CAUSALITÉ PHYSIOLOGIQUE ET IMPLICATION PSYCHOLOGIQUE

Causalité matérielle ou physique et implication logique ou mathématique, tels sont donc en définitive les deux termes irréductibles du rapport qui existe entre l'explication physiologique et certains aspects au moins de ce que l'on appelle parfois un peu légèrement la «phénoménologie» psychologique. La question qui se pose alors est de savoir si ce rapport est général, autrement dit si les connexions du type de l'implication pourraient être conçues comme caractérisant toutes les liaisons psychologiques comme telles ou si elles demeurent spéciales aux opérations logiques et mathématiques.

Or, c'est ici que la thèse constamment utilisée en cet ouvrage, sur la nature active (et même sensori-motrice en sa source) des opérations intellectuelles, acquiert une signification psychologique générale en plus de son sens épistémologique. En effet, le système des opérations logico-mathématiques, réunies en «groupements» et en «groupes» ne constitue pas seulement le point de départ de la pensée proprement rationnelle, au sens étroit du terme: il constitue aussi, et cela indépendamment de cette axiomatisation à laquelle il a donné lieu sous forme de la logique proprement dite, la structure psychologique de cet état d'équilibre mobile atteint par l'intelligence au terme de son développement. De l'action la plus élémentaire aux opérations organisées selon leurs lois de composition réversible on peut donc discerner une suite continue de processus qui, sans être encore opératoires, tendent vers l'opération comme vers leur forme d'équilibre terminal. S'il est erroné de voir des opérations partout et de retrouver de l'implication logique à tous les niveaux, il n'en reste pas moins que, les opérations étant préparées dès les variétés les plus élémentaires de la vie mentale, les rapports entre états mentaux quels qu'ils soient s'apparentent ainsi à l'implication au moins autant qu'à la causalité physique, et s'y apparentent d'autant plus que l'activité de l'esprit s'affirme davantage. Sitôt qu'intervient, en effet, l'assimilation sensori-motrice ou intellectuelle la plus simple, c'est-à-dire l'incorporation des objets perçus ou conçus dans les schèmes antérieurs de l'activité du sujet (et c'est cette incorporation même qui permet de percevoir ou de concevoir), la mise en relation ainsi constituée revient à établir entre les termes ou entre leurs rapports un type de connexion, spécifique de la vie mentale: cette connexion, qui est commune au système des significations, au jeu des récognitions, aux actes de compréhension, etc., c'est-à-dire à tout ce qui différencie un processus psychique d'un processus physique, consiste toujours, en effet, à relier des qualités entre elles d'une manière telle que l'une en entraîne une autre du point de vue de la conscience elle-même, c'est-à-dire du point de vue du sujet et non pas de l'objet. On peut alors appeler implication, au sens large, un tel produit de l'assimilation mentale [1]. En ce qui concerne les aspects cognitifs de la conduite (de la perception à l'intelligence), il semble donc légitime d'admettre que la conscience soutient, à l'égard des processus physiologiques le même rapport que l'implication à l'égard de la causalité: c'est pourquoi le domaine propre des explications psychologiques est celui des connexions qui trouvent leur achèvement dans la pensée rationnelle, par opposition aux explications causales de la conduite qui tendent à devenir physiologiques. (Introduction à l'épistémologie génétique, Paris, Presses Universitaires de France, 1950, t. III, pp. 141-142.)

[1] C'est ce qu'a bien vu Claparède, à partir de ses travaux sur la Genèse de l'hypothèse (Arch. de Psychol., t. XXIV, 1933), mais il élargit l'implication jusqu'à en faire une propriété vitale et physiologique autant que psychologique, alors qu'elle nous parait spécifique de l'assimilation mentale.