La construction du réel chez l'enfant – Observation 84

[p.123]Voyons maintenant les cas défavorables:

I. Laurent n'a pas non plus saisi son biberon, jusqu'à 0;7 (0), même lorsqu'on le lui offrait à 5 cm.: il pleurait, mais ne remuait pas les mains!

II. Dès 0;5 (25), Laurent a essayé de saisir des objets situés en dehors du champ de préhension. Il cherche à atteindre une boîte, une montre, etc., éloignées de 40 cm. de sa figure, sans savoir encore se rapprocher lui-même.

A 0;6 (7) et à 0; 6 (15), je note que Laurent renonce à saisir l'objectif dès que je le rapproche du toit de son berceau: il suffit ainsi qu'une boîte soit présentée à 20-30 cm., dans la direction du toit pour que Laurent cesse de tendre les bras et qu'il se mette à branler la tête, à se cambrer, à agiter les mains ou à se secouer, etc. (comme s'il s'agissait d'un objet suspendu: voir vol. I, obs. 112, 115, 118, etc.). Mais les mêmes objets, situés à 30-40 cm. dans l'espace libre donnent lieu à des essais de préhension. Lorsqu'il prend acte de son échec, il recommence à se cambrer.

A 0;7 (4), Laurent est assis et je lui présente un singe en caoutchouc, à l'extrémité de son berceau. Il se secoue, secoue ses bras, branle la tête, etc., comme s'il évaluait d'emblée la distance et renonçait à saisir l'objet pour agir sur lui grâce aux procédés magico-phénoménistes. Mais, le singe ne bougeant plus (puisque je le tiens moi-même), Laurent cherche alors à le saisir: il tend les mains (c'est le geste du désir, selon Stern), puis les joint en essayant d'embrasser l'objet (c'est le geste typique de la préhension).

De même, à 0;7 (30), Laurent fait effort pour atteindre directement une petite boîte posée devant lui à 40 cm. Il se redresse et se penche en avant, mais il demeure au moins 20 cm. d'écart entre l'objet et ses mains.

Comme chez Jacqueline, l'effort pour saisir les objets inaccessibles est donc bien plus fréquent après 2-3 mois de coordination entre la vue et la préhension qu'au début.

III. J'ai noté, enfin, chez Laurent les mêmes difficultés que chez Jacqueline pour évaluer au premier coup d'oeil les distances proches. A 0;4 (6), par exemple, avant de saisir, il regarde alternativement ses mains et l'objet, comme pour évaluer la profondeur, puis il joint les mains en deçà de l'objet. Ce n'est que par un tâtonnement relatif à la troisième dimension qu'il touche l'objectif.

De telles erreurs demeurent très fréquentes jusqu'au moment où vers 0;7 il sait se redresser et tendre à fond les bras dans la direction de l'objet (voir obs. 83, n° III). Mais, même alors, bien des fautes subsistent. C'est ainsi qu'à 0;7 (4), après avoir essayé d'atteindre directement un singe placé [p.124] à l'extrémité de son berceau, Laurent le regarde à 20 cm. Il le touche même de la main gauche: il suffirait donc, pour qu'il l'atteigne, qu'il tende un peu ses bras. Néanmoins il ne l'essaie pas: il dirige simplement ses deux mains vers l'objet et les referme l'une sur l'autre. Il répète deux ou trois fois ce geste avant de se pencher correctement.

A 0;8 (8) encore il recule sans cesse une boîte posée devant lui en voulant la prendre: il n'a pas l'idée de la saisir par derrière, bien qu'il en ait la possibilité, et la repousse à chaque nouvel essai.