Note sur la notion de stade

[…] les acquisitions propres à un stade donné n'abolissent nullement de façon immédiate les manifestations caractéristiques des stades précédents.

On peut concevoir, en effet, de deux manières le déroulement des stades du développement d'une notion telle que la causalité. On peut admettre, en premier lieu, que chaque stade introduit une transformation complète, et dont les manifestations sont à peu près simultanées, de l'esprit de l'enfant. Dans cette hypothèse il suffirait, par exemple, que l'enfant devienne capable d'objectivation et de spatialisation de la causalité pour qu'il renonce par là même à toute « efficace » et à tout phénoménisme : la découverte de la nouvelle forme de causalité, tout en se produisant à propos d'un problème précis posé à l'enfant et d'un phénomène particulier et bien délimité, donnerait ainsi lieu à une généralisation immédiate, telle que les formes antérieures en seraient refoulées. Selon une seconde conception, au contraire, l'apparition de chaque stade serait simplement marquée par la différenciation d'un noyau dont la formation ne retentirait nullement de façon directe sur l'ensemble des strates constitués par les acquisitions des stades précédents. Ce qui définirait ainsi le nouveau stade, c'est que l'enfant deviendrait capable de certaines conduites auxquelles il n'était pas apte jusque-là : ce n'est donc pas le fait qu'il renonce aux conduites des stades précédents, même si celles-ci sont contraires aux nouvelles ou contradictoires avec elles, du point de vue de l'observateur. La succession des stades serait ainsi à concevoir comme une série de différenciations successives ou de néoformations se constituant au sein des formations anciennes, sans que celles-ci soient immédiatement abolies.

J. Piaget, p. 261 de La construction du réel chez l'enfant, 1937 (rééd. 1967)