un admirateur depuis qu'on m'avait fait lire, il y a de cela une trentaine d'années, le fameux "Logique et connaissance scientifique", pour ma formation d'enseignant.
J'espère que Daniel Andler lira vos réponses.

Cordialement,
Christian Lenoire
Christian
 
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Re: merci!

Message par jjducret » Dim Déc 09, 2012 6:22 pm

Hélas, l'ampleur de la tâche est telle que je doute que Charles Andler puisse modifier sa vision des choses! Mais tant mieux si je me trompe! Merci pour cet échange!

JJD
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