Fondation Jean Piaget

Présentation

1975 , avec B. Inhelder, A. Blanchet et A. Sinclair.
Relations entre les conservations d'ensembles d'éléments discrets et celles de quantités continues
Année psychologique, vol. 75, pp. 23-60.
Texte PDF mis à disposition le 19.05.2008



Rédigé par Piaget, ce long article de 36 pages rapporte les résultats d'un ensemble de recherches originales, réalisée par Bärbel Inhelder et deux de ses assistants, Alex Blanchet et Anne Sinclair) sur l'acquisition de la conservation des quantités discrètes (ou arithmétiques) d'un côté, continues de l'autre, ainsi que des relations qui peuvent exister entre le logico-arithmétique et l'infralogique au cours de cette double acquisition. Ces recherches, qui prolongent des travaux réalisés par Inhelder, Hermine Sinclair et Magali Bovet sur les effets d'activités préopératoires ou quasi-opératoires sur le développement des structures cognitives (BI74), confirment la relative indifférenciation initiale puis la différenciation graduelle, par étape, des notions et des opérations en jeu; ils mettent également en lumière les appuis ou au contraire les obstacles mutuels entre le logico-arithmétique (ou le discret) et le continu, au cours de leur construction et différenciation.

Les expériences et situations-problèmes astucieuses présentées ici ont également pour intérêt de mieux cerner l'une des caractéristiques des transformations d'une collection discrète ou d'une tout continu dont la prise en considération permet aux enfants d'accéder à une forme précoce de conservations des quantités, à savoir la commutabilité: lors d'un changement de disposition ou de forme d'une collection ou d'une totalité, ce qui est ajouté ou additionné au point d'arrivée de l'action de transformation est supprimé ou soustrait au point de départ de celle-ci. Parvenu à un certain niveau de développement, l'enfant qui prend en considération cette propriété de commutabilité des déplacements des parties d'une collection ou d'un tout se laisse moins abuser par les propriétés visibles du tout en son état final et peut conclure avec une certitude de plus en plus ferme à la conservation de la collection ou du tout transformé, pour autant que ce qui est enlevé au premier moment de la transformation soit ré-injecté au second moment (dans l'expérience classique de conservation de la substance, il n'y a pas extraction puis réinsertion des parties, mais simples déplacements de celles-ci, ce qui rend plus difficile la prise en compte de la commutabilité de ces déplacements de parties).

Une différence de contenu explique toutefois un léger décalage constaté entre l'acquisition de ces deux formes précoces de conservation (facilitée par la mise en évidence des actions de soustraction et d'addition) et de l'accélération qui peut en résulter quant à l'acquisition des structures opératoires. Sur le plan du continu ou de l'infralogique, la commutabilité doit être prise en considération sur deux niveaux et non pas sur un seul pour que la conservation de la quantité soit acquise; en effet, dans le cas du continu, les parties déplacées du tout considéré (par exemple, les parties différemment colorées qui, dans l'une des expériences exposées, composent une boule de plasticine) changent elles-mêmes de forme lors de la transformation de la boule en saucisse). Dans le cas de la conservation des quantités discrètes, la prise en considération de la commutabilité est quelque peu simplifiée dans le mesure où les éléments déplacés sont des unités invariables).

Enfin, relevons l'attention que les auteurs de cette recherche portent au rôle facilitateur ou au contraire perturbateur que peuvent avoir les formes d'"enveloppement topologique" des collections discrètes sur les jugements des enfants préopératoires, mais aussi, dans l'autre sens le rôle également soit facilitateur soit perturbateur de la prise en considération du nombre de parties reconnaissables d'une totalité physique ou spatiale dans le jugement portant sur la quantité de matière, de longueur, etc., composant ce tout. Dans les conclusions qu'il tire de cette recherche, Piaget esquisse un examen du développement des "enveloppements" infralogiques et logiques en utilisant à cet effet les notions de surjection (des parties dans le tout) et de multijection (du tout vers les parties) empruntées à l'étude des morphismes qu'il est par ailleurs en train de réaliser avec ses collaborateurs du CIEG (JP90). Il y souligne un décalage développemental initial entre les "enveloppements infralogiques" ou "continus" et les "enveloppements logiques" (une collection d'élément reconnue en tant que formant un tout au début bordé par ses frontières spatiales) pour des raisons liées à la plus grande difficulté de la multijection (retrouver les parties à partir du tout) dans le domaine du continu.