Fondation Jean Piaget

Présentation

1946.
Les trois conditions d'une épistémologie scientifique
Analysis: revue pour la critique des sciences, 1, fasc. 3, pp. 25-32.
Texte PDF mis à disposition le 17.12.2008



Ce très court texte de 7 pages est peut-être l'indice d'un tournant majeur dans l'oeuvre de Piaget. Dès les années 1920, celui-ci formulait la thèse, en partie déjà validée par ses premières recherches psychologiques, selon laquelle la "critique de la connaissance", en d'autres termes l'épistémologie s'inscrivant dans la mouvance kantienne, pouvait bénéficier de la lumière jetée par la psychologie génétique sur le développement de l'intelligence et des connaissances chez l'enfant (JP25). Cependant, pendant encore près de deux décennies, Piaget, tout en donnant des cours d'histoire de la pensée scientifique aux universités de Neuchâtel et de Genève, a laissé en arrière-plan son projet de développer une épistémologie s'inscrivant en continuité avec l'étude scientifique de l'évolution biologique et du développement psychologique, pour se consacrer principalement à l'essor de la psychologie génétique, ainsi qu'à l'élaboration des instruments de modélisation "logistique" des structures de la pensée logico-mathématique de l'enfant (JP42). Dès la fin des années 1940, après avoir accompli l'essentiel du plan de recherche fixé en psychologie génétique (étude de la genèse des opérations logico-mathématiques et des notions de nombre, d'espace, de temps, de mouvement et de vitesse, de quantités physiques… chez l'enfant) le moment était venu de mettre en oeuvre ce projet d'une épistémologie véritablement scientifique, synthétisant ces résultats avec ceux obtenus sur le terrain des enquêtes historico-critique.

Piaget expose dans cet article les conditions nécessaires au développement de cette épistémologie scientifique annoncée dès les années 1920: ne plus chercher à aborder de manière globale et spéculative la question trop générale de la nature de la connaissance, mais se plier à la démarche scientifique consistant à délimiter les problèmes et à recueillir les faits permettant de résoudre pas à pas ces derniers. A cette fin, l'épistémologie dispose de trois appuis déterminants: (1) le recours à l'histoire, qui permet de cerner les rôles respectifs de la déduction et de l'expérience dans l'évolution des sciences et des connaissances; (2) le recours à l'analyse logistique pour cerner la progression des "organes logico-mathématiques" qui sont la condition de la pensée scientifique et (3) le recours à cette sorte d' "embryologie" de l'esprit que constitue la psychologie de l'enfant (elle aussi complétée par l'analyse logistique des structures d'une pensée parvenue à l'équilibre grâce au mécanisme de la réversibilité logico-mathématique).

Hormis les préfaces, introductions et autres conclusions des ouvrages de psychologie génétique dans lesquels transparaît l'intérêt fondamentalement épistémologique qui guide leur auteur, il faudra encore 4 ans pour que —le virage vers l'épistémologie ayant été amorcé— Piaget publie sa première grande oeuvre dans ce domaine, à savoir son "Introduction à l'épistémologie génétique" (JP50), ouvrage en trois volumes portant successivement (1) sur la pensée mathématique, (2) la pensée physique et enfin (3) la biologie, la psychologie et la sociologie.